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Quelles agricultures?

Mon épouse a failli faire une attaque, quand elle a découvert le sort « artistique » réservé aux deux beaux potirons donnés à une amie… Confinement oblige, celle-ci lui a envoyé sur WattsAp la photo, non pas d’une bonne soupe appétissante parsemée de croûtons, mais plutôt de deux « Jack-o’-lantern » illuminés de l’intérieur par des bougies chauffe-plats. De si délicieux légumes, poussés naturellement sur un tas de compost, et arrosés avec amour tout au long de l’été !

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Cette amie est la gentillesse même, et on lui pardonne volontiers son côté écologiste intégriste, mais parfois, elle met les pieds dans le plat, ici dans la casserole de potage. Citadine pure et dure, elle observe la vie rurale d’un œil naïf et bienveillant. L’agriculture la fascine, elle qui n’est même pas capable de faire pousser une plante verte sur son balcon. Elle visite notre potager et nos étables comme une archéologue qui se baladerait pour la première fois dans les ruines de Pompéi, en poussant des « ah » et des « oh » de ravissement quand elle découvre ou apprend de nouvelles choses, parmi toutes les curiosités qui s’offrent à ses yeux ébahis. Bien entendu, pour ne pas mourir idiote (sic), elle maraude assidûment dans les vergers d’internet et chaparde un maximum de renseignements sur l’agriculture, afin de bien cerner cet intrigant sujet. Sa récolte est très diversifiée et s’étale en un vaste assortiment très coloré, depuis les fleurs sur l’arbre jusqu’aux fruits blets abandonnés, en passant par les pommes bien vertes (ses préférées, évidemment) et les cerises rouges sang. Elle croyait l’agriculture très simple, et même simplette ; elle la découvre complexe, et même multiple, affublée d’adjectifs, accolée à d’autres substantifs. Ce qui la plonge dans des abîmes de perplexité…

Elle a été fort déçue d’apprendre que nous ne pratiquons pas l’agriculture biologique, dont les produits sont les seuls dignes de trouver grâce à son palais (d’où sans doute le destin funeste halloweenesque de nos potirons). Dans ses conversations, notre amie veut jongler avec des mots comme « permaculture », « agro-écologie », « biodynamie »…, et autre agriculture « vivrière » ou « de conservation des sols ». Bien entendu, elle bousille les codes, mélange le tout en une omelette bourrée de coquilles. Nous avons essayé vaille que vaille, -nous autres, pauvres minables agriculteurs conventionnels –, d’éclairer sa (Jack-o’-)lanterne.

L’agriculture est un arbre à la ramure foisonnante. L’agriculture dite « conventionnelle » en est le tronc ; elle devrait être « raisonnée » et raisonnable, mais les progrès technologiques et l’économie capitaliste l’ont rendue chez nous trop souvent « intensive » et « industrielle ». Soumise à une législation spécifique, l’agriculture dite « biologique » (AB) est une branche qui s’interdit tout recours aux molécules de synthèse (engrais, produits phytosanitaires) et garantit des normes exigeantes en termes de respect des sols, des plantes et des animaux. L’« agro-écologie » (AE) intègre des considérations écologiques et sociales, afin de subvenir aux besoins alimentaires de l’humanité, dans le respect des agriculteurs et de la nature ; elle n’exclut pas le recours à des produits chimiques de synthèse. La « permaculture » englobe une série de thématiques ; elle propose une approche holistique de la durabilité, une vision à 360º, en trois dimensions. En fait, si j’ai bien compris -mais qui comprend ce machin ? –, la permaculture se dit « bio-inspirée », inspirée par la dynamique des écosystèmes naturels ; elle intègre les bonnes pratiques de ses deux sœurs AB et AE, et les hybride avec d’autres disciplines « vertes » : énergies renouvelables, éco-construction, conservation des sols, lutte contre le réchauffement climatique, etc.

Cet « etc », et caetera, signifie « et d’autres choses manquantes ». Notre pauvre amie, la dame aux potirons, peine à se faire une idée concrète de nos agricultures, et toutes ces choses manquantes la laissent sur sa faim. Pour bien comprendre notre métier, il faudrait être né en son sein, à tout le moins être tombé dedans quand on était petit. Mon agriculture préférée, lui ai-je dit, n’est autre que l’agriculture paysanne, familiale et locale, qui s’intègre dans son «'pays » (son terroir, sa région) et sa famille. Ce n’est pas un métier, c’est un art de vivre, un positionnement au cœur de notre environnement social et naturel, une vision respectueuse et fataliste de la marche du monde, un regard grimaçant de Jack-o’-lantern sur notre société…

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