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Années 1990, années

affolantes

Temps de lecture : 5 min

Ma petite vie d’agriculteur a compté jusqu’à présent quatre décennies, et peut-être arriverai-je à cinq. Quelle fut la plus désagréable d’entre elles ? Celle qui me laisse des souvenirs amers, durant laquelle les pires doutes m’ont assailli ? Sans hésiter, je réponds : les années 1990 ! Ces jours-ci, la crise de la dioxine « fête » ses vingt-cinq ans, et les images d’archives diffusées à la télévision m’ont rappelé ces dix années, les plus funestes qui soient pour notre agriculture paysanne. Retour vers l’enfer…

L’année 1989 s’était pourtant achevée sur une note euphorique, avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre Froide. L’Europe et ses 12 pays-apôtres n’avaient plus à craindre les coups de griffes de l’ours soviétique, rentré dans sa tanière. 1989 avait été particulièrement clémente : la viande et le lait se vendaient à des prix jamais atteints. Pour la première fois depuis la naissance de l’enfant-PAC en 1962, le revenu des fermiers s’était établi à un niveau tout à fait acceptable. C’était trop beau pour durer, le calme avant la tempête…

D’entrée de jeu, 1990 frappa très fort ! En janvier et février, de violentes tempêtes vinrent secouer le pays, déraciner des millions d’arbres et de pylônes, souffler des toits par milliers. Bienvenue au club des misères, Monsieur le Réchauffement Climatique ! Puis dès le printemps, les prix du bétail sur pied, même cul-de-poulain, commencèrent à baisser inexorablement, de semaine en semaine. L’enterrement de première classe du Bloc de l’Est et la réunification de l’Allemagne provoquaient une restructuration de leur agriculture ; le marché européen de la viande était engorgé par l’afflux de dizaines de milliers de carcasses de bovins. Le grand commerce y trouvait son compte, mais les éleveurs perdaient en quelques mois une grande partie de leurs revenus !

L’un après l’autre, les dominos tombaient, et l’élevage bovin Blanc Bleu Belge plongeait dans un marasme sans précédent, tandis qu’éclatait le scandale des hormones d’engraissement. La classe politique devait montrer qu’elle maîtrisait la situation. Mais la voracité de la filière du commerce de la viande aveuglait ses acteurs : marchands de bestiaux, engraisseurs, chevillards, bouchers. « L’Omerta » fermait la bouche à tout un réseau. Pots-de-vin, menaces… comme dans un film de série B sur la Mafia. Il fallut un événement déterminant pour dynamiter le nid de vipères : l’assassinat de Karel van Noppen en 1995, vétérinaire-contrôleur dans les abattoirs en Flandre. La conscience populaire prenait en pleine face une évidence : l’agriculture avait perdu son innocence, elle était gangrenée par des pratiques dignes du grand banditisme. L’indignation semait dans les esprits les graines du doute, puis germerait la suspicion, fleurirait la méfiance, mûrirait la défiance !

Nous vivions une décennie particulièrement violente, jalonnée de meurtres, de conflits guerriers et de génocides. Guerre du Golfe ; Guerre des Balkans ; génocide au Rwanda… L’être humain est absolument abominable, s’il s’en donne la peine et les moyens ! Chez nous, dans notre petite Belgique, un ogre enlevait les enfants, les séquestrait et leur faisait subir les derniers outrages avant de les tuer. « Folie » : je retiens ce mot pour illustrer ces années 1990.

De son côté, l’étoile de la Politique Agricole Commune avait bien pâli, et grandement pâti de son coût exorbitant. Le soutien des marchés et l’élimination des petites fermes n’avaient guère eu les effets escomptés. Les revenus des agriculteurs survivants, des derniers des Mohicans, ne cessaient de se dégrader dans nos régions. En 1992, une nouvelle réforme de la PAC fut décidée, parallèlement à deux directives environnementales : Natura 2000, qui désignait des sites où la faune et la flore devaient être protégées, et la directive « Nitrate », qui entendait lutter contre la pollution des eaux (nappes phréatiques et eaux de surface) par les nitrates. Avec cette réforme, il ne s’agissait plus de subventionner la filière agricole et commerciale en soutenant les marchés et les exportations, mais de soutenir directement le revenu des agriculteurs.

Une nouvelle « ère » commençait pour les paysans, celle des « chasseurs de prime », des « assistés sociaux », comme on allait bientôt les requalifier… Parallèlement aux aides directes, apparurent les Mesures Agri-Environnementales, lesquelles encourageaient, par des indemnités, des méthodes de protection de l’environnement. L’écologie avait maintenant pignon sur rue ; elle préconisait, en quelque sorte, le retour aux anciennes pratiques paysannes. C’était absolument dingue ! La PAC voulait rendre une certaine virginité à son agriculture, en quelque sorte. Mais de très mauvaises habitudes avaient été prises, et le scandale des hormones n’avait constitué qu’une première alerte ! D’autres avatars de l’industrie agro-industrielle allaient montrer leur face monstrueuse…

En 1996, éclata la crise dite de « la vache folle », très médiatisée comme il se devait. Un vilain prion allait mettre à mal toute une filière. Des fabricants anglais d’aliments pour bétail avaient eu l’idée « géniale » et fort lucrative de recycler les cadavres d’animaux morts de l’ESB, et de les resservir aux vaches en plat du jour. L’ESB, ou Encéphalite Spongiforme Bovine, provoquait des lésions aux cerveaux, et pouvait se transmettre aux consommateurs de la viande contaminée.

En 1999, le secteur des volailles et des porcs connut lui aussi sa « Bérézina », avec le scandale de la dioxine, retrouvée dans des aliments industriels. Cette fois, « trop was te veel » ! Il fallait frapper un grand coup, nettoyer les écuries d’Augias. Une nouvelle agence fut créée ; elle rassemblait des éléments disparates des ministères de la Santé et de l’Agriculture et avait pour mission de veiller sur la filière alimentaire. L’Afsca, puisqu’il faut l’appeler par son nom, était née pour le meilleur et pour le pire… La défiance envers l’agriculture atteignait un niveau jamais atteint, au seuil des années 2000, lesquelles allaient nous proposer d’autres très vilaines surprises, hélas…

Ces années nonante, années affolantes, années truandes, ont volé chez nous leurs dernières illusions aux paysans, et tué leur innocence. Les années 2020 ne valent guère mieux, hélas… Le coup de grâce ?

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