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Agricall pour agri stress : you’ll never walk alone !

Temps de lecture : 4 min

Cool Raoul, à l’aise Blaise, j’ai promené comme chaque année ma curiosité de vieil enfant naïf dans la Foire de Libramont. Le soleil exubérant du dehors m’a poussé dans l’ombre du dedans, au Libramont Exibition Congress (LEC) plus précisément, où l’on pouvait rencontrer toutes ces braves gens des organismes et services qui président à nos destinées : nos banques, l’Afsca, l’Arsia, l’Apaq-W, Protect-eau… Dans cet immense agric-hall, j’ai découvert Agri-call, un stand étonnant, intriguant, animé par des dames stressless sans complexes, sympas et sans tracas, surprenantes et charmantes.

Pour les appâter, j’ai joué mon Caliméro, – c’est trop injuste ! –, sur l’air du blues d’un mec qui n’a plus de flouze. C’est un rôle facile à jouer, quand on est agriculteur, naturel et criant de vérité. Je n’ai ni pleuré, ni geint : un peu de dignité que diable ! En faire trop les aurait effarouchées, ces gentilles infirmières de l’âme paysanne, avec leurs mots sparadraps et leurs sourires Dafalgan. Elles m’ont tout de suite délivré leur leçon d’écolières appliquées, avec tact et conviction. «Si le stress vous fait ses cabrioles, sonnez à Agricall ! «You’ll never walk alone», comme la chanson des supporters du FC Liverpool.»

Nous ne marcherons plus jamais seuls, en effet! Ces dames présentes sur le stand étaient touchantes de sincérité : elles savent à quel point le métier d’agriculteur est stressant, ont-elles dit, avec toutes les crises économiques et sanitaires que connaît le métier, la solitude des célibataires (sic), la pénibilité des tâches, les aléas climatiques, sécheresse et inondations, etc., etc. Leurs mines contrites aux yeux rieurs, et leur attitude zéro stress, me donnaient toutes les peines à garder mon sérieux. Pourtant, le sujet était grave ! Mais après tout, l’humour, c’est aussi l’impolitesse du désespoir…

Elles m’ont parlé du stress, maladie du siècle pour tout le monde. Le bon stress vous stimule, le mauvais vous consume ; un peu comme la nourriture grasse, le sel, le sucre, l’alcool et le café : un peu, ça va, mais trop, bonjour les dégâts ! Il paraît que nous avons trois cerveaux : le cerveau archaïque instinctif qui veille à la survie de l’espèce ; le cerveau limbique qui stocke les apprentissages ; le cerveau des aires frontales où résident l’intelligence, l’imagination, les émotions. Qu’il frappe l’un ou l’autre de ces trois cerveaux, le stress a le même effet : sécrétion d’adrénaline, emballement des fonctions physiques pour répondre au danger. Nous ne sommes pas tous égaux devant le stress : certains fabriquent davantage de sérotonine, hormone de la sérénité. La zen attitude est génétique, paraît-il… Merci Papa, merci Maman, de m’avoir bien pourvu !

Le mauvais stress frappe à l’aveugle, en continu ; il provoque un court-circuit entre les trois cerveaux, et un effet d’emballement incontrôlé, destructeur s’il perdure. Les agriculteurs sont particulièrement exposés. Ils subissent au quotidien d’intenses pressions économiques et financières, sociales et familiales, environnementales, et tout ceci dans un contexte de tâches physiquement éprouvantes. Bref, trop, c’est trop ! Les bonnes âmes politiques et administratives qui nous dirigent l’ont bien compris : elles ont mis sur pied des asbl ad hoc, au début des années 2000, quand elles ont vu à quel rythme effarant les fermes disparaissaient ou périclitaient, le nombre de suicides et de dépressions nerveuses dans le monde agricole. Fort belle initiative, avec de fort belles personnes pour répondre à la détresse paysanne. Un peu comme les Allemands et les Américains, lors des deux guerres du 20e siècle, qui venaient tout casser chez nous, puis installaient des postes médicaux pour soigner les civils blessés… D’abord, on vient vous taper dessus, puis on vous propose des pansements et des soins !

Le monde agricole subit semblable scénario. On nous pourrit la vie par toutes sortes de directives, de normes, de plans de lutte, de formalités et autres obligations anxiogènes, – sanitaires, environnementales, administratives –, puis on envoie les anges blancs nous sortir du cloaque émotionnel où certains d’entre nous barbotent désespérément. Les instances dirigeantes ont toujours le beau rôle, quoi qu’il advienne. Elles secourent les pauvres andouilles que nous sommes, après nous avoir placés sous une pression démentielle et détruits psychologiquement. Allez comprendre ce qui se passe dans la tête de ces gens ! Sans doute veulent-ils se donner bonne conscience, et justifier leur travail de sape en nous proposant leur aide, a posteriori, quand le mal est fait ? Surréalisme à la belge, ou machiavélisme ? C’est à pleurer de rire, ou de consternation…

Mais l’espoir reste, on va dire ça comme ça, puisqu’il existe des asbl consolatrices. J’ai découvert à Libramont son concept nec plus ultra, dans un LEC pas si ultra. «You’ll never walk alone» – vous ne marcherez plus jamais seuls –, m’ont affirmé les anges missionnaires aux sourires analgésiques. Nous n’en doutons pas : toujours des gens pour nous embêter, puis d’autres pour nous consoler. Jamais seuls…

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