des cerises

On a r’ciné à l’omb’ padzou l’fouilladge
Au mitan d’ell’ cour padzou l’gros cherigi (…) » (1)
Tout comme chez Tante Dorothée, tante de l’amoureux transi de Lolotte, il fut un temps où, dans nos campagnes, toute « bonne » maison se voyait accompagnée d’(au moins) un plantureux cerisier, généreux fournisseur de bigarreaux, guignes ou griottes pour petits et grands… Majestueux et monumental, il devenait en avril un énorme et bourdonnant bouquet de fleurs. En juillet, on y appuyait d’interminables échelles pour cueilleurs-cascadeurs qui en descendaient des paniers remplis de pendants d’oreilles.
Mais voilà, les cerisiers ne sont pas éternels, et, les uns après les autres, ils ont connu le funeste sort de la tronçonneuse… Vieillesse ? Maladie ? D’autres chefs d’accusation sont bien plus futiles : trop de feuilles dans les gouttières, trop d’ombre, trop d’insectes… vient alors l’argument-massue : « De toute façon, les oiseaux nous prennent tout ! » Face à un tel réquisitoire, la sentence fatale est sans appel ! Et pour contourner le problème, d’aucuns ont trouvé la solution : mais bon sang, mais c’est bien sûr, un basse-tige ! Comme ça, on pourra cueillir toutes les cerises ! Ouais ! avec un arbre deux ou trois fois plus petit et autant moins de cerises, les maraudeurs à plumes, à l’œuvre dès le lever du jour, ont vite réglé la question de la cueillette.
Pour ma part, je me disais : « Tant qu’à planter un cerisier, autant qu’il profite à tout le monde », aussi, quand l’occasion s’en présenta, j’optai pour quelques arbres hautes-tiges, les plus hauts possible ! La patience aidant, ils deviendraient les dignes successeurs de celui de Tante Dorothée. Et avec la gent ailée, nous avons conclu un pacte, le « red deal » si vous voulez : « A vous qui volez (!) si bien et qui ne craignez pas le vertige, les branches les plus hautes, à nous ce qui est à portée de notre échelle ! ».
Avouons que, tant que les arbres étaient jeunes, le pacte de non-agression fut plus d’une fois transgressé. Je me vois encore arriver avec mon échelle, salivant à l’idée de la tarte qui allait sortir du four, pour ma première récolte d’une poignée de griottes mûres juste à point… Ah, les traîtres ! Volatilisés, les délices convoités ! Tout juste s’il restait quelques noyaux décharnés ! Les années ont passé, les arbres ont grandi en taille et en production, et, pour autant que la lune rousse ne rendît notre accord sans objet, une « pax romana » s’installa à la grande satisfaction des différentes parties.
Ces derniers temps cependant, la perte générale de biodiversité fait son œuvre, et de plus en plus de cerises pourrissent lamentablement sur les arbres. Peu avant notre Covid, les merles avaient connu le leur, le virus Usutu, qui a fait des ravages. Décimées, les volées virevoltantes d’étourneaux étourdissants qui s’abattaient par milliers sur les prairies à la recherche de larves de tipules. La vermine du genre Rhagoletis ou la nouvelle venue et invasive drosophile de Suzuki prolifèrent à l’aise et s’emparent du festin !
Mais au diable la sinistrose. Cette année, en dépit d’une météo désastreuse, il semble que les chorales de merles aient requinqué leurs effectifs : ça siffle du matin au soir ! Ah ! qu’il est fier notre «<UN>blackbird<UN>» (2) perché sur la girouette ou « à l’coupette » du cerisier, chapardeur, moqueur, mais quel chanteur ! Pour sûr, alors que la fécondation des belles fleurs blanches a été perturbée par les intempéries, il faudra beaucoup de diplomatie pour faire respecter notre « red deal » ! Mais, vous en conviendrez, une aubade au point du jour, ou un « concerto pour deux merles » résonnant dans le soir d’or, ça vaut bien le partage de ce fruit chanté par les poètes ?
« J’aimerai toujours le temps des cerises,
Et le souvenir que je garde au cœur ! » (3)
(1) « Lolotte », chanson du pays de Charleroi écrite par Jacques Bertrand (vers 1850), reprise en 1975 par Julos Beaucarne.
(2) « Blackbird » , « Le merle », chanson des Beatles, écrite en 1968 par Paul McCartney qui la dédia à la cause des Noirs américains. Elle se termine par un beau solo du merle.
(3) « Le temps des cerises », chanson écrite en 1865 par Jean-Baptiste Clément, dédiée a posteriori à une jeune ambulancière volontaire de la Commune de Paris.
