Pour exploitation
personnelle
mais dans
un temps différent
Poursuivons notre tour d’horizon des motifs de congé en matière de bail à ferme. Il sera ici question d’exposer les particularités des motifs de congé visés à l’article 8 de la loi sur le bail à ferme.
Rappelons, avant l’entame du propos, quelques considérations temporelles relatives aux congés vus à l’occasion des précédentes parutions.
Les congés visés à l’article 6, essentiellement tournés vers les congés à orientations bâtissables ou industrielles, peuvent être notifiés à tout moment de la vie du bail, moyennant un délai de préavis de 3 mois au moins.
Les congés visés à l’article 7 de la loi, dont le plus fréquent est celui pour le motif d’exploitation personnelle, ne peuvent être notifiés que pour l’échéance de chaque période, moyennant un délai de préavis de 2 ans au moins et 4 ans au plus (hormis le congé visé à l’article 7 10° à notifier, à l’instar des congés visés à l’article 6, à tout moment de la vie du bail moyennant le respect d’un délai de préavis de 3 mois au moins.).
Faire la distinction
Il est parfois difficile de distinguer le congé pour le motif d’exploitation personnelle visé à l’article 7 1° du congé visé à l’article 8§1er de la loi, puisque, justement, ce dernier concerne AUSSI le motif d’exploitation personnelle.
Mais qui sera attentif aux libellés précis des articles 7 1° et 8§1er apercevra immédiatement qu’ils s’ouvrent sur des mots différents. En effet, l’article 7 commence par « Le bailleur peut mettre fin au bail à l’EXPIRATION DE CHAQUE PERIODE (…) », ce qui suppose ainsi qu’il sera impossible d’espérer récupérer la libre disposition du bien loué avant le terme de la période en cours. Ainsi, un bail né en 2020 pour une première période de 9 ans ne sera sujet à un congé pour le motif d’exploitation personnelle que pour l’échéance 2029 : autrement dit, impossible à qui voudrait cultiver le bien loué (dans les conditions légales) de le récupérer avant 2029.
À l’inverse, l’article 8§1er s’ouvre, lui, sur les mots suivants : « À partir de la troisième période de bail, le bailleur peut, par dérogation à l’article 4, mettre fin au bail, moyennant un congé donné conformément à l’article 11.3, en vue d’exploiter lui-même l’ensemble du bien loué ou d’en céder la totalité de l’exploitation à son conjoint, son cohabitant légal, ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint ou de son cohabitant légal ou aux conjoints ou aux cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs ou à ses parents jusqu’au quatrième degré (…) ». On remarque rapidement que le congé visé à l’article 8 §1er concerne, lui aussi, le motif de l’exploitation personnelle mais dans une dimension temporelle différente puisqu’il n’est question de mettre fin au bail qu’à partir de la 3e période d’occupation moyennant, en fait, un congé qui peut être notifié à tout moment.
Jusqu’au 4e degré
Indépendamment de la question de temps, pourquoi la loi distingue-t-elle deux types de congé reprenant un motif identique ? Une lecture minutieuse des termes des articles 7 1° et 8 §1er de la loi permettra rapidement d’apercevoir la réponse. De fait, on sait que le congé pour le motif d’exploitation personnelle peut servir à garantir l’exploitation par le bailleur lui-même mais également par une série de parents légalement éligibles : descendants, enfants adoptifs, conjoints, cohabitants légaux, descendants ou enfants adoptifs des conjoints ou cohabitants légaux, etc etc. La particularité de l’article 8 §1er de la loi, au sujet de la liste des bénéficiaires possibles d’un congé pour le motif de l’exploitation personnelle, tient au fait que cette liste est étendue aux parents jusqu’au 4e degré.
Illustrons le propos par un exemple. Reprenons notre bail de 9 ans ayant pris cours en 2020 et imaginons que le bailleur n’est pas exploitant agricole, n’a pas d’enfant ou conjoint ou enfant adoptif etc etc. éligible à être bénéficiaire du congé MAIS à un neveu qui, lui, est exploitant agricole. Pourra-t-il notifier congé au preneur au bénéfice de son neveu pour l’échéance 2029 ? Non. Pourquoi ? Parce que le neveu ne fait pas partie des bénéficiaires possibles d’un congé visés à l’article 7 1°. Le pourra-t-il pour l’échéance 2038 ? Pas non plus, pour la même raison. En 2038, en revanche, sera entamée la 3e période d’occupation et, au cours de cette période, le bailleur pourra mettre fin au bail pour en confier l’exploitation à son neveu (pour autant, évidemment, que ce dernier répondre aux critères légaux de validation de congés essentiellement repris aux articles 9 et 12 de la loi).
La loi a donc considéré que, lorsque le bail a déjà vécu deux périodes d’occupation, il est normal de faciliter les possibilités de reprise d’un bien loué en élargissant la liste des bénéficiaires d’un congé pour le motif d’exploitation personnelle : il s’agit là d’une disposition qui amplifie les droits du bailleur.
La totalité du bien
On observera encore, des termes précis des articles 7 1° et 8§1er de la loi, qu’ils se distinguent par l’étendue du congé à notifier. En effet, le congé pour le motif d’exploitation personnelle basé sur l’article 7 1° de la loi peut concerner, dit cette dernière, « tout ou partie du bien loué » là où le congé basé sur l’article 8 §1er de la même loi couvrira obligatoirement « la totalité du bien loué » : interdit donc, dans le cadre d’un congé notifié sur base de l’article 8 §1er, de reprendre une partie et de laisser au preneur une autre partie du bien loué. On reprend tout ou… rien !
Délais de préavis différents
Par ailleurs, les délais de préavis imposés divergent aussi selon qu’il est question d’un congé pour le motif d’exploitation personnelle basé sur l’article 7 1° ou basé sur l’article 8 §1er. Pour rappel, la loi fonctionne, au sujet des délais de préavis, par un mécanisme de renvoi : l’article 11 indique le délai de préavis qui assortit tel ou tel congé. S’il est question de notifier congé pour le motif d’exploitation personnelle sur base de l’article 7 1° (échéance de la période en cours), c’est à l’article 11.2 que l’on observera que le délai de préavis est de 2 ans au moins et 4 ans au plus. En revanche, s’il est question de notifier congé pour le motif d’exploitation personnelle sur base de l’article 8 §1er (à partir de la troisième période), c’est à l’article 11.3 que l’on observera que le délai de préavis est de 3 ans au moins et 4 ans au plus.
Pour terminer cet aperçu de l’article 8 de la loi, il est encore utile de noter qu’en matière de congé, il ne se limite pas à l’article 8 §1er. En effet, après le paragraphe premier, vient le paragraphe second (8§2). Ce dernier contient, en son troisième alinéa, une particularité bien définie limitée aux baux dits de longue durée, soit les baux d’une première période de 27 ans au moins.
Suivi d’un bail de longue durée
La loi indique en effet que « Par dérogation à l’article 4, les parties peuvent conclure un bail d’au moins vingt-sept ans, dit de longue durée (…). Au terme du bail, le bailleur peut également mettre fin à tout ou partie du bail en vue d’aliéner les biens ». Ceci suppose donc qu’en présence d’un bail de longue durée au sens de la loi sur le bail à ferme, donc 27 ans au moins, il est possible au bailleur de notifier au preneur un congé destiné à mettre fin au bail pour l’échéance de la période en cours dans l’objectif de vendre le bien loué libre d’occupation. L’idée est de « contrebalancer » la longue durée par une faculté complémentaire et spécifique offerte au bailleur de mettre un terme au bail dans l’optique de pouvoir vendre sa propriété à des conditions avantageuses : il n’est en effet un secret pour personne qu’un bien rural libre se vend à meilleur prix pour le bailleur qu’un bien rural loué… Ce type de congé, pour vendre libre, est assorti d’un délai de préavis de 3 à 4 ans également, conformément à l’article 11.3 de la loi…
Il est précisé que l’article 8 contient d’autres paragraphes qui n’intéressent, en tant que tel, pas le sujet de cette parution.
Rappelons que la matière est complexe et que la question des délais de notification est épineuse : mieux vaut donc être conseillé que d’agir tout seul « dans son coin »…
Henry Van Malleghem, avocat au Barreau de Tournai