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PAC 2023-2027 : «un modèle compliqué qui nécessitera un accompagnement»

À peine le budget et les axes du plan stratégique wallon validés par le gouvernement wallon, que le ministre Willy Borsus et plusieurs représentants de l’Administration ont pris la route pour détailler les contours qui baliseront la mise en œuvre de la nouvelle Pac. Elle devra emprunter des chemins plus verts, un peu comme ceux qui sillonnent le Pays des Collines où la caravane avait fait halte le 12 octobre dernier.

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C’est en effet à Frasnes-lez-Anvaing, devant un parterre particulièrement fourni, que le ministre régional de l’Agriculture a entrepris de passer en revue les points forts de cette nouvelle Pac 2023-2027.

Baisse significative du budget 2023-2027

Son enveloppe se chiffre à 1,328 milliard € de Feaga (Fonds européen agricole de garantie) pour le premier pilier (aides directes). Quant au deuxième pilier, la part européenne se monte à 198 millions €, le cofinancement wallon Feader s’élève à 336 millions €, pour un montant total de plus de 534 millions €.

Selon une analyse publiée le 13 octobre par le cercle de réflexion Farm Europe qui prend en compte l’inflation actuelle, la valeur du budget de la Pac diminuerait toutefois en fait d’un total de 84,57 milliards € en termes réels au cours de la période 2021-2027 par rapport à 2020 (soit une perte de 68,6 milliards € pour le premier pilier et de 15,97 milliards € pour le second).

En effet, lorsque le nouveau budget de la Pac a été adopté, le scénario était encore celui d’une faible inflation de 2 % comme prévu par la Banque centrale européenne.

Le paiement redistributif en hausse

L’agriculture en Wallonie, rappelons-le, ce sont 12.728 exploitations pour une activité qui se déploie sur 764.700 hectares, dont 320.000 ha consacrés aux prairies permanentes et 441.000 hectares de terres arables. 21.947 personnes travaillent régulièrement dans le secteur agricole dont quasiment la moitié à temps plein, sans compter les personnes occupées dans les activités connexes au secteur agricole qui « pèse lourd » au niveau régional.

Le ministre Willy Borsus a demandé à ses services de se rendre disponibleset de travailler dans une «attitude partenariale» avec les agriculteurs.
Le ministre Willy Borsus a demandé à ses services de se rendre disponibleset de travailler dans une «attitude partenariale» avec les agriculteurs. - M-F V.

Après avoir déposé en mars dernier son projet de plan stratégique, la Wallonie a reçu, fin mai, quelque 210 remarques formulées par la commission, « un bon bulletin » s’est néanmoins félicité M. Borsus en se référant à la Flandre voisine à qui l’Exécutif en a adressé plus du double ainsi qu’à certains pays qui ont vu leurs plans carrément remis en cause sur certains aspects.

La volonté wallonne a été de « conserver un premier pilier très fort dont les aides représentent un véritable filet de sécurité pour les agriculteurs » a indiqué le ministre W. Borsus en précisant que la Wallonie avait ainsi décidé de consacrer 19,5 % des aides directes du premier pilier au paiement redistributif, contre 17 % dans la précédente programmation.

Vers une harmonisation progressive du paiement de base

On le sait, l’objectif de la commission pour cette nouvelle programmation est de rapprocher les paiements de base (paiement découplé annuel par hectare admissible) afin d’assurer une répartition plus équitable de l’aide financière entre tous les agriculteurs. Il faut savoir que le droit de base le plus bas se situait à 63,09€ contre 4.248€ pour le plus élevé.

La commission a donc poussé les États membres à « converger » afin d’arriver au plus bas, d’ici 2026, à 85 % de la moyenne de l’ensemble des droits constatés. Pour ce faire, la Wallonie a développé une méthode qu’elle a appelée « tunnel » pour faire converger les droits aux paiements de base dans une fourchette comprise entre 85 % et 114 % du droit wallon moyen (estimé à 111 €). Un chemin, a reconnu M. Borsus qui ne sera sans doute pas le plus aisé à parcourir.

Des nouveautés au niveau du soutien couplé

« Le débat sur les aides couplées, principalement au niveau des vaches, fut un long bras de fer avec la commission » a admis le ministre dont les services ont dû convaincre ceux de l’Exécutif européen qu’en démanteler une partie était intenable pour la Wallonie sous peine de mettre à mal son secteur agricole.

La Wallonie dédiera pour cette programmation 21,3 % de l’enveloppe du premier pilier aux aides couplées pour les bovins femelles viandeux, les vaches laitières ou mixtes et les ovins.

La principale évolution consiste en l’ajout d’un critère de charge maximale par hectare de surface fourragère pour le soutien couplé aux bovins viandeux. Elle sera de 5 UGB (unité gros bétail) par hectare, calculée au prorata de la densité maximale en bétail par année de 2023 à 2025. Cette charge diminuera ensuite au fil du temps, passant de 4,5 UGB par hectare en 2026 et à 4 UGB par hectare en 2027.

Mais ce n’est pas la seule nouveauté a signifié le ministre qui a parlé de l’abandon du système des références « historiques » destiné à limiter l’octroi de l’aide en fonction de l’historique du troupeau de chaque éleveur. Sa suppression simplifie les démarches administratives et offre une plus grande flexibilité aux agriculteurs.

Enfin, Willy Borsus a évoqué l’élargissement des conditions d’éligibilité des bovins femelles viandeux jusqu’à 120 mois.

Autre innovation dans cette nouvelle Pac, la création du soutien couplé protéagineux afin de soutenir le revenu de cette filière en plein essor en Wallonie et définie par la commission comme un enjeu pour réduire la dépendance de l’UE vis-à-vis des pays tiers. L’aide passera ainsi à 375€ par hectare de cultures de protéines végétales (soja, pois protéagineux, fèves et féveroles, lupin, lentilles, pois chiches, fenugrec).

Les éco-régimes, clef de voûte de la nouvelle Pac

Le ministre a longuement évoqué les fameux éco-régimes, nouvelle approche des anciens « paiements verts » et dispositifs d’aides directes et volontaires dont l’objectif est d’inciter et de récompenser ceux qui prennent des mesures en faveur d’une gestion agricole plus durable, respectueuse de l’environnement et qui protègent la biodiversité en Wallonie.

Pour rappel, si les éco-régimes doivent représenter au minimum 25 % du montant du budget du premier pilier, la Wallonie a poussé le curseur jusqu’à 26 % et prévu d’y consacrer 26 % du premier pilier, soit 345 millions € sur la programmation 2023-2027.

On y trouve, entre autres, l’éco-régime « couverture longue des sols » qui encourage la couverture du sol du 1er janvier au 15 février. Sont prises en compte les cultures d’hiver, dérobées, prairies temporaires, prairies permanentes. Le premier travail superficiel du sol est possible dès le 15 janvier sans destruction chimique.

Les aides octroyées le sont par seuils de 70 %, 80 %, 90 % de couverture correspondant à des paniers d’interventions croissants 15, 30 et 45 € par hectare.

Cultures favorables à l’environnement et maillage écologique

On peut aussi évoquer l’éco-régime des « cultures favorables à l’environnement » de minimum un hectare avec interdiction d’utilisation d’insecticides. La mesure porte sur trois variantes, les légumineuses fourragères, les cultures moins intensives et les cultures en mélange qui permettent d’être éligibles à une intervention de 380€ par hectare.

Nous pouvons aussi pointer l’éco-régime « maillage écologique » dont le but est d’encourager le maintien et le développement des zones favorables à la biodiversité. « L’idée est d’avoir des hectares qui traduisent les différents dispositifs environnementaux et donnent droit à une compensation pour le service de protection et de structuration de l’écosystème » a précisé le ministre régional.

On y retrouve par exemple les haies, les arbres, bosquets, mares, les UG5 en Natura2000. Un calcul existe pour chaque dispositif a indiqué M. Borsus en précisant que chaque élément bénéficiera d’un coefficient de valorisation environnemental. Ces « hectares environnementaux » ne pourront dépasser 40 % de la SAU de l’exploitation, a-t-il précisé.

Autant d’éléments qui constituent le nouveau concept d’architecture verte regroupant, outre les éco-régimes, les MAEC ainsi que la conditionnalité renforcée qui prend notamment la forme de BCAE, des exigences environnementales spécifiques aux pratiques agricoles afin de protéger les ressources naturelles et la biodiversité.

Coup de pouce au maraîchage sur petites surfaces

Dans le deuxième pilier, le montant total du soutien à l’agriculture biologique sera de 140 millions € pour la nouvelle programmation. Cette mesure s’inscrit dans la continuité du « Plan Bio 2030 » initié par la Wallonie en juin 2021 dont l’objectif est d’atteindre 30 % de la SAU en bio contre seulement 12 % en 2020.

Les principales évolutions sont une majoration significative des aides de plus de 7 % pour les zones vulnérables.

Un soutien spécifique sera octroyé au « maraîchage diversifié sur petites surfaces ». Il prendra la forme d’une aide de 4.000€ par hectare pour les agriculteurs qui déclarent au maximum 3 hectares de maraîchage.

Le ministre Borsus s’est également penché sur les indemnités compensatoires dans les zones à contraintes naturelles et spécifiques (IZCNS) de 50€ par hectare et par an pour les 20 premiers hectares, 30€ par hectare pour les suivants avec un maximum de 75 hectares.

Natura2000, l’UG05 reprise dans les éco-régimes

Pour mémoire, la Wallonie compte 140 sites en Natura2000 qui recouvrent 13 % du territoire wallon et concernent près de 4.600 agriculteurs et 60.000 propriétaires forestiers.

Le ministre régional a évoqué les deux sortes d’indemnités pour les agriculteurs selon les types d’unités de gestion (UG) concernés par la parcelle. De l’ordre de 460€ (au lieu de 440€) par hectare pour les prairies à contraintes fortes et de 1.100€ par hectare pour les bandes extensives le long des cours d’eau.

À noter que l’on ne retrouve plus l’UG05 qui a été reprise et valorisée dans l’éco-régime « maillage écologique ». Initialement éligible à 100€ par hectare dans la Pac actuelle, elle le sera désormais « plus substantiellement » dans celle de demain, à 180€ par hectare indique le ministre, en ajoutant que ce point avait fait l’objet d’un débat avec les services de la commission.

Aide aux investissements non productifs

Ces aides permettent notamment de financer les agriculteurs qui réalisent des aménagements pour lutter contre les phénomènes liés à l’évolution climatique (coulées boueuses, ravinement, inondations par ruissellement).

Ces investissements comprennent notamment l’implantation de barrages filtrants, la création de fossés et de noues, le creusement de mares tampons et de bassins de rétention ou encore le colmatage de drains en zone humide permettant de restaurer la capacité d’infiltration de ces zones.

« Cela ne rapporte rien, mais cela préserve les voisins et les quartiers » a précisé M. Borsus.

La prise de charge de ces investissements est de 100 % avec un plafond d’aides limité à 30.000€ maximum par agriculteur sur la période 2023-2027.

Le ministre régional a par ailleurs passé en revue les aides visant la transformation et la commercialisation de la production en produits agricoles ou non agricoles, ainsi que ceux liés à la diversification non agricole.

Une liste de coûts simplifiée et d’investissements a été fixée avec un taux de base d’intervention de 20 % pour les agriculteurs ou les sociétés coopératives de transformation et de commercialisation (SCTC) et de 10 % pour les PME avec la possibilité de majorations en fonction de certains critères (qualité différenciée, diversification des activités et amélioration des performances environnementales…).

Aides à l’installation des jeunes agriculteurs

Le renouvellement générationnel est l’un des chevaux de bataille du gouvernement wallon. On rappellera que l’aide forfaitaire à la reprise ou création d’une exploitation agricole par un jeune (âgé de maximum 40 ans et 364 jours à la date d’introduction de la demande) s’élève à 70.000€.

L’aide sera versée en tranches successives, dont la dernière de 25 % sera octroyée en fin de plan et après vérification de l’atteinte des objectifs, du seuil de viabilité et du changement de statut pour les demandeurs ayant un statut complémentaire et passant donc à titre principal.

La suppression de l’obligation de développement qui pouvait parfois conduire à un agrandissement déraisonné est l’une des nouveautés de cette programmation.

il faut toutefois que « l’installation puisse se traduire par une perspective de rémunération minimale pour assurer la viabilité de l’activité » a souligné M. Borsus précisant qu’elle était quantifiée à 15.000€ de revenus par personne physique identifiée au Sigec.

Une autre nouveauté offre la possibilité d’accès à l’aide pour les jeunes à titre complémentaire avec engagement de passer à titre principal à l’échéance de cinq ans maximum.

Enfin, la prise en compte des installations dans l’horticulture dans les critères de sélection de projets fait également partie des innovations de cette programmation.

Le budget total de cette mesure s’élève à 35 millions €, soit 6,58 % du budget associé au deuxième pilier.

Un simulateur au service des agriculteurs

Outre sa complexité, la mouture de cette nouvelle Pac suscite de nombreuses interrogations, voire craintes. Bien conscient qu’il faudra du temps, un accompagnement et des explications complémentaires, le ministre Willy Borsus a demandé à ses services de se rendre disponibles et de travailler « dans une attitude partenariale » avec les agriculteurs.

Il a également annoncé la mise en œuvre par l’administration d’un « simulateur » qui sera à disposition des agriculteurs pour les aider dans leurs prises de décisions tant toutes les nouvelles mesures les conduiront à opérer des choix dont ils pourront mesurer les effets en termes de soutien concret.

Marie-France Vienne

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