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Sur les routes du Hainaut avec Christian Deglas, l’encyclopédie de la bière : «L’agriculteur n’est jamais très loin du brasseur»

C’était ces jours nous vouant au déchirant et au contradictoire. Paysage plane, façades assoupies, le ciel les surplombe en y jetant des nuages ventrus, de l’encre claire ou même du silence. Dans ce morceau de Hainaut, la Brasserie des Carrières n’est-elle pas le cadre idéal pour un voyage en mots au cœur de l’univers de la bière…

Temps de lecture : 8 min

Il a été animateur, spécialiste de courses hippiques, partenaire d’entraînement d’un jour de Bjorn Borg et d’Ilie Nastase, et même footballeur amateur… Mais Christian Deglas, Enghiennois pur jus, journaliste touche à tout, passionné de musique et de chats, est surtout un amoureux inconditionnel de la bière, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, et une figure incontournable du petit monde brassicole belge.

C’est aussi lui qui a présidé à plusieurs reprises le concours des meilleures bières wallonnes organisé par l’Apaq-w. Il se murmure qu’une nouvelle édition pourrait même être remise sur rail…

Quand la bière s’invite dans les médias

Cette passion pour la bière ne date pas d’hier. Elle remonte à l’époque de sa vie estudiantine. « Le seul diplôme original que j’ai obtenu, c’est celui de roi des bleus » sourit celui qui a commencé sa vie de journaliste au magazine « Pourquoi Pas ? » avant de rejoindre « Paris Match Belgique », où il est l’un des rares journalistes brassicoles à officier dans notre pays.

La bière, «cet art conjugué à des moyens techniques de plus en plus performants  qui en préservent néanmoins l’authenticité »
La bière, «cet art conjugué à des moyens techniques de plus en plus performants qui en préservent néanmoins l’authenticité » - M-F V.

C’est d’ailleurs un peu lui qui a amené le houblon dans les pages des médias généralistes en lançant, au début des années 2000, une rubrique « bières » dans le magazine « Le Vif/L’Express ».

En tant que collaborateur à RTL, où il couvre les courses hippiques et un peu le cyclisme quand il s’invite sur les routes wallonnes, il participe à quelques émissions au cours desquelles on évoque la bière, notamment « Y en aura pour tout le monde », avec Hervé Meillon, « à la fin desquelles on décapsulait quelques bouteilles à l’antenne » se souvient-il.

En marge de son quotidien de journaliste généraliste, il rédige également une chronique sur les bières belges les plus connues dans les publications de feu la Sabena à destination des gens qui voyagent en Belgique, mais aussi des articles dans le cadre du salon de l’alimentation et d’autres manifestations autour de la gastronomie et des boissons alcoolisées bien de chez nous.

Bien que retraité depuis quelques années, on fait actuellement toujours appel à son expertise et à ses connaissances encyclopédiques pour animer des conférences ou des expositions consacrées à la bière.

Les vertus du houblon

Mais qu’est-ce qui fait courir Christian Deglas ? « La bière, un art conjugué à des moyens techniques de plus en plus performants qui en préservent néanmoins l’authenticité ». Pour ce spécialiste, la bière est un produit naturel dont les matières premières doivent rester « la levure, les céréales et le houblon, ou  Humulus lupulus, qui fait partie de la catégorie des Cannabaceae qui ne possède que deux spécimens de plantes, le houblon et… le cannabis ».

En plus d’apporter une amertume typique à son produit, il est aussi un antiseptique très efficace permettant la purification des eaux nécessaires pour le brassin.

Cette plante est par ailleurs réputée pour procurer un sentiment de détente. Cette spécificité naturelle constitue sa propriété la plus naturelle au point qu’au cours du XXème  siècle déjà, elle donna lieu à une catégorie de bières à part entière appelée I.P.A. (Indian Pale Ale) car lors du rapprovisionnement vers les nombreuses colonies britanniques dans le sud du globe, les Anglais ajoutaient du houblon dans les fûts des transports d’eaux potables, lui évitant ainsi toute infection.

Au fil du temps, il s’est avéré que ce goût d’amertume plaisait tellement aux équipages de ces bateaux que les brasseurs anglais en firent une boisson spécifique à la base du fameux « pale ale » L’échelle des taux de densité dans l’amertume de ces bières s’appellent EBU (European Bitterness Unity). Au plus élevé est ce numéro, au plus amère sera la bière.

L’Orval et la Westmalle Triple, fleurons belges

L’Orval et la Westmalle Triple sont les bières favorites du président des journalistes brassicoles belges qui en apprécie l’amertume (très importante pour lui), la pureté, l’absence d’additif et le pouvoir apaisant.

Ah, l’Orval, parlons-en donc plus longuement avec lui. Rien que de l’eau, de la levure, du malt, du sucre et du houblon, voilà, comment il résume cette vénérable Dame qu’il considère comme la plus simple des trappistes à l’abondante mousse perlée. Elle présente, à ses yeux, un solide houblonnage sur un fond faiblement alcoolisé (5,2 % mais 6,2 % sur l’étiquette) malgré sa double fermentation. « C’est une bière que je bois en toute confiance ».

Christian Deglas n’aime rien moins qu’évoquer les mystères et légendes qui entourent la célèbre abbaye calfeutrée dans nos Ardennes. C’est dans les sources encore pures qui baignent ses alentours que Mathilde, duchesse de Toscane et tante de Godefroid de Bouillon, perdit son anneau nuptial, souvenir de son époux mort aux croisades. C’est une truite qui lui ramènera son bijou à la surface et donna naissance à la légende du Val d’Or, baptisée poétiquement « Orval ».

Le zythologue considère la Westmalle Triple comme un autre fleuron belge, issu, quant à lui, de l’abbaye Notre-Dame du Sacré-Cœur d’une section de la commune de Malle, en Campine anversoise. Sa forte teneur en alcool alliée à un savant dosage de houblon et de malt clair constitue, pour lui, « un véritable délice » dont l’arrière-goût laisse « une impression très agréable d’amertume douce comme du beurre ».

Tant qu’il y aura des agriculteurs…

Christian Deglas n’est pas vieux-jeu, loin s’en faut. À côté de ces institutions séculaires, il évoque favorablement l’émergence des microbrasseries un peu partout dans notre pays et le dynamisme de ces nouveaux brasseurs dont l’ingéniosité « semble sans limite ».

Certains d’entre eux se sont récemment lancés des essais de bières macérées avec des légumes. Si la carotte (pour sa couleur et son taux de sucre) et le poireau, l’ail, l’oignon quant à eux gustativement trop forts sont à proscrire, le gingembre, l’ortie ou le cerfeuil peuvent apporter une certaine douceur à la bière, concède le spécialiste, tandis que d’autres microbrasseurs ajoutent des clous de girofle, de l’écorce d’orange, voire de citron ou… de bois.

La Brasserie des Carrières fait partie de ces microbrasseries  que Christian Deglas apprécie pour leur créativité.
La Brasserie des Carrières fait partie de ces microbrasseries que Christian Deglas apprécie pour leur créativité. - M-F V.

Cette créativité, reconnaît l’Enghiennois, a quelque chose d’enthousiasmant. Mais les fermiers de la Gaule belge ne sont-ils pas les inventeurs de ce que les Romains appelleront « cervoise » rembobine-t-il, ajoutant que « les agriculteurs actuels restent en tout cas très importants pour le monde de la bière ».

« Si notre pays reste le nº1 de la bière, c’est que grâce à sa petite taille, l’agriculteur n’est jamais loin du brasseur » !

Parmi les nombreuses microbrasseries qui peuplent la Wallonie, c’est celle d’Achouffe, l’une des plus anciennes, qui recueille, à ses yeux, tous les suffrages. Rachetée par Duvel Moortgat, la bière est toujours brassée dans l’entité d’Houffalize.

Pour ce puriste, pour qui l’explosion du goût d’une bière provient du houblon, du sucre et de la levure, les bières fruitées constituent « des friandises ». Rien toutefois de péjoratif, et encore moins de méprisant dans son propos, lui qui apprécie la Cantillon et la bière aux cerises de Rodenbach.

« Par contre, j’ai goûté de la bière à la rhubarbe et c’était affreux » glisse-t-il dans une moue dubitative.

Belgique, Texas

Dans sa longue vie d’éminent spécialiste, Christian Deglas a goûté « plusieurs centaines de bières », des belges, bien sûr, mais des françaises, des allemandes, des néerlandaises et aussi des canadiennes et américaines, entre autres.

Nous apprenons ainsi que les Québécois sont particulièrement forts en matière de microbrasseries. « J’en ai visité quelques-unes, dont Les Brasseurs du Nord qui produisent la Boréale. Ce sont d’ailleurs les Canadiens qui ont influencé leurs collègues belges avec lesquels ils échangent beaucoup ».

Outre-Manche, il avoue un faible pour la Guinness, « très riche en vitamine D et peu alcoolisée ».

Mais n’est-il pas influencé par ses lointaines racines anglo-saxonnes, lui dont le patronyme aurait été francisé de « Douglas » à « Deglas »…

De l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis possèdent également quelques microbrasseries de qualité, comme celle de Pete Slosberg qui a fait fortune en fournissant l’armée américaine en bières durant la guerre du Viêtnam. La « Pete’s Wicked Ale qu’il produit est en outre pour moi la meilleure bière américaine ».

Il rend hommage à Pierre Celis, issu d’une famille d’agriculteurs, qui a fait renaître la « Blanche » de Hoegaarden en Belgique avant de partir à la conquête du marché américain au début des années 90. Il a vendu la brasserie à InBev pour s’installer à Austin (Texas) où il fonde la Celis Brewery et poursuit son œuvre brassicole avec la « Celis White » dont le parrain n’est autre que… Clint Eastwood, l’un de ses voisins.

« Avec Celis, j’ai traversé tout le Texas où il était connu comme le loup blanc » se souvient-il, en précisant qu’à son décès, c’est sa fille qui a repris le flambeau en conservant la recette de son père. Seule concession à l’héritage paternel, le conditionnement de la bière en fûts, « aussi populaires auprès des Texans que les strip-tease ».

Enfin, il évoque l’écrivain et « chasseur de bières » britannique Michael Jackson – qui ne chante pas –, qu’il rencontre à plusieurs reprises. Ce grand amateur de Duvel, qui disait « qu’aucun autre pays ne produit de bières dont le caractère est aussi complexe que celui des fines bières belges. Aucun pays ne brasse des bières aussi uniques et singulières que la Belgique ».

Quand la pensée de deux éminents spécialistes se rencontre...

Marie-France Vienne

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