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Et maintenant, on fait quoi?

La pandémie de coronavirus nous a donné un petit avant-goût de l’enfer, le sentiment de sentir sur sa nuque le souffle chaud d’un dragon. Sauf que maintenant, ce qui n’était qu’une impression de désastre brûlant est devenu une réalité incandescente, avec la guerre Russie-Ukraine… Le Destin fait fort depuis deux ans, qui nous précipite de Charybde en Scylla, puis du Covid au Moscovite. La loi des séries nous réserve-t-elle d’autres surprises ? Déjà, les prix flambent dans tous les secteurs, et le spectre des pénuries alimentaires déploie ses ailes en grand, prêt à fondre sur les pays pauvres importateurs et à déchiqueter les économies du monde entier. Du cauchemar à l’espoir, de l’espoir au cauchemar les cœurs balancent, et battent au rythme des bonnes et des mauvaises nouvelles. Comment appréhender ce qui nous attend ?

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Notre sympathie va vers l’Ukraine, comme elle va vers l’agneau de la fable agressé par le loup. Bon, d’accord, le loup russe serait plutôt un ours, et l’agneau ukrainien une biquette musclée aux cornes acérées qui ne se laissera pas si facilement attraper, comme la chèvre de Monsieur Seguin ! Mais on connaît comment ce genre d’histoire se termine, à tous les coups… Et puis, mettez-vous à la place des agriculteurs ukrainiens ! La guerre signifie pour eux qu’ils ne peuvent pas « faire le mars », ensemencer leurs terres au cours de ce printemps, à cause de la violence des combats, ou parce qu’ils n’ont pas accès aux semences, aux engrais, au carburant ou aux pièces de rechange des machines. L’agriculture se déploie au rythme des saisons : chaque chose en son temps ! L’agriculteur n’a qu’une seule chance de semer et une seule chance de récolter. Ce n’est pas un sport où on a d’autres alternatives, où on peut reporter des matches ou des tournois vers des jours meilleurs. Et c’est bien là le drame. Les paysans ukrainiens doivent ronger leur frein et se désespérer d’une situation absolument inimaginable et déraisonnable ! Orge, tournesol, maïs…, l’horloge tourne : pourront-ils être semés à temps ? Que vont devenir les vaches, veaux, cochons, couvées, moutons, pris au piège de l’horreur des combats ? On n’ose y songer…

Ce qui se passe actuellement en Ukraine aura des conséquences désastreuses sur l’approvisionnement alimentaire de leur pays, mais pas que… Nous nous dirigeons vers une perturbation planétaire de la filière alimentaire, et c’est peu de le dire. En une semaine, le prix du blé est passé de 300 à 400 dollars/tonne. Selon les prévisions des spécialistes des marchés mondiaux, la cotation risque de grimper jusque 800 $/T !! Va-t-on revivre des « émeutes de la faim » ? Celles-ci éclatèrent un peu partout dans le monde en 2008, à des prix du blé vers les 300 $/T. Fin 2010 explosa « le printemps arabe », sur fond de cotation élevée du blé, jusque 350 $/T. Le Moyen-Orient et l’Afrique seront particulièrement touchés si le secteur agricole ukrainien n’est pas en mesure de semer, de moissonner et d’exporter ses céréales durant les prochains mois de 2022. Comme en 2008 et 2010, les gens de ces pays importateurs d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie du Sud-Est ou encore d’Haïti, n’auront pas les moyens d’acheter leur pain. Tout simplement leur pain ! La faim provoque des réactions désespérées, d’une violence extrême et dévastatrice, quand les victimes n’ont plus rien à perdre.

Tout le monde chez nous pleurniche sur les prix de l’énergie pour le chauffage et le transport, mais curieusement, on parle moins de l’impact de la guerre sur les prix des denrées alimentaires. Quand on a froid, on met un gros manteau, une écharpe et un bonnet, mais on ne peut pas manger ses lainages ni son Thermolactyl quand on a faim, sinon, cela se saurait… Ah si, tout de même, certains s’émeuvent de la future pénurie d’huile de tournesol pour nos frites, d’orge maltée pour nos bières ! En Belgique, nous produisons beaucoup de froment… fourrager, et très peu de blé meunier. Chez nous, on se paye même le luxe de transformer des milliers de tonnes de céréales en bio-éthanol, des centaines d’hectares de maïs en bio-méthane. Cherchez l’erreur, trouvez l’horreur et la stupidité des choix amenés par le jeu des offres limitées et des demandes surréalistes de notre société ! Autrefois, en Ardenne, les gens faisaient leur pain à partir de froment, seigle, épeautre, récoltés sur nos pauvres plateaux avec 20 cm de terre noire (contre 6 mètres en Ukraine). Au bout de deux jours, il était dur comme du bois et nécessitait de solides appareils masticateurs pour le manger, rien à voir avec la mie spongieuse des pains mous d’aujourd’hui, qu’on avale quasi sans mâcher. Reverrons-nous ce temps-là ? Les agricultures européennes pourront-elles produire les céréales perdues d’Ukraine, avec des engrais et des carburants devenus rares et chers ? Quid des missions climatiques et environnementales assignées par la PAC ?

Nécessité fera-t-elle loi ? Notre filière agricole est dynamique et très innovante. Elle déploie un maximum d’efforts dans ses diverses tâches « annexes », en plus de sa mission « oubliée » par nos élites dirigeantes : nourrir les populations. La nouvelle PAC 2022 entend redessiner l’Europe en un vaste jardin sans engrais ni phytos, un « paradis » écologique et un paradoxe d’agriculture sans finalité alimentaire affirmée. Va-t-elle revoir sa copie, virer sa cuti au vu des désastres agricoles perpétrés en Ukraine et des graves menaces sur la paix dans le monde ? L’agriculture et l’horticulture sont essentielles pour préserver notre alimentation, notre indépendance, et en définitive, notre liberté…

Et maintenant les gars, on fait quoi ? On sème quoi ?

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