La plupart des jumeaux sont donc de « faux jumeaux », c’est-à-dire qu’ils sont issus de l’ovulation simultanée de deux ovules qui, une fois fécondés, formeront deux embryons. Ceux-ci se développent généralement dans les deux cornes de l’utérus, ce qui leur assure un taux de survie plus élevé.
En effet, chez les bovins, les membranes chorioniques (l’enveloppe la plus externe de l’embryon) adjacentes fusionnent. Dans de nombreux cas, il existe également des connexions vasculaires entre les embryons. Cela explique pourquoi les deux fœtus meurent généralement ensemble lorsque les jumeaux s’établissent dans une seule corne.
Plusieurs facteurs d’explication
Une double ovulation est donc la principale cause de gémellité chez les vaches. Chez les laitières hautement productives, on estime qu’une double ovulation survient chez 20 % des vaches en deuxième lactation et chez 25 % des vaches ayant dépassé ce stade.
La génétique, la quantité de lait produite, le régime alimentaire, la saison ou encore la présence de kystes ovariens semblent jouer un rôle important dans ce phénomène. Aux États-Unis surtout, mais aussi dans certains pays d’Europe, il est fréquent d’inséminer les vaches en recourant à des méthodes de synchronisation hormonale qui permettent de se libérer des contraintes liées à la détection des chaleurs. Des taux plus élevés de naissance gémellaire ont été observés avec plusieurs de ces méthodes.
On remarque également que les jumeaux sont plus nombreux à être conçus en été que durant les autres saisons. Il est donc recommandé de recourir au transfert d’embryon durant cette période. De cette façon, le risque d’avoir des jumeaux est réduit, sans que le succès de la reproduction ne soit affecté.
Une autre explication à l’augmentation des mise-bas gémellaires observée ces dernières années réside dans l’amélioration des soins apportés aux animaux. La nutrition et le bien-être se sont améliorés, de sorte que les vaches avortent moins fréquemment et perdent moins souvent leurs jumeaux avant le vêlage.
Les génisses « Free-Martin » ou « intersexuées »
La gestation gémellaire présente un risque pour le fœtus lui-même. Le vêlage doit être géré avec soin, car le pourcentage de veaux mort-nés augmente considérablement en pareil cas. Le poids des nouveau-nés est généralement plus faible.
Un problème spécifique peut apparaître lorsque les jumeaux sont de sexe différent, c’est-à-dire que l’un est masculin et l’autre féminin. In utero, les embryons partagent en grande partie la même circulation sanguine. Or, les testicules se développent avant les ovaires. Ainsi, par le biais de l’exposition hormonale, le fœtus masculin inhibe le développement des organes sexuels féminins chez son jumeau. La génisse sera, in fine, stérile dans 80 à 97 % des cas. C’est ce que l’on appelle une génisse « Free-Martin ».
Procéder à une identification rapide
Dans de rares cas, le « futur » taureau meurt dans l’utérus. Seul un veau voit le jour, ce qui reste, malgré tout, une chance. Il est néanmoins important de faire examiner ces animaux le plus tôt possible, car ils peuvent être une source d’importantes pertes économiques en raison de leur stérilité.
Auparavant, les éleveurs devaient attendre l’âge de 12 à 15 mois pour mettre en évidence, par un examen gynécologique vétérinaire, la stérilité de la génisse. Habituellement, les organes reproducteurs externes paraissent relativement normaux. Parfois, on peut observer une vulve fortement poilue et un clitoris de grande taille. L’utérus, s’il est présent, est très peu développé. Chez le veau « normal », jusqu’à l’âge de 30 jours, le vagin a une longueur de 13 à 15 cm alors que chez une génisse « Free-Martin », il ne mesure que 5 à 8 cm.
Aujourd’hui, un test génétique peut être effectué directement après la mise-bas. Il permet de détecter la présence de séquences d’adn du chromosome Y. Des tests hormonaux existent aussi. Ils visent à mettre en évidence une concentration particulièrement basse de progestérone et d’œstradiol.
Chez les races viandeuses, la présence d’un tel animal dans le cheptel ne pose généralement que peu de problème. Il peut être conservé jusqu’à l’abattage. En outre, une génisse « Free-Martin » ne diffère pas des autres génisses en matière de masse musculaire. A contrario, dans les troupeaux laitiers, ces génisses constituent un réel problème car la gestation est nécessaire à la production laitière. En outre, engraisser une génisse issue d’un troupeau hautement productif n’est financièrement pas intéressant.
Des effets négatifs sur la mère
Les gestations gémellaires ont des effets négatifs sur la survie de la mère lors du partus. La production laitière et la fertilité future sont souvent compromises.
La gestation est plus courte et les mort-nés sont plus nombreux. Les gestations gémellaires sont jusqu’à sept fois plus susceptibles d’aboutir à un avortement.
Sur le plan économique, les vaches dont la gestation est confirmée mais qui portent des jumeaux et avortent ensuite constituent un problème particulièrement important. La perte financière est, en effet, non négligeable.
La nécessité d’un diagnostic rapide
Il est souhaitable de diagnostiquer une gestation gémellaire le plus tôt possible. Cela se fait souvent à l’aide d’une échographie transrectale. Pour cela, il est important de contrôler à temps la gestation des vaches laitières. Le diagnostic de gémellité est beaucoup plus facile et plus précis durant les trois premiers mois que plus tard.
Il est recommandé de procéder à un nouvel examen si la présence de jumeaux est mise en évidence. Il n’est pas rare qu’une vache ayant une gestation gémellaire perde un fœtus. Ce phénomène est observé dans 11 à 28 % des cas.
Le diagnostic de gémellité est crucial car ces vaches sont gestantes environ une semaine de moins que les vaches ne portant qu’un seul veau. De plus, elles ont besoin d’une préparation accrue en vue d’entamer une nouvelle lactation.
Il est nécessaire de surveiller avec attention l’état de l’animal ainsi que son statut minéral. Ces dernières années, de nombreuses recherches ont été menées sur la manière dont l’hormonothérapie peut être utilisée pour empêcher l’avortement. La perte du fœtus étant souvent due à un taux trop faible de progestérone, on a cherché à savoir si les implants intravaginaux de progestérone, placés après l’insémination, pouvaient aider à maintenir la gestation. Les résultats obtenus jusqu’à présent ne permettent pas de formuler une recommandation générale.
On peut également tenter d’extraire un foetus du système reproducteur de la vache. Il s’agit d’une pratique courante chez les juments, et régulière chez les chiennes. Cependant, une telle opération n’est pas aussi facile à mettre en œuvre chez les bovins. Alors que chez les juments, par exemple, les deux fœtus se déplacent indépendamment l’un de l’autre dans l’utérus, chez les bovins ceux-ci se caractérisent par une circulation sanguine commune.
De nombreuses méthodes ont été essayées, comme le pincement physique des embryons jusqu’à leur mort, l’aspiration de l’embryon… Les résultats ne sont pas particulièrement bons, et le risque d’avortement spontané des deux fœtus est élevé. En particulier chez les génisses, les éleveurs décident le plus souvent d’interrompre la grossesse et de procéder à une nouvelle insémination.
L’influence de l’alimentation et de la génétique
L’alimentation a une influence indirecte sur le nombre de gestations gémellaires dans l’exploitation. Comme déjà mentionné, la double ovulation est le principal facteur expliquant un tel phénomène chez les bovins. Cela se produit plus souvent en début de la lactation chez les animaux qui affichent une forte production de lait et présentent, simultanément, un bilan énergétique négatif. Distribuer une ration bien équilibrée est donc essentiel. A contrario, il n’a jamais été démontré que l’ajout de sélénium ou de graisses au régime alimentaire a un effet sur le taux de naissances gémellaires.
La génétique joue un rôle beaucoup plus important que la gestion du troupeau. L’avenir est aux tests génétiques pouvant déterminer la probabilité d’une gestation gémellaire. Dans ce contexte, il est important de tenir compte de la génétique des vaches et des taureaux.
Cependant, il existe aussi des contraintes pouvant affecter l’élevage. Les gènes du rendement laitier, de la consommation quotidienne de matière sèche et de la double ovulation se chevauchent probablement. Ainsi, il se peut que l’on ne puisse pas réduire le nombre de jumeaux sans affecter la production laitière.
Un atout pour les élevages viandeux ?
Chez les races viandeuses, les éleveurs souhaitent parfois des jumeaux car cela peut doubler leur revenu annuel. Les coûts d’élevage sont réduits et le rendement total des veaux sevrés est supérieur. Mais ici, la gestion de l’exploitation est particulièrement cruciale. Les éleveurs doivent absolument être présents lors de la mise-bas, car le risque de complications pendant le partus est près de 50 % plus élevé.
Le taux de mortalité natale est plus important chez les jumeaux (+16 %) et le poids à la naissance est plus faible, ce qui les rend moins aptes à supporter des températures ambiantes très basses que les veaux de poids normal. En outre, les mères rejettent parfois un veau. Il faut s’en rendre compte rapidement pour intervenir de manière appropriée.
Les complications après une césarienne augmentent de façon spectaculaire en race Blanc Bleu Belge. Par conséquent, les gestations gémellaires sont réellement non souhaitées chez ces animaux.
In fine, la plupart des éleveurs, tant laitier que viandeux, préfèrent les naissances uniques aux jumeaux. La plupart du temps, le jeu n’en vaut pas la chandelle !
D’après Barbara Beci,
Université de Gand