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L’UE sacrifie-t-elle son élevage ?

Patrick Bénézit, éleveur cantalien et vice-président de la Fnsea, a dressé, lors du dernier Global Food Forum, un bilan sévère et nuancé de la situation de l’élevage en Europe. Depuis une décennie, le cheptel bovin européen s’est réduit de près de trois millions de têtes, une perte qui traduit une crise profonde et multidimensionnelle du secteur.

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Pendant ce temps, dans des pays comme le Brésil et l’Argentine, le nombre de bovins a explosé, avec plus de 10 millions de vaches supplémentaires sur la même période. Un contraste saisissant qui illustre un basculement des équilibres mondiaux.

« Quand nous supprimions 8 vaches en Europe, eux en ajoutaient 3 dans seulement deux pays d’Amérique du Sud », insiste l’éleveur. Cette asymétrie n’est pas sans conséquences, elle signifie la disparition de dizaines de milliers d’éleveurs européens, ainsi qu’un appauvrissement des territoires ruraux qui étaient jusqu’alors des piliers de la souveraineté alimentaire et des écosystèmes locaux.

Les impacts économiques, sociaux et environnementaux du déclin

Au-delà des chiffres, le constat s’étend aux répercussions économiques et sociétales. La perte d’élevage entraîne un affaiblissement des revenus agricoles, mais aussi une dévitalisation des territoires, avec la fermeture d’écoles rurales, la perte d’emplois indirects, la disparition des savoir-faire locaux et la dilution du patrimoine culturel lié aux campagnes. « Ce n’est pas simplement une question d’animaux. Ce sont des territoires entiers qui meurent », alerte M. Bénézit.

L’impact environnemental est lui aussi tangible, et parfois paradoxal. La diminution du nombre de vaches entraîne la réduction des pratiques agro-pastorales qui entretiennent les paysages, favorisent la biodiversité, et contribuent à la fertilité des sols par la matière organique. Certains territoires, notamment les plus pauvres et vulnérables, se retrouvent démunis face à cette perte de services écosystémiques essentiels. « La biodiversité recule, la matière organique diminue, et cela fragilise la résilience des sols », rappelle le vice-président de la Fnsea.

Une rentabilité insuffisante au cœur du problème

Selon Patrick Bénézit, la cause première de ce recul est d’ordre économique. « La rentabilité n’a pas été au rendez-vous », déclare-t-il. Le prix payé aux éleveurs ne couvre plus suffisamment leurs coûts de production, pénalisant particulièrement les exploitations familiales et de petite taille. Cette défaillance économique pousse progressivement les producteurs à quitter la profession, faute de perspectives financières viables.

Mais cette explication ne suffit pas à elle seule, «il y a aussi des signaux négatifs qui viennent des politiques publiques ». Si ces dernières ne sont pas qualifiées d’« anti-élevage », elles n’ont pas favorisé son développement. L’affaiblissement des aides couplées, essentielles pour compenser les contraintes spécifiques à l’élevage, a notamment contribué à ce déclin. Le budget alloué à la Pac a connu des baisses, et la répartition des aides a parfois été perçue comme injuste par la profession.

Par ailleurs, la multiplication des normes liées au bien-être animal, si elle traduit une réelle demande sociétale, s’est traduite par un renforcement des contraintes réglementaires sans toujours apporter le soutien nécessaire aux producteurs pour s’y conformer. « Cette frénésie normative a contribué à fragiliser encore davantage les éleveurs », analyse-t-il.

Enfin, certaines recommandations alimentaires et discours sur la consommation réduite de viande, diffusés à travers les politiques publiques ou les médias, envoient un message ambigu voire décourageant à une filière déjà fragilisée. « Ces conseils ne correspondent pas toujours à la réalité nutritionnelle et peuvent dévaloriser le travail des agriculteurs », déplore l’éleveur français.

Les accords commerciaux internationaux : une concurrence déloyale ?

Au cœur des préoccupations figure aussi l’ouverture accrue aux marchés mondiaux, qui expose les éleveurs européens à une concurrence souvent jugée déloyale. L’accord commercial avec le Mercosur, notamment, cristallise les tensions. « Le Mercosur est le symbole de ce qu’il ne faut pas faire », affirme Patrick Bénézit. Selon lui, cet accord ne garantit ni la réciprocité des normes sanitaires, ni celle des règles environnementales, plaçant les producteurs européens dans une situation défavorable.

Le contrôle du respect des engagements dans ces accords se révèle très complexe, voire inefficace, selon lui. La commission peine à faire appliquer les clauses relatives à l’interdiction des hormones ou des activateurs de croissance, pourtant présentes dans les textes. Le manque de transparence et de vérifications renforce le sentiment d’injustice et d’impuissance des éleveurs.

Cette situation conduit à une forme de dumping environnemental et sanitaire, qui compromet la compétitivité des élevages européens, déjà soumis à des coûts de production élevés. « Nous importons des produits dont la traçabilité et les conditions de production ne répondent pas à nos standards », s’alarme-t-il.

Vers un modèle européen d’élevage respectueux et rémunérateur

Face à ces enjeux, Patrick Bénézit plaide pour la reconnaissance d’un modèle européen spécifique, fondé sur des pratiques durables, une attention au bien-être animal, et un fort ancrage territorial.

« Nous refusons de produire comme dans certains pays tiers, où l’élevage repose sur l’utilisation massive d’hormones ou de substances interdites ici », insiste-t-il.

Pour pérenniser ce modèle, plusieurs mesures sont nécessaires, selon lui. Il s’agit d’abord de garantir un revenu juste aux éleveurs, condition sine qua non pour maintenir les exploitations en activité. La restauration du couplage des aides, perdu dans la réforme récente de la PAC, est présentée comme un levier essentiel pour soutenir les filières d’élevage.

Il faut aussi rétablir une concurrence loyale, en veillant à ce que les accords commerciaux respectent pleinement les règles de réciprocité, avec des contrôles rigoureux et transparents. La question des origines des produits doit être clarifiée afin que les consommateurs puissent choisir en connaissance de cause.

Au-delà de la rémunération directe, l’éleveur du Cantal appelle à une meilleure reconnaissance des « services rendus » par l’élevage, tels que la gestion des paysages, le maintien de la biodiversité et le stockage du carbone dans les sols, souvent négligés dans les calculs économiques traditionnels. Ces externalités positives mériteraient, selon lui, d’être intégrées dans les politiques agricoles et les aides publiques.

La promotion du modèle européen d’élevage à l’échelle nationale et internationale est également un enjeu majeur, pour valoriser la qualité et la traçabilité des produits et renforcer la confiance des consommateurs.

L’installation des jeunes : un enjeu clef pour l’avenir

Contrairement à certains clichés, l’élevage conserve un attrait réel auprès des jeunes. « Nos écoles agricoles sont pleines, les jeunes veulent s’installer », assure patrick Bénézit. Cette dynamique est une source d’espoir, mais elle ne suffit pas. Pour transformer cette volonté en réalité, il faut créer un environnement favorable, avec des dispositifs d’accompagnement adaptés, une simplification des démarches administratives et un accès facilité aux terres et aux financements.

Le renouvellement des générations est vital pour la survie de la filière. L’installation doit être encouragée et soutenue, notamment par des politiques publiques cohérentes et ambitieuses.

« L’élevage est un métier exigeant, mais qui peut redevenir un métier d’avenir si les conditions sont réunies », affirme-t-il.

Repenser la souveraineté alimentaire européenne

Au-delà des enjeux sectoriels, le débat soulevé par Patrick Bénézit touche à la question fondamentale de la souveraineté alimentaire de l’Europe. Dans un monde instable, marqué par des crises sanitaires, climatiques et géopolitiques, l’autonomie de la production alimentaire est un enjeu stratégique. Pour l’éleveur, l’Europe ne peut se permettre d’abandonner sa capacité à produire localement des protéines animales dans des conditions durables.

Il s’agit d’un équilibre fragile, que les politiques européennes doivent préserver et renforcer. Cela suppose un engagement clair en faveur d’un modèle agricole qui respecte à la fois l’environnement, la santé des consommateurs, et la viabilité économique des exploitations. « Nous ne sommes pas des conservateurs du passé », conclut-il, « mais des gardiens d’un équilibre à préserver pour les générations futures ».

Marie-France Vienne

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