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Le point en épeautre: prévoir deux raccourcisseurs et réduire la fertilisation

Selon le calendrier républicain de l’après-révolution française, nous devrions depuis quelques jours être pleinement entrés dans le mois de Germinal (21 mars-20 avril) après avoir subi les affres de Pluviose (20 janvier-18 février) et de Ventose (19 février-20 mars). Un rapide coup d’œil à la fenêtre me confirme que ces mois n’ont pas encore quitté notre pays et que Germinal sera en retard… Paradoxalement au niveau du développement des cultures, nous sommes bien en avance : dans la plupart des régions, le tallage de l’épeautre a pris fin et le stade 30 (épi 1 cm) est en passe d’être atteint.

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Les cultures ont pour l’instant un aspect verdoyant et agréable à regarder mais ne dit-on pas qu’il faut éviter d’être trop beau trop tôt. Le développement est soutenu par un nombre impressionnant de talles. En général on souhaite maximiser le tallage ; l’an dernier pour le renforcer, nous avons même roulé les terres. Cette saison nous pose le problème inverse. Le mois d’octobre a permis des semis plus précoces qu’en 2021. La chaleur des mois d’octobre et de novembre a activé un développement rapide des cultures et en novembre, les premières talles étaient déjà visibles. À l’exception de la première quinzaine de décembre qui fut froide, le reste de l’hiver a, une nouvelle fois, été particulièrement doux, ce qui a permis le développement de nombreux talles. Fin mars, les plantes à plus de 10 talles ne sont désormais plus exceptionnelles et pour certaines variétés, sont devenues la norme. Même les variétés réputées à faible tallage comme Sérénité ou Zollernfit atteignent une moyenne de 7-8 talles dans les semis d’octobre.

Ce tallage abondant associé à une période nuageuse durant la phase de redressement et à une forte disponibilité de l’azote, entraîne un risque très important de verse pour les prochains mois. Dans ces conditions, nous allons, de notre côté, procéder avec prudence et prévoir deux raccourcisseurs tout en réduisant la fertilisation.

Deux ou trois fractions ?

Les premières fractions sont désormais appliquées, et ce parfois depuis plusieurs semaines. Nombreux sont les agriculteurs qui préparent la deuxième. Deuxième ou seconde ? Question importante qui divise les agronomes. Dans la majorité des cas, deux fractions semblent suffire. Il est cependant des situations où passer à trois fractions me semble pertinent. Le premier cas concerne les variétés destinées à la panification telles que Sérénité et pour lesquelles on souhaite renforcer la teneur en protéines. Le second cas intervient durant les années où l’humidité n’est pas limitante et qu’au contraire la disponibilité est telle que les plantes assimilent rapidement tout l’azote apporté. C’est le cas de figure de cette année. En reportant une partie de la deuxième fraction au stade dernière feuille-épiaison, j’espère diminuer le risque de verse.

Attention aux applications massives d’engrais en première fraction

J’aimerais également tempérer certains discours qui ont été véhiculés dans nos campagnes. Ceux-ci concernent des applications massives (100 unités ou plus) d’engrais dès la première fraction et cela, le plus tôt possible. Ces « conseils » se basent sur des expériences vécues et des constats très récents que je peux comprendre. Lors d’années à printemps sec comme ce fut le cas ces dernières années, ce type d’application a pu donner de bons résultats principalement sur froment, parfois même meilleurs que ceux obtenus par des fumures plus traditionnelles. Ces dernières, plus tardives étant restées indisponibles pour les plantes durant plusieurs semaines du fait du manque d’eau. Cependant appliquer de telle quantité d’azote au stade tallage entraîne de nombreux risques lors d’années « normales ». Les pluies qui ont suivi les applications, ont entraîné une partie de cet azote et une autre part a été prélevée en quantité par les plantes. Comme discuté précédemment, le nombre de talles, déjà très important, a alors atteint des records et depuis l’abondance d’azote empêche la plante de réguler cette densité. Ce dernier mécanisme porte le nom de « régression des talles » et il permet à la plante d’optimiser son nombre d’épis en supprimant ses talles les moins développés ou ceux qui sont mal positionnés. Une fois la phase de redressement entamée, les talles entrent en compétition pour la lumière. Comble de malchance, cette année, les nuages s’invitent également à ce jeu et captent une bonne partie de cette lumière. Les méristèmes gonflés à l’azote se livrent une course frénétique et en oublient d’assurer leur base par le développement des fibres. Voilà ce qui me fait dire que cette saison est à risque très important de verse et ce qui motive le conseil d’appliquer au plus tôt un raccourcisseur (1L cycocel) lorsque l’on se trouve dans la situation décrite.

Des désherbages automnaux efficaces

Les conditions météorologiques actuelles n’offrent que de courtes fenêtres pour l’application des régulateurs et des herbicides. Concernant ces derniers, cependant, de nombreux épeautres implantés en octobre ont été désherbés avant l’hiver. Les herbicides racinaires ont été efficaces et ne nécessitent plus qu’un éventuel traitement complémentaire pour certaines dicotylées telles que les matricaires. Ces traitements anti-dicotylées et cycocel peuvent être combinés en un passage. Cette situation conforte l’intérêt de ces désherbages automnaux qui, avec le réchauffement, deviennent tout doucement la nouvelle norme. Au vu de la situation très humide de ces derniers jours, les passages à la herse étrille et autres désherbages mécaniques, sont postposés à des périodes plus sèches.

Trop tôt pour les maladies

Il est encore trop tôt pour parler de maladies. Elles sont pourtant déjà bien présentes mais uniquement sur les feuilles les plus anciennes. Ces feuilles qui étaient déjà présentes à l’automne ont été atteintes par la septoriose et l’oïdium qui se sont largement développés à la faveur des températures. Ces conditions favorables aux maladies, l’étaient aussi pour les pucerons. Cependant, les virus de jaunisse et de pieds chétifs ne se semblent pas trop répandus. Les désherbages d’automne dont nous avons parlé précédemment, ont souvent été combinés à un traitement insecticide et la période froide du début décembre semble avoir sonné le glas des pucerons présents.

Toutes vos questions ou réflexions concernant l’épeautre et sa culture sont les bienvenues via : g.jacquemin@cra.wallonie.be ou au 0474/96.12.89.

Guillaume Jacquemin

, Groupe « Epeautre », CePiCOP

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