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Euh, quoi de neuf, Docteur ?

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Un flot continu d’informations inonde notre vie de tous les jours. En principe, celles qui nous concernent personnellement devraient attirer notre attention, nous avertir d’une opportunité à saisir ou d’un danger à combattre. Hélas, les médias nous noient littéralement de données en tous genres. Un fait nouveau chasse l’autre et ce qui devrait nous intéresser s’éloigne trop vite de nos préoccupations. Ainsi, les actualités des derniers mois, chaudes et encombrées, nous ont fait quelque peu oublier un sujet des plus brûlants : la prochaine réforme de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne.

Parler de politique dans les colonnes du Sillon ? Oh, la barbe ! Les autres journaux nous ont déjà gavés tout l’été de la formation des gouvernements belges et des péripéties internationales, comme le Brexit et tant d’autres mésaventures aux quatre coins de la planète. Et si on parlait d’autre chose, me direz-vous, d’histoires drôles, distrayantes, qui nous feraient oublier notre quotidien trop terre à terre… Pourquoi ne pas joindre l’utile au rigolo ? Tant d’ennemis rôdent autour de nous ! Au fond, notre vie ressemble à un dessin animé, comme celui de Bugs Bunny, ce lapin malin à la réplique farceuse : « Euh, quoi de neuf, Docteur ? », sa phrase fétiche qu’il prononçait en rongeant une belle carotte. À force d’entourloupes, il parvenait toujours à embrouiller ses adversaires en déjouant les lois de la nature, comme par exemple dessiner une porte dans un mur et l’ouvrir pour s’enfuir.

Ce serait parfait pour nous de posséder un tel pouvoir ! Notre activité professionnelle est entourée de hauts murs, comme un jardin de curé, enfermé plutôt que protégé. Des tas de gens sont perchés sur ces murailles, et nous observent en train de nous échiner à quatre pattes pour cultiver la terre et soigner nos animaux ; ils nous disent quoi faire et ne pas faire, nous inspectent et nous jugent, nous lancent des invectives et nous saoulent de conseils. Il n’existe dans l’enceinte qu’une toute petite porte et un guichet. La petite porte est tenue par le commerce, par laquelle passent toutes nos productions achetées à vil prix, et tous nos intrants, payés par nous au prix fort. Au guichet administratif, nous adressons nos demandes d’aides, nos formulaires multiples longs comme des jours sans pain.

Oui, ce serait bien utile de pouvoir dessiner des portes dans les murs qui nous entourent, de nous ouvrir d’autres horizons pour mieux connaître encore ce qui nous entoure, et tenter ainsi d’échapper à tous ceux qui profitent de nous. Nous pourrions leur demander « Quoi de neuf, Docteur ? », en guise de pied de nez et d’interrogation légitime. Par exemple, quoi de neuf du côté de la réforme de la PAC ?

Celle-ci piétine, comme toutes les autres avant elle. Diverses visions de notre agriculture s’affrontent : certains pays la veulent ultralibérale, d’autres désirent protéger leurs paysans, leur ruralité et leur environnement naturel. Chacun met en avant sa propre réponse aux défis climatiques, commerciaux et sociaux. Pour avancer dans cet exercice de style, complexe et compartimenté, la mise en place d’une nouvelle Commission Européenne s’impose, mais la très sérieuse et technocrate Ursula von der Leyen (qui n’a guère le sourire espiègle de Bugs Bunny) peine à imposer ses candidats au Parlement Européen. Ainsi, le poste de Commissaire à l’Agriculture risque d’échapper au Polonais Janusz Wojciechowski, -dont le nom est aussi imprononçable que son discours est évasif –, s’il ne revoit pas sa copie et n’indique clairement sa vision d’avenir de notre agriculture. Du côté de l’Europe, rien de bien neuf, mon cher Docteur ! À quelle sauce (lapin) serons-nous mangés ?

Un vrai début de réponse nous vient du Nord de notre petite Belgique. Les Flamands ont en effet formé leur gouvernement régional, et forgé un programme au caractère identitaire marqué. NVA, CD&V et Open VLD n’ont rien à secouer des Wallons. Ainsi, en ce qui concerne le volet agricole des prochaines années, l’accord de coalition prévoit d’ici 2027 l’extinction du soutien au revenu couplé, destiné aux éleveurs de bovins. C’est normal, ils ont très peu de prairies et se fichent comme d’une guigne de nos élevages bovins, depuis que l’engraissement des animaux venus de chez nous engraisse moins bien leurs portefeuilles. Selon nos « amis » flamands, il est contre-productif de maintenir sous perfusion une activité non rentable. Ces aides s’apparentent à de l’acharnement thérapeutique ; il serait préférable de les utiliser pour une « alternative durable » qui engloberait à la fois soutiens à l’innovation et objectifs climatiques. Quoi de neuf, Docteur Bart De Wever ? Au cours de la période 2019-2024, la Flandre entend faciliter le passage des spéculations agricoles existantes vers des activités potentiellement plus durables et (surtout) financièrement plus rentables, à la fois dans l’agriculture et l’horticulture, ainsi qu’au-delà -tourisme, soins, éducation et formation-. Soutenir un secteur non viable, estiment les Flamands, représente un gaspillage et un frein à la croissance économique. Ils veulent s’inscrire dans le plan stratégique des orientations européennes, car celui-ci sert les intérêts de leur belle et riche région.

Nous y voilà ! Ce fameux plan européen sous-tend l’actuelle réforme de la PAC, nous disent les Flamands dans leur programme gouvernemental régional, et vise à rendre les agriculteurs moins dépendants des soutiens publics au revenu, en mettant davantage l’accent sur l’innovation, les forces du marché, les changements d’échelle, la multifonctionnalité, les mesures climatiques, la protection des ressources naturelles et de la biodiversité, sans oublier la gestion des paysages. Ouf!! Excusez du peu ! Dans tout ce fatras de concepts ultralibéraux, customisé vaguement aux couleurs écologistes, il n’est pas du tout question des principaux acteurs, des agriculteurs, des êtres humains, c’est-à-dire nous ! C’est dur à lire, et encore plus à écrire !

« Euh, quoi de neuf, Docteur ? ». Rien de bien neuf ni de réjouissant… C’est évident, les jours sont comptés pour les aides couplées, ces fameuses « primes vaches allaitantes ». Comment la Wallonie va-t-elle gérer l’avenir de notre agriculture, lors de la formation du gouvernement fédéral ? Nos politiciens régionaux seront-ils capables de déjouer les mauvais tours des uns et des autres ? Comme dans les dessins animés, en s’inventant des portes imaginaires, et en rongeant paisiblement leur carotte sans trop se tracasser pour nous, selon leurs habitudes??

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