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La Brasserie Huyghe (Delirium): «Cultivez de l’orge brassicole… et écrivez avec nous l’histoire de la bière belge»

Reconnaissable à l’éléphant rose ornant son étiquette, la bière Delirium fait voyager de l’orge brassicole et du houblon belges à travers le monde entier. La Brasserie Huyghe, qui a fait de la durabilité sa philosophie, a pour point d’honneur de s’approvisionner localement en matières premières. Elle doit néanmoins jongler avec les disponibilités, actuellement insuffisantes, et invite les agriculteurs belges à cultiver de l’orge brassicole.

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Jusqu’à récemment, le malt utilisé pour produire la célèbre bière à l’éléphant rose provenait exclusivement de l’étranger. Mais depuis quelques années, la brasserie familiale Huyghe, installée au centre de Melle (Flandre orientale) s’attelle à relocaliser la production d’orge de brasserie, et a fortiori de malt, dans notre pays. De quoi lui permettre d’affirmer avec conviction que la Delirium est une bière véritablement belge !

« Un agriculteur de Lochristi, un village situé à une quinzaine de kilomètres de la brasserie, cultive une partie de l’orge brassicole nécessaire à notre production. L’Ilvo (le pendant flamand du Centre wallon de recherche agronomique) nous en fournit également, en quantité limitée. La plus grande partie provient de Wallonie et nous est fournie sous forme de malt par la société Belgomalt (groupe Boortmalt) installée à Gembloux », éclaire Filip Devolder, responsable achat et durabilité pour la brasserie.

Trop peu d’orge brassicole en Belgique

La première livraison de malt local, en provenance directe de Gembloux, a eu lieu en 2021, pour un total de 200 t. Depuis, la Brasserie Huyghe a revu cette quantité à la hausse, se montrant intéressée par 250 t/an. « La totalité du malt belge que nous achetons nous permet de brasser près de 4 millions de verres de Delirium. Notre ambition est de recourir davantage encore à une matière première locale, mais l’orge de brasserie est trop peu cultivée en Belgique que pour y parvenir. »

« Si les éleveurs désirent de plus grande quantité de drêches de brasserie, il nous faut aussi vendre plus de bière », déclare Filip Devolder, non sans humour.
« Si les éleveurs désirent de plus grande quantité de drêches de brasserie, il nous faut aussi vendre plus de bière », déclare Filip Devolder, non sans humour. - FVDL

De son côté, Belgomalt ne fournit pas que la brasserie flamande. Elle compte de nombreuses autres petites structures dans sa clientèle. Sa production tourne aux environs de 750 t/an. « Même si nous avions la possibilité d’en acquérir la totalité, nous serions bien loin de satisfaire nos besoins évalués à 4.000 t de malt par an », poursuit M. Devolder. La brasserie est donc contrainte de s’approvisionner à l’étranger, mais encourage, en parallèle, les agriculteurs belges à se tourner vers l’orge de brasserie. « C’est une culture rentable, qui contribue à préserver le patrimoine brassicole belge. Et tout à fait envisageable en circuit court. »

Belgomalt travaille avec des agriculteurs cultivant l’orge de manière durable, selon les principes de l’agriculture biologique et régénérative. Semis d’engrais vert, plantation de haies… ne sont que quelques-unes des pratiques favorables à notre environnement qui sont encouragées.

Une culture risquée

Pour être qualifiée de brassicole, la céréale doit présenter une teneur adéquate en protéines (entre 9,5 et 11,5 %). D’où vient le fait que peu de grandes brasseries travaillent encore avec de l’orge locale ? La réponse à cette question n’est pas simple. Le prix, la qualité et la disponibilité y sont probablement pour quelque chose.

Filip Devolder estime que les risques que prennent les agriculteurs avec l’orge brassicole expliquent en partie la situation. « S’il pleut quelques jours avant la récolte, il y a de grandes chances que celle-ci soit déclassée… Que se passe-t-il alors ? Elle sera vendue comme céréale fourragère ou éventuellement à un distillateur. Mais le prix payé à l’agriculteur sera tout autre, alors qu’il a conduit sa culture comme une orge de brasserie. »

Dans le sud de la France, par exemple, les chances qu’il pleuve juste avant la récolte sont beaucoup plus faibles. Il est donc normal que l’on y cultive davantage l’orge brassicole.

Des travaux de recherche, menés tant au sud qu’au nord du pays, montrent toutefois que cette culture a de l’avenir en Belgique. Ils pourraient donner envie à certains agriculteurs de se lancer dans l’aventure et, ainsi, écrire une page de « l’histoire de la bière belge ». À ce titre, Boortmalt propose un programme de soutien aux cultivateurs tentés par l’expérience.

La durabilité, une question d’avenir

Pour la Brasserie Huyghe, avoir recours à un maximum d’ingrédients locaux s’inscrit dans une démarche de durabilité. « C’est en cohérence avec le projet que nous portons depuis plusieurs décennies pour l’entreprise. Ainsi, nous produisons notre propre électricité à l’aide de panneaux photovoltaïques, réduisons nos consommations de vapeur et d’électricité, disposons d’une station d’épuration alimentant une centrale de cogénération, réutilisons les eaux usées, réduisons nos déchets… » Au niveau du traitement des eaux, par exemple, la brasserie réutilise environ 70 % des eaux usées, provenant notamment du nettoyage des bouteilles.

La Brasserie Huyghe, située à Melle (Flandre orientale) brasse de nombreuses bières dont la plus connue demeure la Delirum et son célèbre éléphant rose.
La Brasserie Huyghe, située à Melle (Flandre orientale) brasse de nombreuses bières dont la plus connue demeure la Delirum et son célèbre éléphant rose. - FVDL

La plupart des investissements réalisés en matière de durabilité présentent également un avantage financier. « Même si cela ne doit pas constituer la première raison de s’y intéresser », insiste Filip Devolder. Et d’ajouter : « L’histoire de notre entreprise est séculaire… et nous ne comptons pas nous arrêter de sitôt. Je ne prédis pas l’avenir, mais nous sommes convaincus que la durabilité sera intimement liée à la survie des brasseries. »

Du houblon de Poperinge

Pour le malt qu’elle ne peut obtenir en Belgique, la Brasserie Huyghe s’approvisionne en France, au Royaume-Uni et au Danemark. Et concernant le houblon ? « Depuis quelques années, une partie du houblon que nous utilisons est à nouveau « made in Belgium ». Il provient de Poperinge, qui en est la capitale flamande. Notre objectif est d’accroître la part de houblon local dans nos recettes… Mais nous devons d’abord attendre que certains contrats que nous avons conclus avec des fournisseurs étrangers prennent fin », détaille M. Devolder.

La brasserie cultive également sa propre levure. Quant à l’eau, elle provient du sous-sol. « Ainsi, les quatre ingrédients principaux de nos bières sont d’origine locale. »

La Delirium, mais pas uniquement…

La brasserie de Melle incorpore d’autres céréales et ingrédients naturels dans ses bières : sarrasin, blé, avoine, épeautre, maïs et riz pour un total de 600 à 700 t par an. Cela s’explique par la large gamme de bières brassées sur place. Ainsi, outre les Delirium (brune, blonde, fruitée…), on retrouve la bière d’abbaye Averbode (bière multicéréales), la gamme Mongozo (bières sans gluten et aux goûts tropicaux de mangue, coco et banane), la St-Idesbald, la Bière du Corsaire, la Paranoia…

La brasserie Huyghe aimerait recourir davantage au malt local, mais l’offre belge demeure trop faible pour l’instant.
La brasserie Huyghe aimerait recourir davantage au malt local, mais l’offre belge demeure trop faible pour l’instant. - FVDL

« En ce qui concerne les bières « tropicales », il est évident que les fruits ne peuvent venir de Flandre, ou même de Belgique. Nous favorisons autant que possible les produits locaux, mais parfois, nous devons faire des écarts… »

Des drêches, pour les éleveurs

Les drêches de brasserie, c’est-à-dire ce qu’il reste de la matière première après le brassage, sont fournies à quelques éleveurs locaux qui l’incorporent dans la ration de leur cheptel. « On nous demande tous les jours si nous pouvons ou souhaitons en vendre davantage, même pour la production de biogaz. Mais nous préférons poursuivre nos collaborations avec un négociant et les quelques agriculteurs avec qui nous travaillons depuis bien avant que ce coproduit ne devienne si populaire dans l’alimentation animale. »

Plus de 3.000 t de drêches quittent la Brasserie Huyghe chaque année. La demande est très importante car cet aliment permet aux éleveurs de s’inscrire dans une démarche de circularité. « Si les éleveurs désirent de plus grandes quantités de drêches, il nous faut vendre plus de bière », ajoute Filip Devolder, non sans humour.

Un chiffre d’affaires en hausse continue

Quant à la consommation, notre hôte estime que le Belge demeure un buveur de bières assez traditionnel. « Les choix des consommateurs n’évoluent que très peu. Les bières sans alcool semblent gagner en popularité, mais cela reste un marché de niche. Si l’on veut malgré tout pointer une tendance, on remarque que la demande en bières légèrement plus amères et houblonnées est en hausse. »

La bière Delirium constitue le produit phare de la Brasserie Huyghe, représentant pas moins de 65 % de son chiffre d’affaires. Quelque 85 % du volume produit à Melle partent à l’étranger ; Chine, États-Unis et France en tête. Au total, l’entreprise est présente dans pas moins de 110 pays.

Les ventes de bière à la pression dans les bars et cafés sont en légère baisse. Cependant, les ventes en bouteille sont en augmentation. Les bars à thème Delirium, comme celui que l’on trouve à Bruxelles et qui affiche plus de 2.000 bières à sa carte, connaissent un succès particulier à l’étranger.

« Depuis 1986, notre chiffre d’affaires augmente d’au moins 10 % par an. Seules les années 2020 et 2021 ont été moins bonnes… En raison des confinements, les bars étaient fermés tant en Belgique qu’ailleurs dans le monde. Nous en avons tiré des leçons et, depuis, nous accordons davantage d’attention au commerce de détail. Les magasins d’alimentation ne ferment pas en cas de pandémie et nos produits restent ainsi accessibles aux consommateurs. L’année 2022 a été exceptionnelle, avec une croissance des ventes de plus de 20 % », poursuit Filip.

Ne pas rester les bras croisés

Travailler avec des produits agricoles locaux et mettre l’accent sur la durabilité n’offrent pas, pour l’instant, une grande valeur ajoutée commerciale à la Brasserie Huyghe. « Les petites structures jouent déjà sur ces aspects dans leur marketing. Pour le buveur de bière moyen, le goût et l’authenticité sont plus importants que la durabilité, mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. »

« Nous voulons être la brasserie la plus durable du pays et, lors des visites, nombreuses sont les personnes à être étonnées de la passion avec laquelle nous portons attention à notre environnement. Elles ne s’attendent pas à ce qu’une telle démarche régisse le fonctionnement d’une grande brasserie. Ce que nous faisons maintenant en matière de durabilité, nous pouvons le construire volontairement et à notre propre rythme. Nous prenons ainsi de l’avance sur des pratiques qui pourraient bientôt devenir obligatoires. »

« En tant qu’entreprise, nous avons à cœur de soutenir l’agriculture locale et compatissons aux exigences parfois lourdes qui sont imposées aux cultivateurs et éleveurs. Nous remettons parfois en question ces réglementations, qui ne semblent pas toujours être en phase avec la réalité du terrain. Et de nombreux agriculteurs pensent probablement la même chose… »

D’après Filip Van der Linden

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