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Tous ensemble, tous ensemble !

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Les amateurs de football vont être particulièrement gâtés durant les prochaines semaines : play-off dans le championnat belge, phases finales des coupes d’Europe, en attendant la grand-messe de la coupe du monde des nations en Russie. Le foot est avant tout un sport d’équipe ; un joueur seul, aussi doué soit-il, ne vaut rien s’il ne met son talent au service du collectif. L’agriculture, quant à elle, est un sport tout ce qu’il y a de plus individuel, mille fois hélas, et nous devons nous battre chacun pour soi contre des équipes parfaitement rodées : commerçants en aval et en amont, banquiers, administrations… Les matchs sont déjà perdus avant de jouer. Saurons-nous un jour conjurer cette malédiction, nous regrouper, nous faire respecter, faire bloc et parler d’une seule voix pour gagner notre vie décemment ?

À quelque chose, malheur est bon ! Le scandale Veviba a mis en perspective un grand nombre de problèmes, et particulièrement, justement, la façon dont notre individualisme forcené est exploité par les autres acteurs de la filière agro-alimentaire. Les autres maillons du commerce de la viande ont beau jeu de nous imposer leurs exigences et leurs prix d’achat, car chacun pris séparément, nous ne faisons guère le poids pour nous défendre efficacement. La FWA annonce la constitution d’une coopérative d’éleveurs, sous sa houlette, susceptible de reprendre l’outil d’abattage et de transformation de Bastogne. Bien évidemment, j’applaudis cette initiative à quatre mains. Mais tout le monde n’est pas de mon avis… Les esprits chagrins promettent tôt ou tard une foire d’empoigne entre agriculteurs, « qui n’ont pas du tout l’esprit d’équipe inscrit dans leurs gènes, et se la joue perso dans tous les cas » (sic).

Nos gènes, notre ADN, seraient-ils pervertis ? Où est passé le célèbre et inoxydable atavisme paysan, pétri de solidarité ? Dans son exposition consacrée au peintre-paysan André Bosmans, le Musée en Piconrue de… Bastogne justement, a publié un livre consacré à l’artiste, un bel ouvrage intitulé « La Fourche, la Plume et le Pinceau ». L’histoire de la paysannerie des villages ardennais y est expliquée avec l’œil acéré du peintre. On peut lire dans la conclusion : « La vieille paysannerie est morte, et les survivants naviguent sur le Radeau de la Méduse, prêts à se dévorer les uns les autres pour continuer à vivre. Autrefois, les communautés paysannes vivaient en « nous » solidaires ; les exploitants d’aujourd’hui vivent en loups solitaires… »

Les propos sont choquants, mais hélas bien trop vrais ; dans le récit du livre, ils s’inscrivent en point d’orgue d’une démonstration aussi fascinante qu’instructive, laquelle retrace la vie dans nos campagnes, depuis l’avènement de l’agriculture au cours du Néolithique jusqu’aux jours d’aujourd’hui. Durant l’Ancien Régime, les communautés paysannes de nos villages vivaient une solidarité sans faille ; pressurées par les nobles et le clergé, c’était pour elles une question de survie. À partir du 19e siècle, ces noyaux villageois ont éclaté en structures familiales, soudées chacune en interne par un patriarcat égocentrique et impitoyable. Cette agriculture dite « familiale » a perduré jusque dans les années 1960, et puis a fondu rapidement sous le soleil incandescent de la PAC. Les neuf dixièmes des exploitations ont disparu depuis lors, et il ne reste que nous, ces « loups solitaires », sans cesse vilipendés, dépenaillés et aux abois, qui vivotons avec nos primes sous perfusion, tandis que nos produits nous sont achetés à vil prix.

La création d’une « meute », d’une coopérative d’éleveurs, va-t-elle changer la face de notre agriculture ? Quelques questions restent en suspens. S’agira-t-il d’une coopérative semblable aux coopératives laitières ? Faudra-t-il être membre de la FWA pour y adhérer ? Le site de Bastogne lui sera-t-il confié ?

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors, ils l’ont fait ». Puisse cette citation de Mark Twain se vérifier ! Tous ensemble, tous ensemble…

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