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Vers la production d’une pomme de terre bas intrants

La culture de la pomme de terre est une culture économiquement et culturellement importante en Wallonie. Toutefois, étant fortement dépendante d’intrants, elle peut comporter des risques tant au niveau de l’environnement que de la santé du producteur et du consommateur.

Temps de lecture : 13 min

Il existe de nombreux leviers potentiels qui permettent de réduire ces effets indésirables mais ils sont rarement associés. C’est dans ce contexte et dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie (octobre 2021) que le gouvernement wallon a financé le projet Patat’Up pour une durée de 3 ans. La mise en application de ce projet se fait au travers d’un partenariat entre le Cra-w en tant que responsable de la mise en place et suivi des essais et la Fiwap comme relais entre la recherche et la filière.

L’objectif de ce projet est de combiner les leviers existants pour espérer aboutir à une réduction effective d’intrants, en créant des systèmes alternatifs, écologiquement intensifs et résilients de production de pommes de terre, aussi bien pour les marchés du frais que pour la transformation industrielle.

Différents itinéraires testés

Des itinéraires techniques performants et en rupture par rapport aux techniques courantes sont analysés et comparés. Une approche multifactorielle intègre les éléments suivants :

– Usage d’une plus large diversité de variétés plus robustes pour une meilleure résilience face aux impacts du changement climatique et pour une bonne tolérance/résistance face au mildiou.

– Adaptation des traitements et itinéraires à ces variétés.

– Techniques culturales innovantes favorisant la réduction d’intrants (engrais, PPP) et un meilleur respect du sol.

– Test des aptitudes à la transformation des pommes de terre afin qu’elles puissent effectivement être utilisées et valorisées par les opérateurs commerciaux.

L’évaluation des différents modèles culturaux se fait d’un point de vue technique, environnemental et économique. En outre, les possibilités de valorisation locale de la production sont également évaluées en intégrant les différents acteurs de la filière.

Cet article vous présente certains résultats de la première année d’essai qui sont à mettre en relation avec les conditions météorologiques particulières de cette saison 2022. Il est néanmoins à noter qu’il s’agit de la première et unique année d’essai. Par conséquent, ces premiers résultats devront être confirmés par la suite du projet.

Le potentiel de la pomme de terre

Trois thématiques ont été abordées dans les essais : la résistance au mildiou, l’efficience azotée et la tolérance au stress hydrique.

Résistance au mildiou

L’essai avait pour but de définir un seuil de tolérance au mildiou en fonction de la résistance variétale. Autrement dit, nous souhaitions voir s’il était possible de retarder les interventions fongicides en fonction de la tolérance des variétés robustes au mildiou afin de réduire les interventions au strict minimum. L’essai comprenait 5 variétés présentant respectivement des niveaux de résistance au mildiou croissants : Fontane (2), Agria (4), Challenger (5), Louisa (7) et Camméo (8). Ces notes de résistances sont issues des essais Milvar (Cra-w). L’échelle allant de 1 (variété très sensible) à 9 (variété très résistante).

Suite à une saison culturale très sèche et une très faible pression en mildiou, l’essai n’a pas permis de démontrer l’efficacité d’une stratégie de réduction du nombre d’applications fongicides étant donné l’absence de mildiou dans les parcelles. Néanmoins, nous pouvons quand même indiquer qu’en 2022, il a été possible de ne pas réaliser de traitements fongicides aussi bien pour les variétés résistantes que sensibles.

Efficience azotée

Cette tâche avait pour objectif de tester l’efficience d’utilisation de l’azote de 4 variétés de pommes de terre : Camméo (chair tendre, frais, mi-hâtive), Sevilla (chair tendre, frites, chips, tardive), Alanis (industrielle frites, mi-tardive), Fontane (industrielle frites, mi-tardive). Les variétés ont été testées selon 6 modalités de fumures azotées (75, 105, 150, 180, 210, 240 kg N/ha) en 2 répétitions. La dose d’azote de 150 kg N/ha est la dose conseil établie pour une variété type Bintje. Pour la variété Fontane, la dose conseil serait de 180kg N/ha c’est-à-dire 30 unités de plus que la Bintje ; il s’agit en effet d’une variété gourmande en azote. Pour les autres variétés testées, la dose d’azote conseil n’est pas connue et l’objectif est de démontrer que les doses réduites de 75 et 105 kg N/ha seraient les doses requises permettant d’obtenir un statut azoté optimal de la biomasse aérienne pour atteindre le rendement maximal.

Les variétés mises en avant sont Alanis et Sevilla. La variété Sevilla a montré une meilleure efficacité de prélèvement de l’azote (NupE) qui a abouti à une meilleure efficience d’utilisation de l’azote (NUE) comparativement aux variétés Camméo et Fontane. La variété Alanis a présenté des valeurs de NUE et NupE intermédiaires (tableau 1).

Sur base de l’Indice de Récolte (IR = MS des tubercules/MS plantes entières) mesuré début août ou encore les rendements de fin de saison, les variétés Alanis et Sevilla montrent des résultats confirmant la capacité de ces variétés à valoriser des doses réduites d’azote. L’IR mesuré pour le niveau de fumure azotée le plus bas, a permis de discriminer Sevilla et Alanis, d’une part, avec une contribution importante des tubercules dans la part de la biomasse totale et, Fontane et Camméo d’autre part, avec les valeurs les plus basses.

La variété Alanis a présenté, à la récolte, des rendements moyens en tubercules supérieurs aux autres variétés, et ce, pour toute la gamme de fumure azotée. La variété Sevilla a également montré, en général, de rendements plus élevés comparativement à Fontane et Camméo (tableau 2). Si l’on reprend les 4 niveaux de fumures azotées les plus bas on remarque que l’augmentation des doses d’azote ne mène pas à une augmentation des rendements pour des variétés telles que Alanis ou Sevilla. Par contre pour une variété tel que Fontane, on remarque que le rendement augmente d’environ 8 tonnes en passant des 3 niveaux d’azote les plus bas vers la dose de 180 kg N/ha. Sur base de ces résultats et en comparaison avec la dose conseil (150 kg N/ha), l’application d’une dose de 75 kg N/ha pour des variétés efficientes en azote (Alanis et Sevilla) permet une réduction d’au moins 50 % des doses d’engrais azoté et ce, sans conséquence de réduction de rendement.

Des tests de lavabilité, de cuisson et de délitement ont permis de montrer que des applications des doses réduites de fumure azotée n’altèrent pas les caractéristiques qualitatives des tubercules.

Tolérance au stress hydrique

D’un point de vue de la tolérance au stress hydrique, les variétés de pommes de terre testées sont toutes sensibles au stress hydrique mais dans des proportions qui varient. La précocité, la biomasse foliaire et la teneur en chlorophylle sont des paramètres qui pourraient expliquer en grande partie la différence de réponse variétale.

Au niveau de la modalité non irriguée, la variété Sevilla a montré une couverture foliaire plus importante que celle observée pour Fontane et ce à partir de mi-juillet (période à partir de laquelle le stress hydrique s’est accentué). La moyenne obtenue pour l’ensemble des dates de mesures est de 89.33 % pour Sevilla contre 82.93 % pour Fontane.

La variété Sevilla a également montré le moins de différence en termes de rendement entre le régime hydrique et pluvial et c’est la variété Camméo qui apparaît comme la variété la plus sensible au stress hydrique avec une perte de rendement de -35 % par rapport au régime irrigué. La sensibilité de la variété Camméo est liée sans doute à son cycle de maturité (variété hâtive).

Cependant, comparativement à Camméo et Sevilla, le stress hydrique n’induit pas chez la variété Fontane une augmentation importante de la proportion des tubercules de classes inférieures à 50 mm.

En termes de lavabilité, l’irrigation améliore la présentation des tubercules. Ceci est particulièrement important pour les variétés destinées au marché du frais telles que Camméo et Sevilla. Ces dernières présentent des indices de délitement pour les modalités irriguées plus importants que les modalités non irriguées.

En termes de coloration à la friture, les variétés présentent des résultats relativement similaires pour les 2 régimes hydriques. Les variétés fritables (Fontane et Alanis) présentent des indices de coloration à la friture les plus bas.

Des pratiques culturales innovantes

Concernant les pratiques culturales innovantes, 5 thématiques ont été étudiées dans les essais : la réduction de l’utilisation des herbicides, la réduction de l’utilisation de défanants, les buttes d’automne (SYCI), le paillage de luzerne (SYCMA), la culture en mélange de variétés.

Réduction de l’utilisation des herbicides

Le but de cet essai était de tester l’efficacité de deux modalités par rapport à un désherbage chimique : une pulvérisation localisée sur le sommet de la butte associée à un travail mécanique des flancs (un rebuttage en pratique) soit coïncidant avec le passage de la planteuse soit en simultané sur plusieurs passages de planteuse. Cet essai a permis de mettre en évidence l’importance des réglages lors du travail mécanique des flancs et leur difficulté. Dans le cas d’un mauvais réglage, la machine de désherbage agit trop bas et provoque une remontée de terre importante sur le haut de la butte et, par conséquent, un recouvrement partiel de la végétation déjà en place. Ce mauvais réglage de la machine a un impact négatif significatif sur le rendement. Cependant, lorsque le réglage est approprié, le désherbage mécanique sur les flancs combiné à une pulvérisation localisée sur le sommet permet d’obtenir la même efficacité de désherbage et le même rendement que la modalité désherbée uniquement chimiquement. Il est donc possible de réduire la quantité d’herbicides appliquée de 74 %.

Réduction de l’utilisation de défanants

En termes de réduction de l’utilisation de défanants, deux essais différents ont été réalisés : le défanage alternatif et le défanage modulé.

L’objectif de l’essai défanage alternatif était d’évaluer les méthodes permettant de réduire (broyage des fanes suivi de pulvérisations de Gozaï et/ou de Ranman) ou de substituer les défanants chimiques (défanage thermique et défanage électrique) en comparaison avec la méthode traditionnelle 100 % chimique. L’évaluation de la qualité du défanage est quantifiée grâce à une mesure de la tension nécessaire à la séparation des fanes des tubercules. Il ressort de l’analyse que les techniques de défanage alternatif sont aussi efficaces qu’un défanage chimique. De plus, ces méthodes alternatives n’altèrent pas la qualité des tubercules. Ils ne causent pas d’anneaux vasculaires et n’entraînent pas plus de coups sur les tubercules.

Le but de l’essai modulation du défanage est de moduler l’apport de défanant grâce à un pulvérisateur en fonction de la préconisation des cartes de végétation réalisées à partir d’un drone. La nouveauté de l’essai par rapport à d’autres projets comme Défapot et Innoveau est que la modulation est réalisée par section de +/- 3m au lieu de la largeur complète du pulvérisateur (25 m).

Il a été démontré qu’il est possible de moduler la quantité de produit à pulvériser par section de rampe et donc de réduire la dose de défanant sur une végétation moins développée sans impacts significatifs sur la tension à l’arrachage des fanes. Cependant, la modulation du défanant n’a pas permis de réduction par rapport à la dose conseil mais plutôt une meilleure répartition du produit sur l’ensemble de la parcelle.

Buttes d’automne (plateforme SYCI)

Cette expérimentation, intégrée dans la plateforme de comparaison de système de culture installée au Cra-w (SYCI), comparait les effets sur le sol, le ruissellement et sur l’érosion de deux méthodes de travail de sol. Dans la première méthode d’implantation, la formation des buttes à la fin de l’été est accompagnée du semis d’un engrais vert et la plantation est réalisée au printemps directement dans les buttes préformées. Dans la seconde méthode, les buttes sont formées après le travail du sol au printemps et la plantation a lieu dans la foulée.

Dû à la saison culturale particulièrement sèche, cet essai n’a pas permis de tirer des résultats sur le ruissellement, l’érosion et la stabilité structurale du sol. Les résultats de la récolte montrent que les rendements des parcelles en buttes d’automne sont significativement inférieurs (37,14 t/ha) à ceux mesurés dans les parcelles avec l’implantation conventionnelle (52,86 t/ha). La modalité conventionnelle montre également une grande proportion de calibres supérieurs à 50 mm (37,27 t/ha contre 21,48 t/ha en buttes d’automne). Ces différences de rendement peuvent s’expliquer par la date de formation tardive des buttes d’automne et le faible développement des engrais verts qui s’en est suivi. Cette différence de rendement est également renforcée par l’effet du travail du sol, qui peut induire une plus faible minéralisation, et donc, un plus faible approvisionnement en azote dans le cas des buttes d’automne.

Paillage de Luzerne (SYCMA)

Cet essai inséré dans une plateforme expérimentale de longue durée en maraîchage bio (Sycma) avait pour but de comparer l’impact de deux systèmes d’implantation sur la fertilité du sol et la productivité. Le premier système a été conduit en technique de culture simplifiée et fertilisé via l’apport de luzerne fraîche (SdC-1) et le second système de culture a été labouré chaque année et fertilisé par un apport d’engrais organique (SdC-2).

La croissance et les rendements de la pomme de terre ont été étudiés dans les systèmes de culture pour la variété Alouette (mi-hâtive). Le rendement net du SdC-2 est de l’ordre de 40,02 t/ha, soit supérieur de 33 % par rapport à celui obtenu par le SdC-1. L’effet « fertilisant » escompté de la luzerne en 2022 ne semble donc pas avoir été pleinement au rendez-vous. En effet, la fraction de l’azote organique qui a pu être minéralisée durant la saison de croissance est estimée être inférieure aux valeurs de référence, étant donné une saison estivale extrêmement sèche (pluviométrie moyenne de 34 mm/mois). De plus, l’effet travail du sol (labour/non labour) joue un rôle important par rapport aux résultats observés pour les rendements. En revanche, l’effet « paillage » de la luzerne a permis de maintenir une humidité significativement supérieure dans les buttes quelle que soit la période de mesure et a également permis un contrôle des adventices.

Culture en mélange de variétés

Cet essai avait pour objectif d’étudier l’influence d’un mélange de variétés, présentant des niveaux de résistance au mildiou croissants : Louisa, Allians, Camméo, sur la propagation du mildiou et le rendement. Théoriquement, les mélanges variétaux permettraient de réduire le mildiou de trois façons différentes :

– Induction de réactions de défense chez les variétés en étant en contact avec des spores avirulents ce qui peut empêcher ou retarder l’infection par des spores virulents ;

– L’effet barrière, avec des plantes résistantes agissant comme barrière à la dissémination du pathogène ;

– Dilution des sensibles, il y a une distance accrue entre les plantes de la composante la plus sensible pour un pathogène particulier

Étant donné les conditions extrêmement sèche et l’absence de mildiou tout au long de la saison culturale, l’efficacité de l’essai n’a pas pu être démontrée en 2022.

Des conclusions liées à la météo de 2022

Cette première année d’essais permet de mettre en évidence des perspectives intéressantes en termes de réduction d’intrants qui devront être confirmées dans la suite du projet. De plus, les conclusions sont à mettre en relation avec les conditions météorologiques de 2022. En effet, la saison particulièrement sèche et chaude était un frein pour tester les potentialités des essais liés au mildiou, le système de pré-butte et le système d e paillage de la luzerne. Les conditions météorologiques ont pu également avoir un impact sur les pré lèvements d’azote dans l’essai efficience azotée. Le désherbage et le défanage sont également des opérations potentiellement impactées par les conditions sèches respectivement en lien avec leur impact sur l’efficacité de la pulvérisation chimique et la sénescence avancée du feuillage.

Pour plus d’informations sur le projet, n’hésitez pas à contacter :

– Mme. Feriel Ben Abdallah, coordinatrice du projet pour le Craw

(f.benabdallah@cra.wallonie.be)

– et/ou M. Vincent Berthet, chargé du projet pour la Fiwap(vb@fiwap.be).

Vincent Berthet

, Fiwap

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