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La nouvelle PAC: ‘jour noir’ ou ‘équilibre raisonnable’?

La politique agricole européenne sort une fois de plus du chantier. Elle devrait, à partir de 2023, devenir plus verte, plus diversifiée par pays, plus efficace et moins bureaucratique. Elle devrait certainement être moins liée au tourbillon de la mondialisation. À cette fin, le Parlement européen a adopté le 23 octobre dernier, à une large majorité, trois règlements. Nous en parlons avec les deux députés européens wallons faisant partie de la commission parlementaire de l'agriculture. Il s’agit de Marc Tarabella (PS) et de Benoît Lutgen (cdH).

Temps de lecture : 9 min

Le spectacle était quelque peu étrange cette semaine du 19 octobre au Parlement européen. A cause de la pandémie du coronavirus, la session plénière devait officiellement avoir lieu « en ligne ». Cela n'a pas empêché 85 députés européens de toute l'Europe de vouloir s'exprimer dans l’hémicycle lors du débat du 20 octobre sur la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC).

Au terme ces débats, le Parlement européen a approuvé les trois règlements portant sur la planification stratégique, l'organisation du marché commun et le financement, et la gestion et le contrôle de la politique agricole commune, avec de larges majorités de 425 à 463 votes sur un total de 705 votes. La réforme a été soutenue par les trois plus grands groupes (démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux), parfois renforcés par des députés du petit groupe conservateur. Les Verts s’y sont opposés estimant la nouvelle politique insuffisante du point de vue écologique. Ils ont reçu le soutien de certains membres du groupe socialiste, dont les Belges Marc Tarabella et Kathleen Van Brempt.

Puisque le Conseil des ministres de l’agriculture (qui représente les intérêts des États membres) avait confirmé son point de vue sur les trois textes législatives la veille du débat, les propositions sont désormais dans le dernier cycle de négociations. Celui-ci réunit des délégations du Parlement européen (représenté par une délégation de la commission de l'agriculture), du Conseil des ministres de l'agriculture (dirigé par les Allemands en tant que présidence de l'UE pendant six mois), et de la Commission européenne (menée par le commissaire européen, le Polonais Janusz Wojciechowski) ; tous trois cherchent maintenant un compromis entre les points de vue des trois institutions.

Ce compromis, qui sera sans doute bouclé début 2021, sera ensuite soumis à nouveau au Parlement européen lors d'un vote final, sans aucune possibilité d'amendement cette fois-ci. La nouvelle politique agricole entrera en vigueur à partir de 2023. Nous avons demandé à Marc Tarabella (PS) et à Benoît Lutgen (cdH), les deux représentants wallons dans la commission de l'agriculture du Parlement européen, ce qu'ils en pensaient.

Jour noir

‘Le vote intervenu au Parlement est pour moi un jour noir pour l’agriculture européenne et pour l’environnement’, entame Marc Tarabella (PS), qui suit les enjeux agricoles au Parlement européen depuis plus de dix ans. Il est aussi bourgmestre d’Anthines, un petite commune rurale du Condroz. ‘La nouvelle PAC a été validée, et je le regrette. Cette proposition est une catastrophe, un texte qui ne répond ni aux enjeux agricoles, ni aux enjeux environnementaux.’

‘Les changements structurels attendus pour que l'ensemble des agricultrices et agriculteurs puissent travailler dignement et vivre de leur travail n'auront pas lieu. Les plans stratégiques de la future PAC ne sont pas non plus alignés sur le Pacte vert européen. Voter contre cette politique agricole commune était donc le seul choix possible.’

‘Le seul rayon de soleil dans ce ciel chargé est le rapport sur l'organisation commune des marchés (OCM unique) qui permettra de professionnaliser la gestion européenne des crises agricoles, et de mettre en place des outils pour les anticiper ou les encadrer. Ces avancées progressistes permettront également aux agriculteurs d’avoir davantage de pouvoir dans les négociations face aux géants de l’agroalimentaire et une plus grande valorisation de leurs produits. Ces crises ont coûté trop d'emplois et même de vies dans le milieu agricole. Il s'agit là d'une avancée importante qu'il aurait été irrationnel de rejeter.’

Benoît Lutgen (cdH), député européen depuis juillet 2019 et bourgmestre de Bastogne, ne partage pas ce point de vue. ‘Pour moi, la fonction nourricière du secteur de l’agriculture doit rester au coeur de la PAC’, explique-t-il. ‘Nous constatons son rôle important dans la vie de chaque jour pendant la crise du Covid. Constater cela n’empêche absolument pas d’atteindre des performances nouvelles et des objectifs nouveaux, en matière notamment de la lutte contre le réchauffement climatique ou de la biodiversité, au contraire.’

‘C’est d’ailleurs déjà le cas si on regarde l’Europe et si on la compare au reste du monde. Le monde agricole a globalement réalisé des efforts. Ils doivent être plus importants demain, certainement, mais on doit les faire aussi en ayant une forme de confiance à l’égard des uns et des autres, sans verser dans une bureaucratie ou des charges supplémentaires sur l’ensemble des agriculteurs. Je pense singulièrement aux petits agriculteurs. N’oublions pas qu’aucun secteur n’applique déjà autant de normes sanitaires, de normes de bien-être animal et de normes de biodiversité que le secteur agricole.’

Ecorégimes

Dans les textes adoptés par le Parlement européen, les ‘écorégimes’ attirent l’attention. Il s’agit de primes accordées aux agriculteurs participant à des programmes environnementaux. Les États-membres devront y consacrer au moins 30 % des paiements directs de l’UE aux exploitants. Les ministres des Vingt-Sept préconisent de n’y allouer qu’un minimum de 20 %. Les organisations environnementales considèrent que même 30 % est trop minimaliste. Les eurodéputés ont également prévu de consacrer au moins 35 % du budget du développement rural à des mesures liées à l’environnement et au climat. Qu’en pensent nos deux députés ?

Marc Tarabella reste sceptique : ‘Pour moi le Green Deal annoncé par Mme Von der Leyen (la présidente de la Commission européenne) a déjà du plomb dans l’aile, à cause de la PAC qui vient d’être votée. On veut 25 % d’agriculteurs bio à l’horizon 2030 mais on ne fait rien pour les aider dans la période de transition, qui est la période la plus critique pour les encourager à le faire. La biodiversité est le grand parent pauvre de cette réforme.’

‘Nous assistons donc à une séance de Greenwashing. La Commission européenne enchaîne les promesses vertes, mais la politique agricole commune qu’elle propose, dans les faits, ne permet pas de tenir ces promesses. Et si vous n’étiez pas encore convaincus, les conditionnalités d’octroi des aides liées aux bonnes pratiques environnementales sont en recul. C’est une honte…’

‘En outre, il me paraît évident aujourd’hui que les objectifs des stratégies Biodiversité ou de la Fourche à la Fourchette ne seront pas atteints. La nouvelle politique agricole ne garantit pas, par exemple, les surfaces minimales indispensables pour la biodiversité, et n’augmentera pas le nombre de surfaces non productives exclusivement sans pesticide. De même, elle ne protégera pas de manière efficace les prairies permanentes.’

Benoît Lutgen par contre est plutôt optimiste : ‘De la Fourche à la Fourchette est un plan européen, qui devrait s’appuyer sur la PAC, dans ses orientations budgétaires : plus de proximité, un soutien plus fort aux agriculteurs. En fonction des moyens budgétaires dégagés, les régions pourront définir des mesures très concrètes, par exemple pour la transformation ou les circuits courts. Les citoyens européens sont très demandeurs.’

‘La crise du Covid a agi comme un révélateur et un accélérateur d’une tendance qui existait déjà, en termes de liens humains et de comportements d’achat. Une part non négligeable de consommateurs a changé de comportement. Il y a plein de projets maraîchers et dans les filières de la viande et du lait qui fonctionnent bien au niveau local. Cela permet de voir l’avenir de manière plus positive.’

‘Il faut parfois pouvoir tirer profit des crises pour élargir le cadre. On l’a vu avec la crise du lait, il y a une dizaine d’années. Cela a débouché sur la création du label Fairbel ; les agriculteurs ont pris leur destin en main. C’est le défi principal de la Wallonie : favoriser le regroupement de producteurs autour d’outils communs de transformation de leurs produits.’

Décentralisation

Les textes votés prévoient d’octroyer une marge de manœuvre accrue aux gouvernements pour la distribution des fonds européens, à condition de respecter les engagements environnementaux et climatiques de l’UE. Pendant les débats au PE, il semblait néanmoins y avoir une tension entre des députés qui acclamaient ces plans d’action nationaux et d’autres qui avertissaient qu’il ne fallait pas saper le seul domaine agricole et, par conséquent, des règles de jeu équitables. Où se situent nos deux députés?

Benoît Lutgen: ‘Je vois peu d’inconvénients. Cela se fera dans le cadre des projets de développement rural (2e pilier). De nouveau, c’est à travers la Wallonie que les moyens européens sont alloués. L’hébergement touristique à la ferme a bien évolué ces dernières années en Wallonie dans ce contexte. Grâce à ces aides, mais aussi en lien avec une demande croissante d’expérience touristique différente, plus de lien avec l’hébergeur et son cadre de vie. C’est non seulement un revenu complémentaire, mais aussi un lien humain renforcé avec le territoire. C’est ainsi que le projet européen doit être décliné.’

Marc Tarabella : ‘Pour moi, cela revient à dire que la PAC telle qu’elle a existé pendant 58 ans, n’existe plus. Ce ne sera plus une politique intégrée au niveau européen. Les décisions se prendront dans les 27 pays. Le texte voté aujourd’hui donne, à peu de choses près, les pleins pouvoirs aux États membres pour définir leur politique nationale sans réel cadre européen, tant les possibilités pour les autorités nationales d’utiliser les fonds européens sont quasi infinies. Quant à la diversification, elle n’est pas possible pour tous les agriculteurs. Ce n’est pas parce qu’on est agriculteur qu’on peut être commerçant ou accueillir des touristes.’

Pendant les débats au parlement européen, on pouvait remarquer un sous-entendu très prononcé, même parmi les orateurs les plus conservateurs, y compris le commissaire européen, que l'agriculture ne peut pas être orientée vers le marché. Tout le monde a également admis que des normes écologiques plus strictes signifient que nous excluons simplement les produits de l'extérieur de l'UE qui n’y répondent pas.

Benoît Lutgen ‘Il le faut. Aujourd’hui, ça n’a aucun sens d’acheter de la viande de bœuf à l’autre bout du monde ! Je voudrais vraiment qu’une fois pour toutes lorsqu’on devra discuter des traités de libre échange, on ait effectivement cette attention particulière pour éviter que l’on ruine l’économie européenne, que l’on ruine les agriculteurs et, quelque part, qu’on ne gagne pas le pari du climat par ces produits importés. Les accords d’exportation/importation qui ne respectent pas ces réalités sont à interdire. Sinon, c’est aberrant, ça n’a aucun sens. Comment un agriculteur européen, assommé de normes de toutes sortes, peut-il comprendre que l’on signe de tels traités ?’

Marc Tarabella: ‘La crise du Covid a provoqué un changement de consommation mais les vieilles habitudes sont très vite revenues. Or, il est urgent de trouver le moyen de soutenir les structures agricoles familiales à taille humaine, avec des perspectives à long terme. En soutien du monde agricole, d’une part, mais aussi parce qu’on a besoin d’une nourriture saine. Il est nécessaire de recommencer à consommer davantage de produits moins transformés, plus locaux. On n’a pas encore réussi à avoir une stratégie qui réponde à ce besoin.’

‘L’espoir viendra de la base, de la confiance mutuelle entre les producteurs et les consommateurs. Il faudra que l’Europe soit là pour soutenir les initiatives et qu’elle fasse le lien avec d’autres stratégies, dont l’éducation. Il s’agit de réapprendre la cuisine simple, à base de produits frais, locaux et de saison. Ça va être compliqué avec la PAC d’aujourd’hui, mais si les régions font leur job, cela pourrait déboucher sur plus de proximité avec les producteurs, et donc donner vie à ce plan.’

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