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Sur le chemin de la route

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Notre Fédération wallonne de l’agriculture s’est trouvé un rôle taillé à sa mesure, pour contrer la mesure d’interdiction aux tracteurs de rouler sur la RN25, en Brabant wallon. C’est l’occasion rêvée de faire claquer au vent les fiers étendards et les verts calicots. Empêcher nos gentils tracteurs innocents d’emprunter une voie publique, voilà qui est terriblement fâcheux et profondément injuste !

Ceci dit, cette décision ministérielle n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2020, et d’ici là, beaucoup d’engins agricoles passeront encore sous les ponts ; un nouveau gouvernement régional verra le jour (en principe), et corrigera sans doute la copie de ce cher Carlo Di Antonio. Et le problème restera entier, car sur le chemin de la route, personne n’est ni tout blanc, ni tout noir. Sur les voies d’intense circulation, les charrois agricoles sont considérés comme des éléphants dans des magasins de porcelaine, face aux voitures ; ou comme des escargots à écraser, face aux camions.

Comment concilier des moyens de transport inconciliables : des gros lents encombrants et des petits rapides, des tortues géantes et des lièvres nains, des boules de pétanques et des cochonnets ? Je plains sincèrement les agriculteurs des régions fort peuplées, dans le Brabant et le Hainaut, et tous ceux qui doivent affronter des voies rapides très fréquentées.

« Affronter », le mot est faible ! J’imagine que la plupart d’entre eux font leur signe de croix avant de se lancer plein pot dans le trafic. Un conducteur de tracteur n’est guère protégé, juché là-haut dans sa cabine. La rencontre avec un camion se solde toujours par le décès du fermier, pot de terre contre pot de fer, et la destruction d’un matériel fort cher qu’il faudra continuer à payer.

Chez nous, en Ardenne Centrale, les routes sont beaucoup moins encombrées, sauf aux heures d’aller et de retour des travailleurs frontaliers du Grand-Duché de Luxembourg. Certains tronçons sont à éviter entre 6 et 8 heures, entre 17 et 19 heures, même des petites routes, des chemins agricoles, lesquels constituent des raccourcis «malins» empruntés sans vergogne par les navetteurs. Au besoin, équipés de SUV, ils n’hésitent pas à couper au court à travers champs, histoire de gagner quelques minutes pour rejoindre au plus vite leurs douces amies, ou leurs chers et tendres compagnons.

Les tracteurs empruntent-ils occasionnellement des autoroutes comme la E25 et la E411 ? Il faudrait être suicidaire, si c’était autorisé. La Nationale 4 n’est pas interdite, et a déjà causé de terribles accidents entre véhicules agricoles et camions. Les agriculteurs doivent se chercher des parcours les moins dangereux possible, afin d’éviter des situations difficiles, susceptibles de tourner au désastre en un quart de seconde. Leurs véhicules doivent être visibles, équipés de signaux lumineux, de gyrophares qui leur donnent un air d’arbres de Noël tout au long de l’année. En ce qui me concerne, j’emprunte très rarement les voies publiques, avec mon vieux tacot poussif qui peine à dépasser les 25 km/heure !

Il est loin le temps où les automobiles n’existaient pas, où la vie suivait un cours tranquille au pas du bœuf ou du cheval ! Aujourd’hui, tout le monde ou presque dispose d’une bagnole. Monsieur, Madame, la fifille de 19 ans, le garnement de 21 ans, le petit copain, la copine : dans la plupart des familles, à part le chien et le poisson rouge, chacun possède son propre moyen de transport.

Ma voiture, ma liberté ! Tous les prétextes sont bons pour rouler à l’envi, pour un oui pour un non, pour faire des courses, conduire les enfants à l’école (nous faisions à pied un kilomètre quatre fois par jour, cartable à la main), pour aller (seul !) au boulot, partir en vacances ou en balade…

Les tracteurs, quant à eux, ne sortent que pour des tâches utiles. Bien entendu, ils sont de plus en plus imposants, ralentissent le trafic, et font peur aux petites voitures, ceci explique cela. L’empreinte carbone de ces millions de quatre-roues est absolument démentielle en Belgique, et l’encombrement des routes l’est tout autant.

Le problème ne vient pas des tracteurs, de plus en plus rares par la force de la disparition des fermes, mais plutôt de la multiplication des véhicules routiers ! Et parmi ceux-ci les camions, évidemment… Ceux-ci occupent une place grandissante sur nos routes et autoroutes, par la « grâce » du mouvement perpétuel des marchandises, initié et gonflé à outrance par les industries de transformation et le grand commerce. Bienvenue sur les routes de notre société d’hyper-consommation !

« Un problème sans solution est un problème mal posé ! »’, disait ce bon vieux Albert Einstein. La cohabitation, ou plutôt la co-circulation des charrois agricoles avec les autres véhicules peut se vivre en harmonie, si nos décideurs et conseillers abordent le problème sous toutes ses facettes ; s’ils font preuve d’intelligence et d’imagination, pour une fois.

Mais le chemin vers une bonne route pour tous est encore long, et parsemé de virages en épingle, tirés par les cheveux…

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