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Vingt-deux ! V’là les poulets !

Temps de lecture : 4 min

Je n’ai jamais très bien compris pourquoi on appelle « poulets » les gendarmes… Pour éclairer ma lanterne et ne pas mourir idiot, mes petits doigts ont tapoté le clavier et consulté vous savez qui ; la réponse a fusé en moins de 0,02 seconde : en 1871, à Paris, une caserne construite à l’emplacement du Marché aux Volailles a été mis à la disposition de la Préfecture de Police, et les membres de cette digne confrérie ont hérité de ce sobriquet pour le moins truculent !

« 22, v’là les poulets ! ». L’arrivée des flics suscite aussitôt la crainte, le respect, l’interrogation, parfois la fuite si l’on a quelque chose à se reprocher. Les vrais poulets ne sont pourtant pas si effrayants ! Cuits au four ou à la broche, en potée ou en bouillon, ils ravissent les palais pour le meilleur et pour le pire. Oui, pour le pire, quand on s’aperçoit qu’ils n’ont pas vraiment été choyés durant leur courte vie, dans les élevages industriels où ils se sont pressés par milliers autour des abreuvoirs et des mangeoires, où leur étaient servis ad libitum des aliments hyperprotéinés mêlés d’additifs miraculeux. Pauvres volatiles, vendus congelés par le Hard-Discount, à deux euros cinquante le kilo ! On comprend pourquoi les policiers n’apprécient guère être appelés « poulets » : on vous brade au rayon boucherie, après vous avoir ignominieusement élevés dans des camps de concentration.

Rien à voir avec nos bons poulets de ferme ! Ils vivent, le temps d’un été, au paradis d’un petit enclos bien gardé, où ils peuvent gambader joyeusement, chanter fièrement le matin, picorer des brins d’herbe et des insectes, gratter le sol à la recherche de vers de terre, se nourrir de bon grain, d’orge ou de froment récolté dans un champ tout proche… Leurs collègues industriels doivent se contenter de farine insipide, composée de céréales de grande culture et surtout de soya américain qui les gonfle de viande fadasse comme des baudruches. Volailles et cochons sont logés à la même enseigne, ainsi que vaches laitières ou bovins à l’engrais, tous nourris ou complémentés à l’aide d’aliments venus de très loin. Ainsi, l’Europe des 28 a importé en 2016 l’équivalent de la production de 50 millions d’hectares de céréales, dont 35 Mds ha de soya, soit l’équivalent de la superficie de l’Allemagne !

Nos vaches, cochons, couvées, passent la tête de l’autre côté de l’Atlantique, mais lèvent la queue ou le croupion de ce côté-ci… Bonjour la pollution aux nitrates ! La viande est produite en quantité pour la transformation et l’exportation, et cette offre surabondante pèse sur nos marchés intérieurs et fait pression sur les prix, y compris sur les prix de la viande rouge des bovins, sur le lait et les œufs. Dès lors, personne n’est heureux dans le monde agricole en Belgique : nos céréaliers, concurrencés par les marchés mondiaux ; les éleveurs de volailles et de cochons, qui peinent à dégager des revenus décents ; les éleveurs de bovins, qui vendent à perte leur lait et leur viande. Il « suffirait » de réguler cet afflux monstrueux de céréales importées, et de privilégier une production liée à nos terres. Cela ne ferait pas l’affaire du commerce belge et international, de l’agro-industrie et des méga-exploitations flamandes, mais le modèle actuel est de toute façon suicidaire pour tout le monde en Belgique : pour l’environnement, le social et l’économie des campagnes.

« 22, v’là les poulets ! Oui, les poulets font peur, et pas seulement pour les risques sanitaires pointés du doigt par les virologues, lesquels craignent l’émergence dans les grands élevages d’un super-virus de la grippe H5N1 voire H1N1, petit frère du virus qui tua cent millions d’hommes dans le monde en 1918-19, deux fois plus que la guerre 40-45 ! Chez nous, les poulets et les cochons représentent à mes yeux cette intrusion de l’agro-industrie dans notre agriculture, cette surproduction de produits animaux qui tue nos marchés et déboussole les consommateurs dans leur ressenti par rapport à notre métier. La PAC a laissé s’emballer un système létal pour la paysannerie, et veut maintenant se refaire une virginité en imposant des mesures de protection de l’environnement, en proposant des démarches agro-écologiques, pour contrer cette pollution venue d’ailleurs, de pays où justement des jungles et des milieux naturels sont détruits pour cultiver du soya, du maïs, de la canne à sucre ou des palmiers.

Comble de l’ironie, -22, v’là les poulets ! –, nos instances agricoles wallonnes encouragent aujourd’hui l’élevage de volailles dans notre belle région, où les bovins viandeux ne font plus rêver… Alors là, plus rêver du tout, plutôt cauchemarder ! Le modèle préconisé n’est pas l’industriel, mais plutôt la « qualité différenciée ». « De nombreux « petits » poulaillers de quelques milliers d’unités poussent comme des champignons un peu partout dans nos villages, adossés à ces grandes étables qui ne rapportent plus rien. L’idée est excellente, si ces sympathiques poulets sont nourris au bon grain de chez nous. Mais s’ils mangent des farines industrielles aux ingrédients venus d’Amazonie ou du Cerrado au Brésil, cette nouvelle diversification viendra alimenter un peu plus les incommensurables ravages causés par les importations massives de soya et autres céréales fourragères. Pauvres poulets, ils nous feront alors vraiment peur…

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