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Reconversion des bâtiments de ferme et urbanisme: quels critères à remplir pour quelles possibilités?

Il y a peu, l’Union des agricultrices wallonnes (UAW) du Brabant wallon s’intéressait à la reconversion des bâtiments de ferme. Afin de les entretenir sur le sujet, elle avait convié Monsieur Xavier Dubois, de la Direction du Développement rural, et Monsieur Cédric Harmant, de la Direction de Wavre du Service Public Wallonie (SPW). Tous deux sont revenus sur les aspects à ne pas négliger lorsqu’on envisage la réaffectation de bâtiments agricoles.

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Toute transformation de la destination d’un bâtiment de ferme est soumise à un permis d’urbanisme répondant aux règles du Code du Développement territorial (CoDT). Les permis d’urbanisme sont de compétence communale. Un fonctionnaire délégué à l’urbanisme actif à la région s’assure néanmoins que tout se passe conformément à la réglementation. Selon le type de travaux ou d’outils urbanistiques mis en place dans les communes, celui-ci remet un avis qui peut être contraignant dans le cas, notamment, où une demande de dérogation au plan de secteur est demandée.

Avis consultatif des directions compétentes

Lors de ce type de projet de réaffectation, des avis extérieurs tels que ceux des pompiers, des services à l’agriculture, à la mobilité, aux cours d’eau, du DNF… sont sollicités. C’est notamment le cas des directions auxquelles appartiennent Xavier Dubois et Cédric Harmant.

La Direction du Développement rural s’occupe du suivi des Programme Communaux De développement Rurale (PCDR) et de la délivrance des attestations de conformité des infrastructures de stockage d’effluents d’élevage (ACISEE) mais, elle analyse également les demandes de permis qui concernent la zone agricole. Elle évalue ainsi l’effectivité de l’exploitation agricole et si, au vu des plans de construction déposés, il peut être admis raisonnablement que l’exploitation qu’abriteront les bâtiments n’est pas un prétexte pour ériger une construction qui n’est pas à sa place en zone agricole. Il en est de même pour la Direction de Cédric Harmant. « En bref, dès qu’une demande de permis touche à l’agricole et/ou est faite par un agriculteur, nos directions sont interrogées afin de remettre un avis consultatif sur le projet. Si ce dernier touche à d’autres domaines, les directions compétentes sont également consultées. L’avis que nous remettons n’est pas contraignant. Les directions n’ont qu’un rôle de tutelle vis-à-vis des communes ».

L’usage agricole :plus possible ?

« L’une des premières questions à se poser lorsqu’on envisage de soumettre ce genre de projet est si l’usage agricole n’est vraiment plus possible, même en réalisant quelques transformations ou une extension. C’est une question qui se pose particulièrement lorsqu’on est en zone agricole. Il est clair que quand on se trouve au cœur d’un village l’enjeu n’est pas aussi important. Après, nous avons bien conscience que les outils et techniques agricoles évoluent et que les bâtiments anciens ne sont parfois plus adaptés ou en mauvais état. Nous ne sommes pas braqués sur le fait que le bâtiment soit conservé en cette forme mais, on ne perd jamais de vue l’objectif qui nous concerne : préserver la zone agricole et minimiser l’habitat » dit Cédric Harmant.

Et Xavier Dubois de compléter : « Il y a d’ailleurs une petite évolution dans ce sens ces dernières années et depuis la crise sanitaire. Avant, il se disait que ces bâtiments avaient perdu leur attrait pour l’agriculture mais on constate une explosion de petits producteurs maraîchers peu mécanisés, qui n’ont pas besoin de grandes surfaces. Ces bâtiments qui n’ont plus d’intérêt en agriculture traditionnelle pourraient servir à ce type de production, encore plus quand ils sont proches de noyaux villageois. C’est une donnée dont on commence à tenir compte. Nous préférons les voir se développer là que de voir la création de nombreuses petites infrastructures ».

Quelle place dans le plan de secteur ?

Les fonctions envisageables pour la reconversion de bâtiments ne pouvant plus être employés pour un usage agricole dépendront de différents critères : la situation juridique de la parcelle, le cadre bâti (situé au cœur d’un village, en périphérie, dans une plaine agricole isolée…), l’intérêt patrimonial, l’état général des bâtiments et le type de bâtiment (grange, hangar, étable…).

L’ensemble du territoire est couvert par un plan de secteur élaboré dans les années 70-80, définissant des zones réservées à des activités et fonctions particulières. On trouve, entre autres, des zones d’habitat, d’habitat à caractère rural, agricole, d’activités économiques, de services publics, d’aménagement communal concerté (ACC, zone ou tout est encore possible)… « Les exploitations agricoles sont généralement situées en zone agricole mais on en trouve aussi dans les zones d’habitat à caractère rural où il est prévu une mixité entre l’habitat et les fermes. Lorsqu’on a des projets de reconversion, il est très important de savoir dans quelle zone on se trouve car cela va définir les possibilités de développement d’une activité ou pas. Ces zones sont invisibles sur le terrain. Une prairie peut être en zone d’habitat alors qu’une maison ne l’est pas forcément », explique Xavier Dubois.

La zone d’habitat à caractère rural ?

L’article D.II.25. du CoDT décrit la zone d’habitat à caractère rural comme suit : La zone d’habitat à caractère rural est principalement destinée à la résidence et aux exploitations agricoles ainsi qu’à leurs activités de diversification déterminées par le Gouvernement en application de l’article D.II.36-3. Les activités d’artisanat, de service, de distribution, de recherche ou de petite industrie, les établissements socioculturels, les constructions et aménagements de services publics et d’équipements communautaires de même que les équipements touristiques ou récréatifs peuvent également y être autorisés pour autant qu’ils ne mettent pas en péril la destination principale de la zone et qu’ils soient compatibles avec le voisinage.

La zone agricole

Au sujet de la zone agricole, l’article D.II.36 du CoDT précise :

La zone agricole est destinée à accueillir les activités agricoles c’est-à-dire les activités de production, d’élevage ou de culture de produits agricoles et horticoles, en ce compris la détention d’animaux à des fins agricoles ou le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes.

Elle contribue au maintien ou à la formation du paysage ainsi qu’à la conservation de l’équilibre écologique. « On peut ainsi avoir des permis refusés uniquement parce que ça gène dans le paysage ».

Elle ne peut comporter que les constructions et installations indispensables à l’exploitation et le logement des exploitants dont l’agriculture constitue la profession.

Elle peut également comporter des activités de diversification complémentaires à l’activité agricole des exploitants. « On sous-entend bien qu’il a une activité agricole de base », précise Xavier Dubois.

Elle peut être exceptionnellement destinée aux activités récréatives de plein air pour autant qu’elles ne mettent pas en cause de manière irréversible la destination de la zone. « Il est donc par exemple exclu d’y faire du motocross toutes les semaines car cela empêchera à termes l’exploitation de la parcelle. » Pour ces activités récréatives, les actes et travaux ne peuvent y être autorisés que pour une durée limitée sauf à constituer la transformation, l’agrandissement ou la reconstruction d’un bâtiment existant.

Diversification

L’admissibilité en zone agricole des « activités de diversification complémentaires à l’activité agricole » vise à soutenir et développer une agriculture familiale ou à taille humaine en améliorant la rentabilité de l’exploitation agricole. Le demandeur doit donc bien avoir un statut d’agriculteur.

Les activités de diversification complémentaires prévues par le CoDT (article R.II.36-1) sont de 5 sortes :

La transformation, la valorisation et la commercialisation des produits d’une ou plusieurs exploitations agricoles ;

L’hébergement touristique à la ferme, en ce compris le camping à la ferme ;

Les fermes pédagogiques au sens du Code wallon de l’Agriculture et les fermes d’insertion sociale ;

Le tourisme à la ferme en ce compris les activités récréatives de l’exploitant telles que le golf fermier, les manèges ou l’aménagement de prairies pour leur location temporaire aux mouvements de jeunesse ;

Une unité de biométhanisation.

Dérogation possible

En zone agricole et sans préjudice au voisinage ou à l’activité agricole environnante, un agriculteur pourra donc envisager une diversification. « L’installation de gîte pourrait par exemple est perçue comme stressante pour un fermier voisin qui serait moins à l’aise à cause qu’il engendre lors de la traite. Ce sont des détails qui peuvent pourrir la vie à long terme. Le but est vraiment de protéger la vie et le milieu agricole ».

Si le projet ne colle pas tout à fait à la zone agricole et la réglementation prévue par le CoDT, des demandes de dérogations sont possibles.

L’article D.IV.6. précise qu’un permis d’urbanisme peut être octroyé en dérogation au plan de secteur pour les constructions, les installations ou les bâtiments existants avant l’entrée en vigueur du plan de secteur ou qui ont été autorisés, dont l’affectation actuelle ou future ne correspond pas aux prescriptions du plan de secteur lorsqu’il s’agit d’actes et travaux de transformation, d’agrandissement, de reconstruction ainsi que d’une modification de destination et de la création de logement.

Les conditions nécessaires pour que cet article soit applicable sont stipulées dans l’article D.IV.13.:

Un permis peut être octroyé en dérogation au plan de secteur ou aux normes du guide régional d’urbanisme si les dérogations :

sont justifiées compte tenu des spécificités du projet au regard du lieu précis où celui-ci est envisagé ;

ne compromettent pas la mise en œuvre cohérente du plan de secteur ou des normes du 84 CoDT – version applicable à partir du 29 juin 2020 (v.24.1) guide régional d’urbanisme dans le reste de son champ d’application ;

concernent un projet qui contribue à la protection, à la gestion ou à l’aménagement des paysages bâtis ou non bâtis.

Logements, bureaux, salles de réception ou commerce

En zone d’habitat à caractère rural, la transformation des bâtiments en logements, bureaux, salle de réception, commerce… est conforme néanmoins on réserve une attention particulière aux incidences sur le voisinage et la compatibilité en termes de densité, charroi, bruits ou encore odeurs. Les aménagements annexes que ce type d’affectations engendre tels que les parkings sont également des points qui peuvent poser problème.

Ce même type d’affectations n’est par contre pas conforme en zone agricole. Cela reste néanmoins possible en dérogation. Cette dernière doit alors se justifier, entre autres par la valeur d’usage, patrimoniale, l’état général du bâtiment. « L’entretien du bâtiment ne peut par exemple pas être assumé sans envisager une autre affectation. Les dérogations ne sont pas octroyées automatiquement, elles doivent vraiment être démontrées et justifiées », précise Cédric Harmant.

Le projet proposé devra ainsi être adapté au caractère non urbanisable. S’il s’agit de logements, on privilégiera une densification moindre avec moins d’unités mais plus grandes. On évitera l’installation d’un commerce si la situation est isolée ou la création d’une salle de fêtes si cela est peu compatible avec le voisinage.

S’assurer que le bâtiment n’est pas sous protection

« Il n’est également pas inutile de s’assurer que le bâtiment concerné ne fait pas l’objet d’une protection particulière ». Le bien peut tout d’abord être repris à l’Inventaire du Patrimoine ou pastillé (c’est-à-dire qu’il mériterait d’être classé). Dans ce cas, l’avis de l’agence wallonne du patrimoine (AWAP) est sollicité en cours de procédure. L’intérêt est principalement architectural et on souhaitera sans doute le mettre en valeur. Des primes à l’embellissement sont alors envisageables.

Si le bâtiment ou le site est classé, on sollicitera l’avis de l’AWAP et de la Commission royale des monuments, sites et fouilles (CRMSF). Une procédure de Certificat de patrimoine sera nécessaire avant même de demander un permis d’urbanisme. L’intérêt est alors architectural et/ou historique. Des primes et subsides sont également envisageables.

« Si le bâtiment n’a pas de protection particulière, cela n’empêche pas un certain intérêt architectural », précise Cédric Harmant.

En cas d’intérêt patrimonial, la réaffectation du bien est positive car elle participe à la préservation de ce patrimoine. La démolition sera à éviter sauf si l’état général ne permet pas une transformation ou des démolitions partielles. Une attention particulière est portée à la rénovation afin de maintenir les caractéristiques patrimoniales. « On pense notamment au traitement des baies, au maintien de la lecture des fonctions, à la hiérarchie des volumes et toitures, au maintien du caractère fermé des façades extérieures et enfin à la lisibilité et simplicité de l’intervention. Les projets de logements avec de nombreuses ouvertures sont parfois difficiles avec ces contraintes. Il est parfois plus intéressant de se diriger vers un projet de bureaux ou salle de réception nécessitant moins d’interventions, de luminosité ou d’apports énergétiques ».

Le certificat d’urbanisme nº2 pour limiter les frais

Avant de s’engager dans des démarches onéreuses (architecte, administration), il est possible d’introduire par soi-même un certificat d’urbanisme numéro 2. « En pratique, on demande un accord sur un avant-projet plus ou moins détaillé. Les données disponibles sont examinées de la même manière qu’une demande de permis (avis sollicités, enquête publique). Ce certificat permet d’avoir un avis engageant des différentes administrations valable 2 ans ou, dans le cas contraire, évite des dépenses inutiles et oriente sur le cap à poursuivre ».

En bref

Pour conclure, les orateurs rappellent les quelques conseils utiles lorsqu’on se lance dans des projets de reconversion des bâtiments. « En bref, il s’agit tout d’abord de démontrer que l’affectation agricole n’est plus possible et de s’engager dans une démarche positive, contribuant à une gestion parcimonieuse et à la préservation du patrimoine. Il faut veiller à adapter le projet aux caractéristiques du bâtiment et de l’endroit. », dit Cédric Harmant.

« Il faut donc d’abord être certain de savoir où l’on se situe et ce qu’on peut y faire. Si on est agriculteur, en zone agricole, on peut envisager une diversification. Si ce n’est pas le cas, ou si le projet n’est pas conforme à la zone, reste à voir s’il ne met pas à mal la pratique de l’agriculture ».

« Dans un premier temps, nous ne pouvons que vous conseiller d’aller voir la commune pour avoir une idée du cap à suivre et de ce qui est envisageable même s’il ne faut jamais ce fier à un accord de départ car il y a tout une série d’éléments qui peuvent influer par la suite sur la décision finale ».

Informations recueillies par D. Jaunard

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