Au terme ces débats, le Parlement européen a approuvé les trois règlements portant sur la planification stratégique, l'organisation du marché commun et le financement, et la gestion et le contrôle de la politique agricole commune, avec de larges majorités de 425 à 463 votes sur un total de 705 votes. La réforme a été soutenue par les trois plus grands groupes (démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux), parfois renforcés par des députés du petit groupe conservateur. Les Verts s’y sont opposés estimant la nouvelle politique insuffisante du point de vue écologique. Ils ont reçu le soutien de certains membres du groupe socialiste, dont les Belges Marc Tarabella et Kathleen Van Brempt.
Puisque le Conseil des ministres de l’agriculture (qui représente les intérêts des États membres) avait confirmé son point de vue sur les trois textes législatives la veille du débat, les propositions sont désormais dans le dernier cycle de négociations. Celui-ci réunit des délégations du Parlement européen (représenté par une délégation de la commission de l'agriculture), du Conseil des ministres de l'agriculture (dirigé par les Allemands en tant que présidence de l'UE pendant six mois), et de la Commission européenne (menée par le commissaire européen, le Polonais Janusz Wojciechowski) ; tous trois cherchent maintenant un compromis entre les points de vue des trois institutions.
Ce compromis, qui sera sans doute bouclé début 2021, sera ensuite soumis à nouveau au Parlement européen lors d'un vote final, sans aucune possibilité d'amendement cette fois-ci. La nouvelle politique agricole entrera en vigueur à partir de 2023. Nous avons demandé à Marc Tarabella (PS) et à Benoît Lutgen (cdH), les deux représentants wallons dans la commission de l'agriculture du Parlement européen, ce qu'ils en pensaient.
Jour noir
‘Le vote intervenu au Parlement est pour moi un jour noir pour l’agriculture européenne et pour l’environnement’, entame
‘Les changements structurels attendus pour que l'ensemble des agricultrices et agriculteurs puissent travailler dignement et vivre de leur travail n'auront pas lieu. Les plans stratégiques de la future PAC ne sont pas non plus alignés sur le Pacte vert européen. Voter contre cette politique agricole commune était donc le seul choix possible.’
‘Le seul rayon de soleil dans ce ciel chargé est le rapport sur l'organisation commune des marchés (OCM unique) qui permettra de professionnaliser la gestion européenne des crises agricoles, et de mettre en place des outils pour les anticiper ou les encadrer. Ces avancées progressistes permettront également aux agriculteurs d’avoir davantage de pouvoir dans les négociations face aux géants de l’agroalimentaire et une plus grande valorisation de leurs produits. Ces crises ont coûté trop d'emplois et même de vies dans le milieu agricole. Il s'agit là d'une avancée importante qu'il aurait été irrationnel de rejeter.’
‘C’est d’ailleurs déjà le cas si on regarde l’Europe et si on la compare au reste du monde. Le monde agricole a globalement réalisé des efforts. Ils doivent être plus importants demain, certainement, mais on doit les faire aussi en ayant une forme de confiance à l’égard des uns et des autres, sans verser dans une bureaucratie ou des charges supplémentaires sur l’ensemble des agriculteurs. Je pense singulièrement aux petits agriculteurs. N’oublions pas qu’aucun secteur n’applique déjà autant de normes sanitaires, de normes de bien-être animal et de normes de biodiversité que le secteur agricole.’
Ecorégimes
Dans les textes adoptés par le Parlement européen, les ‘écorégimes’ attirent l’attention. Il s’agit de primes accordées aux agriculteurs participant à des programmes environnementaux. Les États-membres devront y consacrer au moins 30 % des paiements directs de l’UE aux exploitants. Les ministres des Vingt-Sept préconisent de n’y allouer qu’un minimum de 20 %. Les organisations environnementales considèrent que même 30 % est trop minimaliste. Les eurodéputés ont également prévu de consacrer au moins 35 % du budget du développement rural à des mesures liées à l’environnement et au climat. Qu’en pensent nos deux députés ?
‘Nous assistons donc à une séance de Greenwashing. La Commission européenne enchaîne les promesses vertes, mais la politique agricole commune qu’elle propose, dans les faits, ne permet pas de tenir ces promesses. Et si vous n’étiez pas encore convaincus, les conditionnalités d’octroi des aides liées aux bonnes pratiques environnementales sont en recul. C’est une honte…’
‘En outre, il me paraît évident aujourd’hui que les objectifs des stratégies Biodiversité ou de la Fourche à la Fourchette ne seront pas atteints. La nouvelle politique agricole ne garantit pas, par exemple, les surfaces minimales indispensables pour la biodiversité, et n’augmentera pas le nombre de surfaces non productives exclusivement sans pesticide. De même, elle ne protégera pas de manière efficace les prairies permanentes.’
‘La crise du Covid a agi comme un révélateur et un accélérateur d’une tendance qui existait déjà, en termes de liens humains et de comportements d’achat. Une part non négligeable de consommateurs a changé de comportement. Il y a plein de projets maraîchers et dans les filières de la viande et du lait qui fonctionnent bien au niveau local. Cela permet de voir l’avenir de manière plus positive.’
‘Il faut parfois pouvoir tirer profit des crises pour élargir le cadre. On l’a vu avec la crise du lait, il y a une dizaine d’années. Cela a débouché sur la création du label Fairbel ; les agriculteurs ont pris leur destin en main. C’est le défi principal de la Wallonie : favoriser le regroupement de producteurs autour d’outils communs de transformation de leurs produits.’
Décentralisation
Les textes votés prévoient d’octroyer une marge de manœuvre accrue aux gouvernements pour la distribution des fonds européens, à condition de respecter les engagements environnementaux et climatiques de l’UE. Pendant les débats au PE, il semblait néanmoins y avoir une tension entre des députés qui acclamaient ces plans d’action nationaux et d’autres qui avertissaient qu’il ne fallait pas saper le seul domaine agricole et, par conséquent, des règles de jeu équitables. Où se situent nos deux députés?
Pendant les débats au parlement européen, on pouvait remarquer un sous-entendu très prononcé, même parmi les orateurs les plus conservateurs, y compris le commissaire européen, que l'agriculture ne peut pas être orientée vers le marché. Tout le monde a également admis que des normes écologiques plus strictes signifient que nous excluons simplement les produits de l'extérieur de l'UE qui n’y répondent pas.
‘L’espoir viendra de la base, de la confiance mutuelle entre les producteurs et les consommateurs. Il faudra que l’Europe soit là pour soutenir les initiatives et qu’elle fasse le lien avec d’autres stratégies, dont l’éducation. Il s’agit de réapprendre la cuisine simple, à base de produits frais, locaux et de saison. Ça va être compliqué avec la PAC d’aujourd’hui, mais si les régions font leur job, cela pourrait déboucher sur plus de proximité avec les producteurs, et donc donner vie à ce plan.’
