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Maintenant, ça suffit !

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Mais qui veut donc réellement la peau de notre agriculture, et surtout pour en arriver où ? Voilà une question que les agriculteurs wallons, belges et européens se posent quotidiennement. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a de plus en plus de personnes qui parlent de l’agriculture, décident pour l’agriculture, qui émettent des avis péremptoires, qui s’auto-définissent « experts », mais qui sont, dans les faits, très loin de la réalité.

Ces derniers temps, j’ai eu l’occasion de rencontrer des professeurs d’université, des chercheurs et scientifiques éminents ainsi que le directeur du centre de recherche agronomique de Gembloux. À tous, je leur ai demandé pourquoi on les entend si peu pour venir au secours du secteur agricole, pour démentir des contre-vérités qui sont balancées à longueur de journée dans les médias. Ils ont pourtant les arguments scientifiques pour faire tomber en quelques mots les théories les plus farfelues colportées par des pseudo-experts. Tous m’ont certifié qu’ils informaient le monde politique et décisionnel de leurs avis mais qu’ils étaient peu (pas) écoutés.

Eux comme nous, les agriculteurs, sommes lassés de mener des combats sans fin contre des gens de mauvaise foi, ignorants, lobbyistes intéressés, politiciens et responsables d’ONG populistes et contre-productives. Aujourd’hui, dans cet article, je veux réaffirmer une énième fois des vérités et remettre les acteurs politiques devant leurs contradictions.

La disparition programmée du glyphosate !

Non, le glyphosate n’est pas un produit dangereux et cancérogène. En 2015, l’Efsa (agence européenne de sécurité alimentaire) conclut « qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour classer le glyphosate comme cancérogène ». En 2016, l’Anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement, France) conclut « qu’il n’existe aucun motif de classer le glyphosate comme substance cancérogène ».

En 2017, l’Echa (agence européenne des produits chimiques), fait savoir qu’il n’existe aucune raison de modifier la classification du glyphosate. Il n’y a pas de risque avéré concernant la substance active mais bien avec certains adjuvants, qui, depuis lors, ont été retirés de la formulation. Donc où veut-on en venir ? Oui, l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols dans laquelle nous sommes engagés nécessite l’utilisation du glyphosate.

L’Europe qui, via les nouvelles règles de la Pac, dirige les agriculteurs vers une agriculture à faible empreinte carbone et de conservation des sols (entre autres la diminution du labour et du travail du sol) et nous retire un outil précieux de désherbage total, utilisé avec parcimonie, avant l’implantation d’une culture. Peut-on vouloir une chose et son contraire à la fois ? D’une part, une agriculture nourricière, productive, je ne dis pas productiviste et d’autre part nous imposer des réglementations de plus en plus contraignantes, restrictives et parfois punitives.

Dans le même temps, l’Europe signe avec le monde entier (exemples : mercosur, Ceta…) des accords bilatéraux pour permettre l’importation de denrées qui ne répondent pas à nos standards de production européens : utilisation massive de glyphosate et autres pesticides proscrits en Europe, OGM… cherchez vous-même l’erreur !

La filière sucrière en danger

Non, les néonicotinoïdes (classe d’insecticides) ne sont ni dangereux pour l’homme, ni pour l’environnement quand ils sont utilisés à faible dose (quelques grammes/hectare) dans l’enrobage des graines de betteraves et chicorées. Le retrait des néonicotinoïde utilisés dans les cultures butinées comme le colza et le tournesol est compréhensible.

Par contre, le monde scientifique est unanime concernant les betteraves et les chicorées : ces deux plantes ne fleurissent pas et ne sont donc pas butinées. La protection de ces plantes par les néonicotinoïdes contre les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave (maladie pouvant entraîner jusqu’à 50 % de pertes) est d’une grande efficacité sans nuire aux autres insectes.

Pour une protection efficace équivalente, 2 à 3 pulvérisations généralisées avec des produits dont la sélectivité n’est pas aussi performante sont nécessaires. De plus, les garanties de protection contre la jaunisse via la pulvérisation sont plus aléatoires. Est-ce écologiquement et économiquement plus intelligent ? Assurément non.

Les variétés de betteraves résistantes aux pucerons (seule réponse crédible actuellement) se font attendre, rien de concret ou de compétitif n’est attendu avant au mieux 2025. La suppression des néonicotinoïdes et le réchauffement climatique ont eu des répercussions catastrophiques sur la production de sucre en Europe ces dernières années.

À un point tel que l’Europe va passer du statut d’autosuffisante à importatrice en sucre. Les agriculteurs européens se détournent de cette culture présente depuis près de 200 ans sur le territoire européen avec comme conséquence déjà perceptible la fermeture de sucreries programmée (Escaudoeuvres, nord de la France, 150 emplois perdus).

Comment ne pas voir dans ces fermetures la conséquence directe de la pression réglementaire croissante sur les moyens de production agricoles. Les interdictions sans solutions aboutissent à des impasses… Il y a urgence, car notre patience et la résilience de nos filières ont leurs limites !

Souveraineté alimentaire menacée

Depuis que je suis agriculteur, nous avons déjà diminué l’utilisation de produits de protection des plantes de 30 % à 50 % selon les cultures. Aujourd’hui, certains responsables, tant au niveau européen que belge, veulent nous faire croire que le Bio est une solution d’avenir : objectif 30 % de surface Bio pour 2030, objectif qui semble aujourd’hui inatteignable (de l’aveu même de nos dirigeants).

Aujourd’hui, l’obtention de denrées alimentaires de qualité n’est pas incompatible avec l’utilisation de la chimie quand elle est bien raisonnée, que du contraire ! Pour éliminer des plantes toxiques (exemples : morelles, datura) ou des mycotoxines nocives, voire mortelles, pour l’homme (exemples : ergot, charbon) nous avons recours à des produits phytopharmaceutiques. Bien utilisés, ils permettent d’accéder à des rendements réguliers et à une production de qualité garantie.

Les réductions imposées aujourd’hui en termes d’usage de produits phytopharmaceutiques feront peser des risques énormes sur les rendements agricoles et entraîneront inévitablement un effondrement de notre système alimentaire. Sans produits de protection des plantes, comptez jusqu’à 50 % de pertes de rendement, avec comme conséquence la disparition de filières industrielles : betteraves, chicorées, pommes de terre, légumes (100.000 hectares en Wallonie).

À titre de comparaison, en France, la première ministre Madame Borne a annoncé un changement radical dans les processus d’interdiction-autorisation : « désormais, les agriculteurs seront placés au cœur de la décision alors que jusqu’ici, le plan de réduction des pesticides agricoles était surtout porté par des motivations environnementales et sanitaires ». Ne confondons pas le risque et le danger liés à l’utilisation de produits.

Les associations environnementales qui cultivent le doute et la défiance vis-à-vis de notre métier et de nos pratiques sans les connaître mettent en péril notre souveraineté alimentaire. Sont-ils prêts, ces environnementalistes, à venir à genou dans nos cultures pour les désherber, est-ce durable de payer à vil prix de la main-d’œuvre étrangère pour nettoyer les cultures bio ?

Où veulent en venir les politiques ?

Alors que la nécessité de l’autonomie alimentaire était une notion acquise (dans les esprits du moins), aujourd’hui nos représentants nous font croire que nous pourrons déléguer et faire produire notre alimentation par le reste du monde. « Verdir » chez nous et produire ailleurs ?

Quelle erreur stratégique invraisemblable ! Fermer les sucreries européennes et importer du sucre de canne d’autres continents ? Éliminer nos animaux sous prétexte du réchauffement climatique et des gaz à effet de serre pour importer de la viande susceptible d’être traitée aux hormones et antibiotiques (pratiques interdites en Europe) ? Est-ce cela que nous voulons ? La notion de « clauses miroirs » (application des mêmes standards de production sur les produits d’ici et d’ailleurs) dans les échanges agricoles entre l’Europe et le reste du monde n’est pas respectée.

Quand on pense que la France (la Belgique va suivre) importe une partie de sa viande, c’est un comble pour un grand pays dont d’énormes régions sont couvertes de pâturages où d’autres productions sont impossibles.

Viande et réchauffement climatique

Les activistes anti-viande regorgent d’idées plus saugrenues et imbéciles les unes que les autres. Faut-il 20.000 litres d’eau pour produire un kilogramme de viande bovine ? Si vous comptez la pluie qui tombe sur la prairie et qui permet à l’herbe de pousser et de séquestrer du carbone… Seul un ruminant est capable de transformer de l’herbe non comestible pour l’homme en protéines animales comestibles.

Que la nature est bien faite ! Les ruminants éructent du méthane et rejettent du gaz carbonique, participant ainsi au réchauffement climatique ? Avez-vous comptabilisé les millions de TeqCO2 séquestrées dans les herbages et fourrages et transformées en lait, viande, cuir et engrais organiques par nos cheptels ?

Dans le même temps, la viande importée à une empreinte carbone nettement supérieure. Notre élevage européen est parfaitement lié au sol et n’a rien à voir avec les élevages hors-sol des autres continents.

Vous avez dit malbouffe ?

Les agriculteurs livrent, pour une immense majorité, leurs productions aux industries agroalimentaires. À la sortie de la ferme, la qualité de la production est quasiment irréprochable. Comment pourrait-il en être autrement, tant nous sommes contrôlés (ministères, Afsca, certifications, labels, etc.) ?

Mais que font les industriels avec nos produits ? Ils les transforment et certains y ajoutent du sucre, du sel, des graisses, des conservateurs et autres additifs et cela devient de la malbouffe. Dans son livre « Le suicide de l’espèce », le docteur J.D. Zeitoun estime que l’obésité due à la malbouffe tue 5 millions de personnes par an.

Il pointe l’industrie agroalimentaire comme seule responsable. Cette réputation salie de la nourriture ainsi conditionnée déteint bien évidemment sur l’agriculture qui déplore cette situation et se sent trahie par l’aval de la chaine.

Réforme de la Pac : l’impossible ras-le-bol

Les dossiers noirs s’accumulent sur nos bureaux. La nouvelle programmation de la Pac charrie son lot d’absurdités et d’incompréhensions et fait peser sur le monde agricole des mauvais choix de société. De Madame von Der Leyen à Madame Tellier, une avalanche de contraintes additionnelles s’est abattue sur le monde agricole, conjuguée à un financement nettement à la baisse. Et dire que l’on nous promettait une Pac simplifiée et un financement ambitieux.

Triste constat : l’Europe est le seul bloc stratégique qui désinvestit dans sa production alimentaire. Pire, elle fait tout pour décourager les acteurs de terrain. Prenez par exemple les éco-régimes plus incompréhensibles les uns que les autres. Par exemple, les mesures contenues dans le Plan Érosion de la nouvelle Pac mettent en danger notre agriculture familiale et, par-là, notre souveraineté alimentaire par des mesures abusives, irréfléchies et non fondées scientifiquement.

Ces mesures sont inacceptables, et le plan Érosion (éco-régime BCAE 5) doit être revu immédiatement, sa temporalité doit être adaptée. Les agriculteurs sont les premiers à être conscients du problème érosif, à en souffrir, et les premiers également à mettre en place des mesures de manière volontaire et en tenant compte des réalités agronomiques du terrain.

Mais nous avons besoin de mesures justes, réfléchies, et réellement efficaces contre ce risque érosif, plutôt que de mesures construites sans aucune réflexion de terrain. Dans l’état actuel des choses, les conditions d’exploitations seront rendues difficiles, voire impossibles dans certains secteurs. 30 % du territoire wallon est actuellement classé en zone « sensible » concernant l’érosion des sols. Nos responsables politiques se soucient beaucoup moins des conséquences des aléas climatiques extrêmes (exemple : précipitations abondantes) en autorisant le grignotage permanent et le bétonnage de la superficie agricole wallonne, dont 4 hectares sont perdus quotidiennement (1.500 hectares/an).

Nos politiques font peser lourdement sur l’agriculture leurs erreurs passées et présentes en matière d’aménagement du territoire. Cette nouvelle programmation de la Pac ne convient à aucun agriculteur européen et va entraîner une tension supplémentaire sur l’économie agricole et des difficultés d’exploitations pour bon nombre d’entre nous.

Nous ne comprenons pas où l’Europe veut réellement en venir. Pour le citoyen lambda, les problèmes exposés ci-dessus sont sans doute difficiles à comprendre et nécessiteraient des explications plus exhaustives. Le message principal à retenir est que le malaise est très profond dans le monde agricole et que nous avons l’impression que nos responsables ne sont actuellement pas à la hauteur pour endiguer ce malaise. Une crise profonde de notre système alimentaire s’annonce à brève échéance si l’on ne change pas radicalement de cap !

En guise de conclusion, je voulais livrer à votre réflexion cette belle phrase de Madame Sylvie Brunel (géographe et professeur à La Sorbonne) : « Plutôt que d’inciter les jeunes à marcher pour le climat, on devrait les inciter à marcher pour l’agriculture, exiger que l’on reconnaisse la contribution de celle-ci à la lutte contre le réchauffement climatique et à la survie de l’humanité ».

Henri Lhoest

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