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Gagner en efficacité et productivité ?

Le smart farming vous y aide au quotidien

Augmenter la productivité de son matériel ? Accroître les rendements des cultures tout en réduisant l’utilisation des intrants ? Diminuer l’empreinte environnementale de ses activités ? Nul doute que chaque agriculteur ou entrepreneur répond par l’affirmative à ces questions et veille quotidiennement à leur pleine réalisation. Il est toutefois difficile d’obtenir des données fiables sur lesquelles se baser pour prendre les meilleures décisions pour la conduite des futures cultures de façon objective et précise sans outils spécifiques. Le smart farming est sans conteste la solution à cette problématique. Rencontre avec deux spécialistes de la question, travaillant chez Cofabel, importateur John Deere en Belgique.

Temps de lecture : 13 min

L’objectif du smart farming est simple : collecter un maximum de données sur les travaux réalisés pour les exploiter ensuite dans le but d’accroître les résultats de l’exploitation, tant en ce qui concerne l’utilisation optimale du matériel et des intrants, que la gestion des cultures ou encore les bilans économique et environnemental. Pour ce faire, ce concept a abondamment recours aux nouvelles technologies. Comme chacun le sait, ces dernières ont complètement révolutionné nos vies quotidiennes depuis quelques années et les progrès en la matière évoluent à une vitesse folle. L’agriculture n’échappe pas à cette tendance, comme en témoignent les recours aux satellites, drones, capteurs et logiciels les plus divers dans nos fermes et parcelles. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à parler de révolution numérique.

Si le smart farming a de plus en plus le vent en poupe auprès des constructeurs de machines agricoles qui ne cessent d’innover en la matière et même de proposer en standard certains de ces équipements, force est de constater que cette évolution est plus lente au niveau des utilisateurs belges. Comme le fait justement remarquer l’un des experts rencontrés, le chef d’exploitation est généralement relativement âgé dans notre pays et ne se montre guère sensible à ces technologies.

La tendance est plutôt à voir le fils ou la fille de celui-ci mettre le pied à l’étrier, souvent en débutant avec un système de guidage des machines ou d’aide à la facturation. Ensuite, au vu des résultats encourageants engrangés, ces clients complètent progressivement leur équipement. Ces personnes peuvent bien entendu être des agriculteurs mais aussi des entrepreneurs de travaux agricoles qui comprennent que le smart farming constitue une opportunité de travail différencié par rapport à la concurrence et peut apporter une réelle plus-value à leurs clients.

Il nous est paru opportun de faire le point, à travers ce dossier, sur les potentialités offertes à ce jour par le smart farming dans le domaine de la récolte des céréales. Pour ce faire, nous avons rencontré Erik De Ridder, responsable machines de récolte John Deere chez Cofabel, et son collègue, Matthias Appel, responsable solutions de gestion de l’agriculture. Tous deux sont non seulement spécialistes de ces matières mais aussi observateurs de l’évolution et des tendances des technologies liées au smart farming.

Une machine de plus en plus automatisée

D’emblée, Erik évoque l’évolution très rapide de ces technologies sur les moissonneuses-batteuses, visant à rendre ces machines de plus en plus efficaces et à faciliter la tâche du conducteur. Et les possibilités offertes par le smart farming ne s’arrêtent pas à une utilisation plus efficiente des machines ; les données recueillies peuvent être exploitées avec énormément de précision pour mieux connaître ses parcelles et préparer les saisons de cultures suivantes.

Les moissonneuses-batteuses se voient dotées d’un niveau d’automatisation de plus en plus élevé ; la qualité du travail fourni, par exemple, devient de plus en plus indépendante des conditions de récolte ou de l’expérience du conducteur, grâce à la gestion électronique et autonome des organes de battage et de nettoyage par la machine elle-même.

La liste des possibilités d’automatisation offertes par une moissonneuse-batteuse moderne est particulièrement longue. Ainsi, Erik détaille-t-il à titre d’exemple quelques dispositifs présents sur les moissonneuses-batteuses John Deere de la série S.

Système de réglage automatique

La moissonneuse-batteuse est une machine dont les réglages doivent faire l’objet de toutes les attentions. Il est en effet primordial que ceux-ci soient adaptés à l’espèce végétale et à la variété de la plante récoltée, aux conditions rencontrées… Les réglages optimaux ne sont pas toujours évidents à définir, d’autant plus que les conditions peuvent varier à l’intérieur d’une même parcelle.

La série S du constructeur américain offre trois possibilités de choix pour la sélection des réglages. Le premier système, relativement basique, permet au conducteur de sélectionner des pré-réglages programmés en usine pour chaque type de récolte. Ceux-ci doivent bien évidemment faire ensuite l’objet d’ajustements pour s’adapter aux conditions du moment, ce qui nécessite un certain niveau d’expertise de la part du conducteur.

La seconde solution permet au chauffeur de sélectionner le paramètre qu’il souhaite prioriser en ce qui concerne la qualité de son travail : qualité du grain, perte de grains, propreté du grain ou état de la paille. La machine propose alors différentes solutions de réglages que l’opérateur peut accepter ou non.

Enfin, le dispositif le plus évolué se base sur une valeur de consigne encodée par le conducteur relative à deux paramètres : grains cassés et propreté du grain. Des caméras situées dans les élévateurs à grains et à otons analysent en continu ces deux facteurs et le système gère automatiquement les réglages nécessaires pour atteindre la performance-cible initialement programmée.

Cette solution technologique de pointe rend superflus les ajustements manuels de réglage et simplifie dès lors la tâche du conducteur, tout en garantissant un niveau de performances constant indépendamment des conditions de récolte. Ces résultats peuvent se révéler précieux par exemple lors du recours à un opérateur peu expérimenté ou lors de changements fréquents de chauffeurs, la machine gérant elle-même ses performances.

Calibrage automatique des capteurs

Les capteurs de rendement et d’humidité sont répandus sur les moissonneuses-batteuses. Cependant, il est à relever que nombre d’entre eux sont mal utilisés, de par le fait qu’ils sont souvent rarement (voire jamais) calibrés. Comme le signale Matthias, même le meilleur des capteurs nécessite une calibration régulière pour fournir des mesures qui soient les plus exactes possibles. Cette réalité est malheureusement souvent ignorée ou snobée sur le terrain.

La procédure classique de ce calibrage consiste à peser le contenu d’une benne de céréales récoltées, puis à encoder cette valeur dans l’ordinateur de bord pour que le système procède à la calibration du capteur. Ce modus operandi peut générer certains problèmes : nécessité d’un pont-bascule, erreur de communication entre les chauffeurs du tracteur et de la moissonneuse-batteuse, petites parcelles, changement de variété… Les constructeurs travaillent au développement d’outils facilitant ces opérations.

Chez John Deere, ce calibrage peut s’effectuer en continu sans intervention du conducteur. Trois pesons placés dans la trémie mesurent la masse des grains, permettant l’étalonnage en temps réel du capteur de rendement, tout en prenant en compte les mesures du capteur d’humidité.

Les mesures des pesons ne sont plus prises en compte lorsque la trémie penche de plus de 4º, en raison du déplacement de la masse de grains dans celle-ci. L’imprécision des mesures causée par les conditions de récolte ou encore l’usure de la chaîne de l’élévateur saison après saison est ainsi fortement limitée.

La précision des cartes de rendement en est grandement améliorée, ce qui conduit à une meilleure définition des cartes d’application (semis, pulvérisations, fertilisations) pour ceux qui ont recours à l’agriculture de précision pour la gestion de leurs cultures.

Gestion automatique de la vitesse d’avancement

Plusieurs constructeurs proposent une gestion automatique de la vitesse d’avancement en fonction des conditions rencontrées, la machine ralentissant dans les zones de récolte abondante et accélérant dans les zones moins fournies. Ceci permet de maintenir constant le flux de produit à travers les organes de la machine, et donc d’exploiter les capacités de celle-ci de façon optimale. Pour faire fonctionner un tel système, des capteurs mesurent en permanence la charge sur les organes de battage et sur le moteur, ainsi que le niveau de perte de grains.

Compensation automatique des dévers et des pentes

Si les dispositifs de compensation des dévers (gauche-droite), qui maintiennent à l’horizontale soit le caisson de nettoyage, soit le châssis entier de la machine, sont bien connus sur ces engins, l’un ou l’autre constructeur les complète avec des solutions de compensation des pentes (avant-arrière). Par exemple, dans le cas de la gamme de machines étudiées, le système adapte automatiquement les ouvertures des grilles à otons et à grains, tout en ajustant la vitesse du ventilateur.

Synchronisation automatique avec le tracteur lors de la vidange de la trémie

Les opérations de vidange sont récurrentes et font par conséquent aussi l’objet d’études de la part des constructeurs. John Deere propose un système permettant d’automatiser la trajectoire suivie par le tracteur lors de la vidange en marche de la trémie.

Le tracteur peut visualiser à distance le niveau de remplissage de la trémie de la moissonneuse-batteuse (voire de plusieurs machines simultanément), ce qui lui permet de rejoindre la machine de récolte au moment opportun. Une fois placé à ses côtés, la direction de l’ensemble tracteur-benne est commandée par la moissonneuse-batteuse, dès le moment où le conducteur du tracteur valide cette option. Les deux véhicules adoptent ainsi des trajectoires parfaitement parallèles, même en courbe, et se retrouvent à la distance optimale l’un de l’autre pour procéder à la vidange de la trémie. Afin de remplir la benne de façon complète et uniforme sur toute sa longueur, le conducteur de la moissonneuse-batteuse contrôle et peut modifier la vitesse du tracteur.

Ce système repose sur l’utilisation des systèmes de positionnement des deux machines (GPS) et sur l’utilisation d’un signal radio de commande entre celles-ci. Outre une réduction du stress des conducteurs, ce dispositif élimine le risque de collision entre les véhicules, d’autant plus grand que la barre de coupe est large et que l’environnement de travail est poussiéreux.

Exploitation des données

Outre ces dispositifs d’automatisation de la machine, de multiples capteurs effectuent en permanence de nombreuses mesures. Ces dernières sont collectées et peuvent être exploitées à diverses fins dans le cadre du smart farming.

Divers logiciels ont été développés pour gérer ces données. C’est également le cas chez John Deere, qui propose un portail agricole de gestion ouvert à tous et gratuit : MyJohnDeere.com. Avec celui-ci, il est notamment possible de créer et visualiser les parcelles, les travaux réalisés et prévus ou encore des registres d’application (utilisation de produits phytopharmaceutiques…).

Les premières données importées d’une moissonneuse-batteuse (transfert par clé USB ou sans fil) sont bien entendu celles concernant le rendement et l’humidité qui, couplées à la localisation GPS, permettent d’établir des cartes de rendement et d’humidité. Les disparités de rendement et d’humidité dans un même champ peuvent alors être aisément repérées. Une fois leur cause déterminée, il devient possible de traiter ces variations de façon orientée, par exemple par une modulation quantitative et zonale des intrants.

L’étude des causes de ces disparités est une phase relativement longue et complexe, au cours de laquelle généralement diverses informations nécessitent d’être recoupées sur plusieurs années : analyses de sol, imagerie de drones, mesures de biomasse, relevés météorologiques… Le portail susmentionné facilite ces opérations en hébergeant des applications développées par des entreprises spécialisées du monde entier.

Par exemple, les images prises par des drones peuvent être visualisées sous le même format que sur les cartes de rendement et superposées à celles-ci, ce qui aide à l’établissement des cartes d’application d’intrants pour la culture suivante. Des convertisseurs sont présents pour transformer des données qui ne le seraient pas au format ISOXML internationalement utilisé.

Le champ des possibles avec ce type de portail ne cesse de s’élargir et semble infini. À titre d’exemple, Matthias évoque une application permettant de définir le relief d’une parcelle, d’y simuler des épisodes pluvieux et, ainsi, d’identifier les zones plus sèches et au contraire celles les plus sensibles aux eaux stagnantes. Cette application définit elle-même les lignes de drainage les plus efficaces.

MyJohnDeere.com participe également au smart farming en proposant les parcelles les plus intéressantes pour les emblavements des années à venir : il suffit à l’agriculteur d’introduire la superficie envisagée pour la culture en question. Le système analyse les résultats obtenus sur les différentes parcelles avec cette spéculation par le passé et propose l’emblavement sur les meilleures parcelles, tout en tenant compte de l’indispensable impératif de rotation des cultures.

L’exploitation de données relatives au fonctionnement de la machine peut également se révéler très utile. Avec l’accord du propriétaire, le concessionnaire peut avoir accès à distance et en temps réel aux informations affichées sur le moniteur en cabine. Il ne peut cependant pas opérer directement de commandes, insiste Erik et ce pour d’évidentes raisons de sécurité.

Ceci lui permet, en cas de dysfonctionnement, d’avoir d’entrée de jeu connaissance des informations pertinentes et soit de régler la situation par téléphone, soit de partir en dépannage en connaissance de cause avec le matériel et les pièces de rechange nécessaires.

Si un opérateur possède plusieurs moissonneuses-batteuses, il peut visualiser également en temps réel le fonctionnement de chacune d’elles (ainsi que son historique). Il lui est de la sorte possible de comparer les performances de celles-ci et de faire adopter des modifications de réglages à l’un ou l’autre chauffeur. La John Deere série S, comme d’autres modèles du constructeur, envoie même une carte de vitesse d’avancement dans la parcelle, permettant à l’entrepreneur de contrôler ce paramètre essentiel pour la qualité du travail.

L’exploitation des données télématiques va encore plus loin, avec des systèmes de prévision de pannes. Ces données peuvent être transmises depuis la moissonneuse-batteuse vers un serveur central qui les analyse et envoie le cas échéant une alerte au concessionnaire concerné.

Matthias prend pour exemple un capteur qui mesurerait des vibrations anormales sur un arbre tournant. Le système est en mesure, sur base des informations transmises par la machine, de définir l’échéance de survenue de la panne et en avise le concessionnaire. Ce dernier peut alors adopter une démarche pro-active et avertir son client qu’il y a lieu d’effectuer une intervention sur sa machine, ce qui évite une immobilisation de longue durée, des réparations plus coûteuses et permet à l’opérateur de choisir le moment qui lui convient le mieux dans l’intervalle de temps fixé.

L’avenir

On le voit, ces technologies sont aujourd’hui déjà très poussées. En fin observateur du secteur, Matthias nous assure que cette évolution est loin d’être terminée et que l’une des prochaines étapes sera le développement de l’intelligence artificielle (IA) dans la gestion agricole.

Actuellement, les systèmes collectent une masse colossale d’informations encore largement sous-exploitées. Le but sera de croiser toutes ces données pour que le logiciel puisse fournir les propositions de prise de décision les plus pertinentes.

Par exemple, il est aujourd’hui possible d’envoyer des avertissements par rapport à l’arrivée ou la présence d’agents pathogènes des cultures parcelle par parcelle, en croisant les données de localisation, les prévisions météorologiques et les enregistrements de traitements phytosanitaires : le logiciel observe les pulvérisations réalisées dans l’environnement immédiat et suit ainsi l’avancée du « front d’attaque » de la maladie, en tenant compte des conditions locales. Il peut alors prévenir les fermes situées sur la trajectoire de son modèle de l’arrivée imminente du pathogène et conseiller une surveillance ou un traitement.

De tels développements sont promis à un bel avenir. Bien entendu, ce type de prévision est d’autant plus efficace que le nombre d’utilisateurs est important. Il est utile de relever que ces informations sont traitées anonymement.

Un second axe de développement avancé par Matthias pour les années à venir réside dans le « phenotyping ». Il s’agit ici toujours d’analyser les cultures pour mieux les gérer. Cependant, cela ne se fait plus au niveau de la parcelle ou de zones dans la parcelle mais au niveau de la plante individuelle. L’objectif recherché consiste à définir et garder en mémoire l’état et l’aspect de chaque plante dans le champ (santé, biomasse, nombre de feuilles, forme…) pour la traiter individuellement.

Si plusieurs technologies utilisables dans ce cadre existent déjà, il reste une pierre d’achoppement majeure : le phenotyping repose sur la gestion d’une quantité astronomique d’informations. Si cette gestion s’avère difficilement réalisable actuellement, il y a fort à parier que, avec les progrès enregistrés continuellement en informatique et la mise en place de systèmes de transfert de données sans fil de nouvelles générations (5G, 6G…), cette barrière devrait être levée dans un futur relativement proche…

N.H.

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