Henk Verhelst, 61 ans, a grandi dans l’exploitation familiale à Deerlijk, dans le sud-ouest de la Flandre, avec son frère et sa sœur. Ses parents y avaient un séchoir et transformaient la chicorée, jusqu’à ce que la commune décide de les exproprier afin de transformer leur terrain en zone industrielle. Les parents achetèrent alors une ferme à Sint-Denijs, un peu plus loin.
L’amour au-delà de la frontière linguistique
L’amour amena Henk en Wallonie, à Lahamaide (Ellezelles). Il y rencontra Liliane Verschuere, une Wallonne aux origines flamandes. « Mon père vient de Vichte, ma mère de Melden, un village de Flandre orientale, près d’Audenarde. En 1961, ils emménagèrent dans cette ferme. À cette époque, de nombreux agriculteurs flamands traversaient la frontière linguistique pour commencer une nouvelle vie en Wallonie. »
Liliane et Henk se marièrent en 87 et emménagèrent à Lahamaide. « Ellezelles est un chouette endroit à vivre. Je ne connaissais personne ici. Mais les 400 habitants ont vite appris à me connaître. J’ai rapidement été accepté », sourit-il.
« D’autant que nous ne sommes pas des gens difficiles », enchérit Liliane. « Mes parents étaient contents avec Henk, un travailleur acharné. Le fait que nous ayons commencé ici avec des fraises a également été immédiatement accepté. Mes parents nous ont beaucoup aidés. Oui, c’était agréable de vivre à deux générations sous le même toit. »
Importation de fraises
« Déjà à Deerlijk, nous avions des fraisières », poursuit le propriétaire des lieux. Mes amis les cultivaient, et j’ai commencé avec eux. Puis j’ai importé ces fraises en Wallonie. Mon avenir s’écrivait déjà ici », confie notre homme.
Deux tiers des fraises dans les serres, un tiers en plein air. Outre ladite culture (un demi-hectare, 15.000 plants) et de certaines cultures arables (blé, maïs, betterave fourragère), Henk et Liliane élèvent également une cinquantaine de vaches allaitantes Blanc-bleu. « Nous trayions aussi mais nous nous sommes décidés à arrêter. On trayait également pour les veaux, une fois par jour, jusqu’il y a encore trois ans. Ce n’était plus rentable, ni faisable », avoue le couple qui a deux enfants (Jean-Luc et Marie-Line). Ni l’un ni l’autre ne poursuit l’exploitation de 35 hectares.
Où que l’on soit, il n’est pas facile d’être agriculteur aujourd’hui. « Nous ne connaissons rien d’autre. À la fin du mois, quand on fait le compte, au mieux on boucle sa fin de mois mais on ne fait plus de profit. Le secteur de la viande est durement touché. La raison ? Une partie de la réponse est liée aux représentations négatives des bovins. Les préjugés sont difficiles à combattre. »
Entre-temps, l’éleveur a remarqué que lorsque les choses vont mal dans la viande, elles vont bien dans les fraises. « Comme pour la maladie de la vache folle : nous n’avons jamais eu une aussi bonne saison des fraises qu’à l’époque. Les fraises sont également sensibles au climat et à la chaleur. L’année dernière, ça nous a porté préjudice, cette année a été bonne. L’an dernier, nous n’avons cueilli les fruits que durant cinq semaines, cette saison, pendant huit semaines. Les récoltes ont lieu en mai et juin. » À noter que le couple n’a pas de plants frigo.
La perfection n’est approchable que par la répétition
Une poignée de cueilleurs viennent aider le couple. « Nous avons une bonne équipe permanente. Parmi les nouveaux cueilleurs, il n’en reste qu’un sur cinq. La première heure est déterminante, c’est là qu’on sait si tout ira bien ou non. Si certains trouvent la cueillette trop difficile, ou sont trop paresseux, d’autres cueilleurs viennent depuis 20 ans. L’expérience, bien sûr, est quelque chose que l’on apprend au fil des ans. Nous devions aussi apprendre. Vitesse et précision sont les maîtres-mots. C’est toujours difficile d’apprendre une tâche mais la perfection n’est approchable que par la répétition », rit-il.
Tout le monde parle aujourd’hui de « circuit court » et de « ventes à la ferme ». « Je n’ai rien connu d’autre. Ici, tout se vend chez nous. De la première à la dernière fraise, tout. » La vente, c’est le travail le plus important de Liliane aujourd’hui. « Et quand il reste des fraises au soir, nous appelons nous-même les clients. Ils peuvent ainsi acheter des fruits à moitié prix pour faire de la confiture. Les boulangers du quartier viennent aussi chercher les leurs chez nous », ajoute-t-il. « Une fois, j’ai vendu à un grossiste, mais il ne m’en donnait pas beaucoup. Je ne travaille pas aux enchères non plus. Nous déterminons nous-mêmes le prix. Et c’est bon marché ! Tout le monde connaît nos atouts dans le quartier : de la qualité, du goût, le tout bon marché. »
Utiliser les médias sociaux, un travail ciblé
« Pendant la saison des fraises, aucun vêlage n’est programmé, donc nous dormons plutôt bien. Nous mettons notre taureau « en vacances » d’août à septembre, de sorte d’être tranquille pour la saison des fraises », explique-t-il.
La concurrence s’intensifie. « De plus en plus d’agriculteurs de la région cultivent également des fraises. Nous utilisons les médias sociaux, tels que Facebook, pour annoncer nos actions et pour attirer les clients à nos produits fraîchement sélectionnés. Ça marche, c’est évident. Liliane n’y croyait pas au début, mais il faut choisir son moment. C’est un travail très ciblé, et, bien mené, il porte ses fruits. Alors pourquoi ne pas l’utiliser ? », s’interroge Henk.
Profiter du circuit court
À la ferme, il n’y a pas de distributeur automatique. « Non, les clients viennent pour acheter des fraises fraîchement coupées, mais aussi pour discuter. Ce contact social est très important, même pour nous. Même lors de la cueillette, on parle. Nous avons des cueilleurs qui ne viennent qu’un jour par semaine… Pour se changer les idées, s’éloigner de l’agitation et du stress du quotidien, réfléchir à quelque chose tout en cueillant.
« Nous sommes en filière courte depuis 50 ans. Et c’est seulement maintenant que ce circuit a bonne presse auprès du consommateur. Il trouve ça sexy ! »
D’après l’agriculteur, ses produits sont légèrement plus chers en Wallonie qu’en Flandre. Les vendeurs du marché flamand préfèrent d’ailleurs venir en Wallonie pour vendre leurs produits. Les prix sont meilleurs, les clients sont plus faciles. Le Flamand est davantage sur ses sous tandis qu’en Wallonie, les gens vivent plus au jour le jour. Il voit une autre différence de mentalité : la première année, des fruiticulteurs wallons lui ont fait part de leur mécontentement… Il était trop bon marché. « Bien sûr, depuis j’ai un peu augmenté mes prix », sourit-il.
Vendre, un savoir-faire !
« Je suis toujours le moins cher par rapport à mes collègues. Je demande 3 euros pour un demi-kilo de fraises quand certains osent en demander 5. Je trouve que 7 €/kg, c’est déjà beaucoup », poursuit Henk. « D’autant que si le prix est raisonnable, les clients seront heureux de revenir. Et puis, je dois vendre ma marchandise tous les jours. Ce que je ne vends pas en journée, je le vends à moitié prix en soirée… En tant qu’indépendant, tu dois connaître tes atouts et vouloir entreprendre. Cultiver des fraises est une chose, faut-il encore pouvoir les vendre ! »
D’après Lieven Vancoillie