Pour les appâter, j’ai joué mon Caliméro, – c’est trop injuste ! –, sur l’air du blues d’un mec qui n’a plus de flouze. C’est un rôle facile à jouer, quand on est agriculteur, naturel et criant de vérité. Je n’ai ni pleuré, ni geint : un peu de dignité que diable ! En faire trop les aurait effarouchées, ces gentilles infirmières de l’âme paysanne, avec leurs mots sparadraps et leurs sourires Dafalgan. Elles m’ont tout de suite délivré leur leçon d’écolières appliquées, avec tact et conviction. «Si le stress vous fait ses cabrioles, sonnez à Agricall ! «You’ll never walk alone», comme la chanson des supporters du FC Liverpool.»
Nous ne marcherons plus jamais seuls, en effet! Ces dames présentes sur le stand étaient touchantes de sincérité : elles savent à quel point le métier d’agriculteur est stressant, ont-elles dit, avec toutes les crises économiques et sanitaires que connaît le métier, la solitude des célibataires (sic), la pénibilité des tâches, les aléas climatiques, sécheresse et inondations, etc., etc. Leurs mines contrites aux yeux rieurs, et leur attitude zéro stress, me donnaient toutes les peines à garder mon sérieux. Pourtant, le sujet était grave ! Mais après tout, l’humour, c’est aussi l’impolitesse du désespoir…
Elles m’ont parlé du stress, maladie du siècle pour tout le monde. Le bon stress vous stimule, le mauvais vous consume ; un peu comme la nourriture grasse, le sel, le sucre, l’alcool et le café : un peu, ça va, mais trop, bonjour les dégâts ! Il paraît que nous avons trois cerveaux : le cerveau archaïque instinctif qui veille à la survie de l’espèce ; le cerveau limbique qui stocke les apprentissages ; le cerveau des aires frontales où résident l’intelligence, l’imagination, les émotions. Qu’il frappe l’un ou l’autre de ces trois cerveaux, le stress a le même effet : sécrétion d’adrénaline, emballement des fonctions physiques pour répondre au danger. Nous ne sommes pas tous égaux devant le stress : certains fabriquent davantage de sérotonine, hormone de la sérénité. La zen attitude est génétique, paraît-il… Merci Papa, merci Maman, de m’avoir bien pourvu !
Le mauvais stress frappe à l’aveugle, en continu ; il provoque un court-circuit entre les trois cerveaux, et un effet d’emballement incontrôlé, destructeur s’il perdure. Les agriculteurs sont particulièrement exposés. Ils subissent au quotidien d’intenses pressions économiques et financières, sociales et familiales, environnementales, et tout ceci dans un contexte de tâches physiquement éprouvantes. Bref, trop, c’est trop ! Les bonnes âmes politiques et administratives qui nous dirigent l’ont bien compris : elles ont mis sur pied des asbl ad hoc, au début des années 2000, quand elles ont vu à quel rythme effarant les fermes disparaissaient ou périclitaient, le nombre de suicides et de dépressions nerveuses dans le monde agricole. Fort belle ini