d’une politique climatique pour l’activité agricole ?
L’analyse des postes de l’inventaire des émissions de l’activité agricole récemment détaillée (lire Le Sillon Belge du 16 novembre) a mis quelques constats majeurs en évidence. On peut en déduire les leviers évidents et incontournables d’une politique climatique dans l’état actuel des connaissances.
Réduire le recours aux engrais azotés
Réduire l’utilisation des engrais azotés de synthèse, à la source de 8 % des émissions directes et indirectes de GES de l’activité agricole, offre une possibilité de limiter les émissions. Pour un effet déterminant, il faudrait cependant envisager une très forte réduction d’utilisation. Comme dans le cas de la production biologique et aussi dans certaines exploitations où coexistent polyculture et élevage.
Réduire l’utilisation de l’azote minéral en maintenant une bonne part de la production va également de pair, notamment, avec une croissance considérable de l’utilisation des légumineuses qui fixent l’azote de l’air tant en prairie que dans les cultures et, plus largement, accroissent l’autonomie des fermes.
Un meilleur ajustement de l’utilisation de l’azote de synthèse aux besoins des cultures, avec une tendance à l’utilisation d’outils sophistiqués, semble indispensable et urgent. De manière évidente, on agit cependant à la marge. Les ajustements ne suffiront pas à réduire significativement les émissions venant des engrais de synthèse, avec un effet dérisoire sur celles de toute l’activité agricole. On en déduit ainsi que les niveaux actuels de production sont donc très probablement incompatibles avec un objectif ambitieux de réduction des émissions agricoles (lire également l’encadré).
Conserver, voire accroître, les stocks de carbone
Les stocks de carbone des terres agricoles sont considérables, soit en moyenne 86 et 51 t de C/ha pour les prairies permanentes et les terres arables, et une estimation totale de respectivement 29.377.000 et 20.658.000 t de C. On observe l’érosion progressive et lente de ce stock avec la perte de matière organique sous forme de CO2, tant à partir des terres arables que des prairies permanentes. La source majeure, et aux conséquences sur le moyen et même le long terme, provient du labour des prairies permanentes.
Pour les terres arables et à l’échelle des fermes, la conservation et, parfois, l’accroissement des stocks de carbone passe par des rotations à bilan d’humus positif. Des outils pour mesurer la part maîtrisable par les agriculteurs sont utilisés en routine en Suisse et en France, par exemple pour le conseil. Leur utilisation volontaire serait à promouvoir et encadrer. Il ne faudrait pas exclure d’envisager une utilisation dans le cadre de la conditionnalité ; la promotion de l’utilisation volontaire risquant de montrer rapidement ses limites face à certaines rotations très rémunératrices.
Un bilan d’humus positif réduit l’effet de l’activité agricole sur le climat et s’oppose à la dégradation actuelle de la qualité des sols des terres arables. Concernant cette question environnementale et de conservation du potentiel productif, on sait que 90 % des superficies sous cultures en Wallonie (soit près de 375.000 ha) présentent des teneurs trop faibles en matière organique (inférieure à 20 g C/kg) susceptibles d’entraîner un risque d’instabilité des agrégats.
Pour les prairies permanentes existantes, on n’a identifié aucune pratique d’exploitation aux effets positifs importants (tableau 1). Il n’y a pas de perspective de réduction significative du bilan global net d’émission sans changement fondamental de système. Des effets favorables, mais très modestes et peu quantifiables en regard de l’objectif, pourraient être attendus en réduisant les fauches et allongeant les périodes de pâturage. Les retours de fumier et composts plutôt que de lisier seraient aussi probablement plus favorables.
Arrêter effectivement et définitivement le labour des prairies permanentes est, par contre, un levier important aux effets immédiats, quantifiables et de long terme. La création de nouvelles prairies permanentes ou de nouvelles forêts aux dépens de terres arables sera une voie notable de contributions nouvelles au stock de carbone des sols qui pourrait contrebalancer la diminution observée aujourd’hui, voir accroître le stock global. C’est la perspective de l’étude du Service public fédéral de la Santé Publique publiée en 2021 et relative à des scénarios pour une Belgique climatiquement neutre (disponible sur www.climat.be).
De manière réaliste, l’agriculture n’y ramène pas ses émissions à zéro. C’est réaliste puisqu’elle est fondée sur des processus biologiques sur lesquels on n’aura jamais l’entière maîtrise, d’une part, et que la fonction alimentaire de l’agriculture est évidemment indispensable, d’autre part. Selon les auteurs, la conversion de terres arables en prairies permanentes et l’accroissement des surfaces forestières seront des passages obligés pour compenser les émissions résiduelles liées au maintien d’une part du bétail bovin.
Réduire la charge à l’hectare
Les émissions de GES liées directement et indirectement à l’activité d’élevage sont largement prépondérantes et représentent 81 % de celles de l’activité agricole.
La réduction progressive du cheptel bovin semble donc incontournable eu égard au poids de ses émissions. Comme elle devrait se dérouler avec un accroissement des surfaces de prairies permanentes, on aura donc une forte diminution de la charge moyenne de bétail par hectare de prairie permanente et de superficie fourragère. Cela ne peut aller de pair qu’avec un soutien public déterminé, mis en œuvre très rapidement et centré exclusivement sur les formes d’élevage fortement favorables du point de vue climatique.
Ces évolutions devront conduire à une limitation globale des productions animales, et donc une forte limitation des ambitions à concourir sur des marchés à l’exportation. Ces changements devraient s’accompagner obligatoirement de l’adoption et de la mise en œuvre de politiques fortes soutenant l’évolution des habitudes alimentaires.
Il n’existe pas de scénario étudié par les pouvoirs publics et intégrant ces différents éléments en Wallonie.
Les perspectives limitées de certaines solutions technologiques
En décembre 2019, le Gouvernement wallon, dans sa contribution pour définir la « Stratégie à long terme de la Belgique » en matière climatique, a mis en avant que l’innovation et les évolutions technologiques (smart farming, agriculture de précision, évolutions génétiques…) seront déterminantes pour atteindre les objectifs. Plusieurs études soutenues par la Wallonie visent d’ailleurs à augmenter la production viandeuse et laitière pour un même coût environnemental (lire Le Sillon Belge du 8 décembre 2022).
Des effets à démontrer
La capacité de ces solutions technologiques à contribuer de manière déterminante aux réductions d’émissions à atteindre est cependant très loin d’être démontrée. En 2020, la Cour des Comptes européenne, dans une analyse approfondie, ne relève aucune pratique efficace et approuvée permettant de réduire sensiblement les émissions de l’élevage dues à la digestion des animaux sans réduire la production.
Elle constate que bon nombre de pratiques en matière de sélection, d’alimentation et de santé animale ainsi que de gestion de la fertilité n’offrent que la possibilité d’une atténuation lente et marginale (lire encadré).
L’effet rebond
Selon la Cour des Comptes déjà évoquée, « les innovations dans les pratiques de gestion et la technologie peuvent accroître l’efficacité de la production agricole en matière d’émissions de GES ». L’accroissement de rendement par animal, par exemple, fait baisser les émissions par litre de lait produit.
Mais, « ces gains d’efficacité ne se traduisent pas directement par une baisse des émissions globales. En effet, les avancées technologiques dans le secteur de l’élevage ont également poussé à la baisse le coût de production du litre de lait, ce qui a entraîné une expansion de la production. À cause de cet effet, appelé « effet de rebond », les réductions des émissions de gaz à effet de serre sont plus modestes qu’elles ne l’auraient été sans expansion de la production. Les émissions supplémentaires liées à l’expansion de la production pouvant même dépasser les réductions obtenues grâce à l’amélioration de l’efficacité, l’innovation entraîne une augmentation des émissions globales ».
Les petits pas de la politique climatique pour l’agriculture wallonne
