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Le pâturage hivernal,une opportunité à saisir!

Dans le cadre du programme Cap Protéines, Lucie Morin, de la ferme expérimentale de la Blanche Maison (Manche), Julien Fortin, ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou (Maine-et-Loire) et Tom Duperret, de la ferme expérimentale de Trévarez (Finistère), ont présenté, au Space, les premiers résultats de leur étude sur le pâturage hivernal dans le Grand-Ouest de la France, une problématique très actuelle !

Temps de lecture : 8 min

«  Nous sommes partis d’un constat qui se fait depuis plusieurs années », explique d’emblée Tom Duperret, de la ferme de Trévarez. « Nous avons la chance sur nos différents sites expérimentaux de pouvoir mesurer la dynamique de pousse de l’herbe quasiment tout au long de l’année. Nous nous sommes rendu compte, tant qualitativement que quantitativement, que la pousse hivernale était de plus en plus marquée avec un démarrage de plus en plus précoce et une absence de croissance sur l’hiver. En moyenne, les trois sites enregistrent 10 kg de pousse supplémentaire/ha/jour. La question de la pertinence d’aller chercher cette ressource alimentaire se pose, d’autant que d’un point de vue théorique elle pourrait présenter de nouveaux avantages. »

Toutefois certaines contraintes se marquent :

– dans bon nombre de situations, des excès d’eau hivernaux ;

– la portance du sol, en parfaite corrélation avec les excès d’eau ;

– la méconnaissance de la quantité de biomasse disponible sur cette phase hivernale et la qualité alimentaire que l’on peut lui associer.

La question de la stratégie de conduite des animaux pour parvenir à valoriser cette ressource se pose également.

Le pâturage hivernal n’a pas d’effet délétère sur la productivité totale de la prairie.
Le pâturage hivernal n’a pas d’effet délétère sur la productivité totale de la prairie. - Ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou

Se donner les moyens

de trouver des solutions

« Suite à ces constats, nous avons travaillé sur les techniques de pâturages en faisant jouer des effets sur les catégories animales, les notions de chargement moyen et instantané avec derrière des impacts ou non sur la détérioration éventuelle de la prairie. »

Ils se sont ensuite intéressés au potentiel de valorisation du couvert.

Une partie végétale,

l’autre animale

Pour y répondre, un dispositif a été mis en place sur les trois sites : une partie animale, l’autre végétale (le témoin).

Sur la partie animale, les chercheurs se sont attelés à mesurer la croissance sur la durée de pâturage hivernal tout en mesurant la quantité de matière sèche que les animaux ont pu ingérer en prairie.

À Trevarez, 12 génisses holstein gestantes de 19 mois ainsi que 5 génisses croisées (trois voies) gestantes de 20 mois ont été en pâturage tournant. Elles restaient en moyenne sur des paddocks vaches laitières : 10 jours pour la partie conventionnelle et 15 jours pour la partie bio. En conventionnel, 3 mois de pâturage tournant (de début novembre à fin janvier) contre 2 en bio (de début décembre à fin janvier. Les hauteurs d’herbes d’entrée en paddock étaient respectivement de 9 et 8,2 cm. Les charges : 0,3 UGB/ha, soit 2,85 /ha en charge instantanée en conventionnel ; 0,8UGB/ha soit 2,85 UGB/ha en charge instantanée en bio. A noter que la prairie temporaire était en Ray-grass anglais et trèfle blanc.

À Thorigné-d’Anjou , les essais ont été réalisés sur des bœufs limousins et et des bœufs et génisses croisés limousins/angus en croissance de 12 à 24 mois. Un pâturage hivernal y a été comparé à un témoin non pâturé. Durant les deux mois de test (décembre et janvier), les chargements moyens étaient de 0,5UGB/ha et de 7UGB /ha en termes de chargement instantané, avec changement de parcelle tous les 5 jours. Hauteurs d’herbe à l’entrée : 7,6 cm, donc relativement basse. LA composition prairiale : fétuque élevée, Ray-grass anglais, trèfle blanc, trèfle hybride et lotier.

À la Blanche maison , une quinzaine de bœufs normands en croissance, de 12-24 mois, sont restés en prairie durant l’hiver (début novembre à mi-février, selon 2 modalités de pâturage : libre et tournant. Un lot est donc resté sur une seule et même parcelle (charge instantanée faible : 1UGB/ha) ; l’autre en paddock de 0,5 ha (chargement instantané de 8UGB/ha), avec une rotation de parcelle de 5jours. Les hauteurs d’entrées étaient à peu près similaires dans les deux dispositifs, à savoir respectivement 10 et 11,5 cm. En termes de flore, il y a de la prairie permanente et temporaire (Ray-grass anglais, fétuque, trèfle blanc, violet et hybride).

Rappelons que les conditions de l’hiver dernier étaient très favorables pour ce premier essai, avec en moyenne 30 % de précipitations en moins, des températures assez douces qui ont conduit à une bonne coupe de l’herbe, des conditions de portance plutôt avantageuses.

Une production hivernale bien valorisée

À Trevarez  :

– en 89 jours de pâturage (système conventionnel), près de 10,5 t MS d’herbe ont été valorisés sur l’hiver par les génisses, soit 0,47 t MS/ha. Notons qu’aucun affouragement n’a été réalisé. Les génisses étaient à l’extérieur 24h/24. La moyenne d’ingestion : 9,1 kg MS/animal/jour ;

– en 62 jours de pâturage (agriculture bio), quelque 2 t MS d’herbe ont été valorisées, soit 0,52 t MS/ha. La moyenne d’ingestion : 7,2 kg MS/animal/jour.

À Thorigné-d’Anjou , la production valorisée en 55 jours de pâturage était de 10,5 t MS, soit 0,42 t MS/ha. L’ingestion moyenne :

7,9 kg MS/animal/jour (78 % d’herbe pâturée, 22 % de foin affouragé en complément sur le pâturage hivernal).

À la Blanche maison :

– sur les 78 jours de pâturage libre, 4,8 t MS d’herbe ont été valorisées sur l’hiver, soit 1,1 t MS/ha. L’ingestion moyenne : 8,8 kg MS/animal/jour.

– sur les 78 jours de pâturage tournant, 5,4 t MS ont été valorisées, soit 1,25 t MS/ha. L’ingestion moyenne : 8,6 kg MS/animal/jour.

Il n’y a donc pas de différence d’ingestion entre les deux modalités.

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Un effet délétère sur la repousse printanière ?

Sur les trois parcelles étudiées à Thorigné-d’Anjou , les rendements des prairies pâturées en sortie d’hiver ont été comparés à celui de la parcelle témoin, qui n’a subi aucune action de pâturage pendant l’hiver. Sa productivité : 2t MS. Dans les parcelles pâturées, la productivité est légèrement supérieure à 1t de MS. Toutefois la quantité d’herbe valorisée en hiver permet d’arriver à une même quantité de biomasse valorisée que l’on soit en pâturage hivernal ou non ( voir Graph. 1 ). Il n’y a donc aucun effet délétère de la pratique sur la productivité totale.

À la blanche maison , la mesure de la croissance de l’herbe sur les différentes parcelles a montré très peu d’écart entre les impacts des deux modalités de pâturage sur la repousse printanière

Comme le montre le Graph. 2 , pour ce qui est de la composition botanique à Trévarez , peu d’effet observé sur la composition des prairies. Celle-ci reste stable en hiver que l’on soit en pâturage hivernal ou non.

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En ce qui concerne les valeurs alimentaires le Tab. 1 , indique que l’herbe d’hiver était de qualité. Elle est jeune et feuillue avec de très bonnes valeurs alimentaires. Très peu de sénescence. « Ce sont des valeurs que l’on peut retrouver sur une herbe de printemps ou d’automne », note Julien Fortin, de la ferme de Thorigné-d’Anjou.

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Un impact positif sur les performances zootechniques

Quel impact zootechnique de cette biomasse ( Cf. tab. 2 ) ?

«  À Thorigné-d’Anjou , les animaux ont tourné autour d’un bon 500g de GMQ, ce qui est une très bonne performance pour le modèle génétique de type allaitant. C’est le genre de performance que l’on espère atteindre avec des conduites en bâtiment qui nécessitent des rations à bases de foin, d’ensilage et parfois de correcteurs azotés car les fourrages y sont légèrement carencés en azote », analyse M. Fortin. « De très bonnes performances avec un régime de 78 % d’herbe pâturée et 22 % de foin. »

« À la Blanche maison , les croissances ont été très satisfaisantes également avec GMQ de 650 g/jour pour des bœufs. Entre le pâturage tournant et le pâturage libre, on ne voit pas trop de différence entre ces deux modalités pour les bœufs de 24 mois. Par contre, sur les bœufs de 15 mois, l’écart était très important. En pâturage tournant, leur GMQ avoisinait les 200 unités quand il était à plus de 800 unités en libre. Ceci doit être répété pour confirmer ces chiffres », analyse Lucie Morin. Elle propose une piste de compréhension avec le manque d’abri dans les paddocks du pâturage tournant, ce dont les jeunes animaux auraient pu souffrir.

«  À Trévarez , les croissances étaient plus que satisfaisantes dans les deux modalités (conventionnel et bio) avec 963 g/j de GMQ et 663 g de GMQ pour les croisées (trois voies) », note Tom Duperret. Il explique cette différence par la génétique plus hétérogène en croisement. « Les attentes derrières les différentes génétiques ne sont pas les mêmes non plus… »

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Les économies observées

Pour Lucie Morin, la première économie se situe au niveau des fourrages conservés, de la paille et des concentrés non utilisés. Autre gain : de la place dans le bâtiment et des économies de temps de travail. La ferme de Trévarez l’a estimé par 20 minutes de moins pour la distribution d’aliments à ces animaux.

« Globalement, durant l’hiver 2021-2022, la pratique a permis aux fermes expérimentales de valoriser 2,5 mois de pâturage supplémentaire, avec des croissances d’animaux très satisfaisantes. Dans ces conditions favorables, le pâturage hivernal est une très belle opportunité à saisir pour améliorer l’autonomie de son exploitation «, conclut ainsi la chercheuse.

Notons que le présent essai sera prolongé dans les années à venir.

P-Y L.

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