Accueil Archive

Deux Stud-Books

aux chemins divergents

Le 21 mars 2018, quelques mois avant de claquer la porte du gouvernement français, Nicolas Hulot déclarait avec effroi à l’Assemblée Nationale : « Plus on réduit la biodiversité, plus on réduit nos options pour faire face à l’avenir. » Comme tous les animaux vivant sur terre, les chevaux de trait font partie intégrante de la biodiversité au nom de laquelle nous avons l’obligation morale de protéger les races. S’en soustraire revient à en accepter l’extinction.

Temps de lecture : 9 min

Le Stud-Book (traduction littérale « livre du Haras ») est une organisation qui veille et tient à jour la généalogie d’une race de cheval, en l’occurence, celle d’une race de Trait. Cette asbl a de multiples missions.

La première, essentielle, est de définir et de maintenir la race en en décrivant les standards c’est-à-dire les critères.

Un second objectif est d’améliorer la race et d’en éliminer les tares. Les étalons porteurs de tares risquent de transmettre leurs défauts aux nombreuses juments qu’ils sont amenés à saillir annuellement pendant de nombreuses années. Le risque de transmission est nettement plus important chez les étalons que chez les juments qui elles ne sont susceptibles de ne faire naître qu’un poulain par an. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de présenter les mâles devant des commissions d’experts qui sélectionnent les sujets reproducteurs répondant strictement aux critères de la race et qui seront admis à la monte. Ils participeront ainsi au maintien de la race.

Annuellement, des concours de modèles et allures où sont confrontés poulains, pouliches, juments et étalons sont également organisés dans différentes circonscriptions du pays afin de sélectionner les meilleurs sujets qui participeront au concours ultime national dont la plus haute marche du podium fait la gloire des éleveurs. L’asbl gère ces concours et expertises et nomme les jurés. Systématiquement, ces derniers s’attardent à l’anatomie, à la physiologie ainsi qu’au déplacement au pas et au trot de chaque sujet présenté.

La structure est chargée de répertorier tous les résultats des différents concours et de publier annuellement le livre généalogique. Il est attentif à la consanguinité et donne des recommandations aux éleveurs sur le choix des étalons qui reproduiront avec leurs juments afin d’élargir l’éventail génétique de la race ; un point sensible pour les chevaux de trait dont le nombre de sujets est relativement limité.

Visions et divisions

Si les missions des Stud-Books de Chevaux de Trait Belges (CTB) et de Chevaux Ardennais (CTA) sont relativement similaires, les visions de ceux qui les représentent sont sensiblement différentes et les structures des deux organisations sont fondamentalement distinctes. Leurs créations furent d’ailleurs quelque peu tumultueuses.

Le livre généalogique, à l’origine unique, fut fondé à Bruxelles en 1886. La Société Royale « Le cheval de trait belge » considérant que l’Ardennais faisait partie intégrante de la race de trait belge et qualifiait l’Ardennais de « petit cheval de Trait Belge ». Ce fut sans compter sur l’abnégation et le sentiment d’appartenance des éleveurs de la Province du Luxembourg qui créèrent leur propre livre généalogique de la race Ardennaise en 1926 et le premier concours eut lieu en 1927.

En 1935, les deux branches, CTB et CTA furent représentées distinctement au concours national de Bruxelles. En 1948, Fernand Lemaire définit le standard du CTA et en 1985, la séparation des deux Stud-Books eut lieu. Le 31 Décembre 1999, le Stud-Book Ardennais fut définitivement fermé au CTB.

Les divergences politiques au sein de notre pays et la régionalisation allaient aboutir à une division dans le noyau de l’organisation du cheval de trait belge, donnant naissance à une branche wallonne des représentants de la race des traits belges. Pire encore, suite à des querelles et des tensions internes, cette branche wallonne se divisa en deux groupements d’éleveurs wallons : l’Association Wallonne du Cheval de Trait Belge (AWCTB) et les Eleveurs Wallons du Cheval de Trait Belge (EWCTB). Les deux associations furent dissoutes par le Ministère de l’Agriculture Wallon afin de n’attribuer qu’un seul agrément. En 2014, seule l’AWTCB fut reconnue par le Ministère Wallon de l’agriculture alors que la grande majorité des éleveurs de CTB wallons, principalement originaires de la Province du Hainaut, font partie de l’EWCTB. Il n’en fallait pas davantage pour agrandir le fossé et mettre en péril l’avenir du Cheval de Trait Belge qui se traduit par une baisse notable des effectifs : de 1.000 naissances dans les années 80, on compte aujourd’hui environ 450 naissances en Flandre et environ 220 en Wallonie. Une triste réalité que déplore Jan De Boitselier, président du Stud-Book mère, la Société Royale le Cheval de Trait Belge.

N’étant pas sous l’influence des tensions de la régionalisation, l’organisation des éleveurs Ardennais connaît moins de remous et de tensions internes et les rangs restent relativement serrés au sein des protagonistes de la race qui connaît d’ailleurs une légère croissance des effectifs. On compte aujourd’hui en moyenne annuellement 300 naissances d’Ardennais en Belgique.

Cette tendance positive a peut-être pour origine les adaptations qu’a subie ce cheval au cours du temps pour répondre aux besoins du moment. Du cheval artilleur de Napoléon en passant par l’équidé carrossier puis au modèle alourdi par l’apport du CTB, l’Ardennais se tourne à nouveau aujourd’hui vers un modèle allégé, davantage carrossier et pouvant répondre aux besoins de l’attelage et du loisir. C’est en tout cas la vision du Stud-Book du Trait Ardennais afin de trouver une nouvelle voie et un avenir à la race. Michel Ectors, président du Stud-Book du Cheval de Trait Ardennais évoque : « Certains membres de l’asbl, les plus anciens, ne sont pas favorables à cette évolution mais d’autres comme Maurice Olivier, Paul Laurent et moi-même étions en accord avec cette finalité d’un cheval allégé avec davantage d’allures. »

C’est ainsi qu’en 1990, le premier protocole « Arattel » (pour ARabe-ATTELage) fut rédigé et les premiers croisements de juments ardennaises avec des étalons arabes furent initiés. La finalité de ce long protocole (10 ans) est d’obtenir des produits de la troisième génération où ne subsiste plus que 12,5 % de sang arabe dans les veines de l’Arattel reconnu « Ardennais ». Afin d’accélérer le protocole et pour convaincre davantage de l’avenir de la race ardennaise, la race Cob Normande fut introduite à la place de l’Arabe. Le produit visé est ainsi déjà obtenu dès la deuxième génération.

Concrétiser une vision moderne

Si aujourd’hui l’élevage du CTA traditionnel se maintient avec celui de l'Arattel, on peut malgré tout déplorer un conservatisme évident au sein de ce stud-book conduisant à promouvoir davantage le modèle traditionnel. Les activités de loisirs et d’attelage sont les maîtres mots de l’asbl pour évoquer l’avenir du CTA. Les débouchés « utilitaires » modernes tels que les divers travaux d’entretien communaux, la gestion des zones bio sensibles protégées, le tourisme ou encore le maraîchage ne sont en revanche guère pris en considération de façon pragmatique alors que les pouvoirs publics ont mis en place des politiques afin de développer la filière. Les problématiques de changement climatiques sont une source de renaissance du cheval carrossier que doivent davantage accepter les acteurs les moins réceptifs du Stud-Book Ardennais. Certes ceux-ci évoquent les débouchés modernes mais se cantonnent trop aux paroles et aux théories. La place que tient le concours modèle et allures des CTA « traditionnels » le dernier dimanche de juillet à Libramont par rapport à celle que tient le concours des modèles « Arattel » le lundi en est une parfaite illustration.

Les prestataires de services utilisant le Trait démontrent qu’à la fois le modèle lourd et le modèle léger ont un avenir. Olivier Gillet, prestataire de multi services au cheval de travail, preste régulièrement ses diverses activités professionnelles avec un cheval de trait allégé notamment pour évoluer sur des pentes abruptes ou entre les lignes délicates de légumes. Benoît Redant, maraîcher bio professionnel, a sélectionné un cheval de taille réduite pour la traction d’outils sur les planches maraîchères.

L’Arattel a sa place dans les communes rurales ou semi-rurales pour y réaliser les travaux d’entretien.

À l’inverse, une majorité de débardeurs au cheval évoluant dans nos forêts ont une préférence pour le Trait lourd comme Belge ou l’Ardennais de grande taille qui leur assurent un travail plus productif et plus rapide.

De son côté, Jan De Boitselier évoque un standard du CTB qui doit être préservé avec de bons membres et de belles allures pour favoriser le maintien de la race dont la finalité est davantage un cheval de récréation, de loisir et de folklore. Le cheval utilitaire n’est pas une finalité pour ces éleveurs d’évidence très conservateurs dans le nord du pays.

Objectivité des jugements

Il est assez désolant de constater des pratiques trop traditionnelles et révolues sur les rings des concours et d’expertise. La masse de feuilles de raphia couchée sur le dos du cheval jugé et cachant les défauts d’horizontalité du dos est d’un autre siècle et devrait être totalement interdite.

Afin que leur jugement soit davantage objectif, les juges devraient être dans la possibilité d’utiliser des grilles de jugement dans lesquelles ils attribueraient individuellement des points à chacun des critères du standard. Ces grilles, remplies sans concertation entre juges, seraient remises à un secrétariat qui en ferait les moyennes afin de réaliser les classements. Un exemplaire des grilles pourrait être remis au propriétaire du cheval et un autre serait conservé par le Stud-Book. Ce type de jugement semble être assez accepté par le Stud-Book des Ardennais mais n’est toujours pas appliqué dans aucun des deux livres généalogiques.

Il est par contre intéressant de noter que pour la sélection des étalons reproducteurs, le Stud-Book Ardennais a introduit un critère relatif à la lymphangite, une maladie génétique qui atteint les membres des chevaux de trait. Ceux-ci sont fragilisés par cette maladie et leurs performances en sont diminuées. Son étendue est mesurée objectivement par radiographie sur chaque sujet présenté et elle constitue un critère d’exclusion possible.

De nombreux amateurs mais surtout acteurs et parties prenantes des élevages souhaiteraient également que les jugements se fassent « à l’aveugle », c’est-à-dire que le jugement se fasse sans que les juges ne connaissent les noms des chevaux et de leurs propriétaires. Les sujets seraient représentés par un numéro et non plus par un nom. Cette pratique aurait l’avantage d’éviter toute influence d’un juge en faveur d’un cheval ou d’un propriétaire qu’il pourrait délibérément avantager. Tout au moins, cette pratique aurait le mérite d’éviter toute polémique ou palabre allant dans ce sens et donner l’assurance de jugements neutres.

Quelle qu’en soit la race, les chevaux de trait auront un avenir en Belgique si un nombre grandissant de passionnés, de défenseurs et d’utilisateurs en garantit la pérennité. À cet égard, les acteurs des Stud-Books ont le mérite de mettre en place des mécanismes et des événements chevalins qui vont dans le sens de la survie de la race qu’ils protègent.

Valère Marchand

La Une

Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs