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Changement de lunettes

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Nous le savons depuis de longs mois, le conflit russo-ukrainien a ravivé les inquiétudes concernant le concept de sécurité alimentaire qui a subitement cessé d’être théorique en Europe. L’UE est désormais confrontée à un difficile exercice d’équilibre entre la réalisation d’objectifs environnementaux cruciaux et le besoin pressant d’une production alimentaire adéquate.

Pour certains dirigeants et une grosse poignée d’eurodéputés, cette nouvelle donne disqualifie les stratégies européennes déclinées dans le Pacte Vert, soupçonnées de brider le potentiel de production agricole de l’UE. La tendance à promouvoir la productivité plutôt que la durabilité au nom de la sécurité alimentaire s’est donc peu à peu propagée dans le débat public. Et ce discours fait florès auprès de nos politiques et de certains représentants du monde agricole. Quelques voix font pourtant entendre une autre petite musique. C’est le cas du cercle de réflexion Europe Jacques Delors, établi à Bruxelles depuis janvier 2020, et troisième né d’une famille de think tanks inspirés par la vision et l’héritage de l’ancien président de la commission européenne.

L’organisme a estimé dans une note que la disponibilité alimentaire dans l’UE n’a pas été menacée par les récentes crises, notamment la guerre en Ukraine. Il ajoute que l’insécurité alimentaire ne devrait pas être utilisée pour justifier une réduction des efforts environnementaux.

Pour Europe Jacques Delors, ces crises ont surtout mis en lumière les faiblesses du système agroalimentaire européen : sa dépendance vis-à-vis des importations de certains intrants clefs notamment les engrais minéraux, et la vulnérabilité qui en résulte pour faire face aux ruptures d’approvisionnement et aux chocs de prix. L’augmentation des prix des intrants place les agriculteurs dans des conditions de production plus difficiles. Se détourner des objectifs environnementaux n’est donc pas la bonne voie, d’autant que les objectifs de réduction des pesticides ne seront pas mis en œuvre immédiatement, mais suivront un cours progressif jusqu’en 2030.

L’évolution de la boussole institutionnelle et politique de l’UE vers une position moins ambitieuse sur le plan environnemental et l’absence actuelle d’une approche unifiée concernant l’avenir de l’agriculture et de la production alimentaire mettent en péril l’agenda européen en matière de climat et d’environnement. Le secteur agroalimentaire a besoin de toute urgence d’une vision claire pour l’ensemble de la chaîne de valeur, définie dans une loi-cadre commune.

Alors, plutôt que de réclamer le gel des stratégies issues du Pacte Vert, l’UE ne devrait-elle pas fournir une définition complète des systèmes alimentaires durables, introduire la circularité en tant que principe général, veiller à ce que les solutions durables deviennent les plus rentables et soient abordables et établir une structure de gouvernance reflétant à la fois la multidimensionnalité de la durabilité et de la sécurité alimentaire ?

Marie-France Vienne

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