
Ces propos du climatologue et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) Jean-Pascal Van Ypersele datent déjà d’il y a quatre ans. Au-delà de l’engagement politique de la Wallonie d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 à 95 % pour 2050, on a peine à entrevoir depuis la révolution évoquée. C’est particulièrement le cas en agriculture où la réduction des émissions est particulièrement à la traîne avec 19 % de moins en 30 ans contre 38 % en moyenne tous secteurs d’activité confondus.
Coup d’œil dans le rétroviseur
Un premier article (Quelle est la part des sols dans le bilan des émissions des gaz à effet de serre agricoles ? – Le Sillon Belge du 05/01/2023) avait mis en évidence la place qu’occupent les prairies et les terres arables en Wallonie dans les émissions de GES de l’activité agricole.
Sur base des données des rapports climatiques de la Wallonie, disponibles auprès de l’Agence wallonne de l’air et du climat (Awac) concernant ici l’année 2021, on pouvait retenir plusieurs informations.
Premièrement, les stocks moyens de carbone sont nettement plus élevés en prairies permanentes (86 t/ha) que pour les terres arables (51 t/ha). Les prairies permanentes sont en moyenne des contributrices nettes aux émissions de GES contrairement à la situation jusqu’au début de ce siècle.
Pour l’année 2021 et à l’échelle de la Région, les terres arables et prairies permanentes ont émis dans l’atmosphère 451.000 t CO2éq sous forme de CO2. Cette quantité représente 9,2 % des émissions totales du secteur. Elle s’ajoute aux émissions des autres sources de l’activité agricole qui se font surtout sous forme de CH4 et de N2O (bétail, épandages d’engrais azotés, moteurs à combustion, résidus de cultures…) soit, au total 4.876.000 tCO2éq.
L’Awac prévoit de nouvelles campagnes de mesures pour confirmer ces tendances en Wallonie alors que les données publiées à l’échelle européenne ou encore en Flandre, en Allemagne ou en Suisse par exemple attestent déjà de la contribution globale aux émissions des sols des prairies permanentes.
Par ailleurs, les prairies permanentes qui le sont depuis le début du siècle ont émis 190.000 tCO2 en 2021 et les terres qui sont devenues des prairies permanentes sur cette période en ont fixé 84.000. Quant aux prairies permanentes labourées au cours de ce laps de temps, elles ont émis 260.000 t de CO2 et les parcelles sous cultures 18.000.
Troisièmement, les émissions des sols agricoles représentent 10 % de celles du secteur. On reviendra plus loin sur d’autres contributions majeures à considérer.
Ensuite, il est clairement illusoire d’espérer compenser au niveau des sols les émissions liées à l’élevage bovin. Les meilleures pratiques pour conserver et parfois améliorer les stocks du sol sont celles qui s’accompagnent d’un prélèvement moindre ou d’un retour au sol plus important de matières organiques carbonées (fauches plus limitées, durée de pâturage accrue, apports de fumiers pailleurs et compost, couverts hivernaux productifs enfouis essentiellement).
La conversion de terres en prairies permanentes est très efficace à long terme avec une fixation annuelle de carbone de 500 kg par an pendant dix ans puis décroissant pendant plusieurs dizaines d’années.
Enfin, la pire des pratiques consiste à labourer les prairies permanentes du fait de l’importance des effets qui se prolongent 40 années durant (1 t de C perdue chaque année pendant les 20 premières années qui suivent le labour). En 2021, 260.000 t de CO2 ont cette origine soit 5,9 % des émissions du secteur.
Par la suite, nous verrons plus en détail quelles sont les différentes contributions aux émissions de GES de l’activité agricole et quelles sont leurs parts respectives.
Ultérieurement, et sur ces bases, nous reviendrons sur quels sont les leviers principaux que devrait mettre en place une politique climatique en agriculture pour atteindre les objectifs climatiques de la Wallonie.
Réaliser l’inventaire des émissions
– l’utilisation et le changement d’utilisation des sols agricoles : les terres arables et les prairies permanentes qui conservent leur utilisation année après année accumulent du carbone sous diverses formes organiques ou perdent du carbone sous forme de CO2 selon la manière dont elles sont exploitées (apport d’engrais, d’amendements, pâturage, fauche…), du climat, du type de sol et aussi du stock initial. Les terres qui changent d’utilisation commencent après cela à perdre ou accumuler du carbone durant plusieurs dizaines d’années pour retrouver un stock en équilibre entre les entrées et sorties du nouveau mode d’exploitation.
Quels niveaux d’émissions pour les différents postes ?
Ce qu’il faut retenir
L’analyse des résultats de la comptabilisation des émissions de GES de l’activité agricole de l’Awac pour 2019 met en évidence qu’à l’échelle globale de la Wallonie, les contributions immédiatement liées l’élevage atteignent 53,5 %. Elles s’élèvent à 81 % lorsque l’on intègre celles relatives aux productions fourragères.
Aucun poste ne concerne une fixation nette de carbone. Globalement, tant les prairies permanentes que les terres arables sont des sources d’émissions de GES. Ce constat est tiré dans de plus en plus de pays de l’Union européenne.
Force est de constater que pour réduire les émissions de GES de l’activité agricole en ligne avec l’engagement du Gouvernement wallon pour 2050, il sera impossible d’éviter une nette et progressive réduction de la charge en bétail. Celle-ci devra certainement s’accompagner d’un accroissement des superficies de prairies permanentes aux dépens des terres arables. Ce n’est qu’en remplaçant progressivement des cultures fourragères par de nouvelles prairies permanentes ou forêts – et non par d’autres cultures – que l’on s’assure de réduire fortement les émissions en une génération. C’est surtout, dans le cadre de l’activité agricole, le seul moyen réaliste dans l’état actuel des connaissances pour piéger du carbone de manière accrue et assez bien assurée à long terme.
Cette perspective est évoquée dans l’étude de scénarios pour une Belgique « zéro émission » en 2050 réalisée à l’échelle fédérale en 2021 (disponible via www.climat.be). Elle permet de compenser les émissions restantes et non évitables de la production bovine plus limitée à maintenir, et répondant aux besoins alimentaires.
De ces constats découlent plusieurs leviers d’action sur lesquels nous reviendrons très prochainement.
UCLouvain
