Qui veut la peau du Pacte Vert?
Règlement sur l’utilisation durable des pesticides, législation sur la restauration de la nature, révision de la directive sur les émissions industrielles. Les initiatives de la commission issues des stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » ont été vivement battues en brèche la semaine dernière lors de la session plénière du parlement à Strasbourg. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ?

Programmé le 10 mai, le débat Intitulé « Le rôle des agriculteurs en tant que facilitateurs de la transition verte et d’un secteur agricole résilient », a électrisé l’hémicycle et plus que jamais mis au jour les dissensions entre ses ailes gauche et droite, plus particulièrement celle les démocrates-chrétiens du groupe PPE (parti populaire européen) qui constitue la principale force politique au sein du parlement européen.
L’ombre d’une absence
Et le grand débat parlementaire n’a pas débuté de la meilleure manière. Pourtant présent dans la capitale alsacienne, le commissaire Wojcieckowski a brillé par son absence lors de ces échanges de vues particulièrement importants pour surgir un peu plus tard dans la journée lors d’un autre débat sur l’impact des importations de produits agricoles ukrainiens…
Une incongruité qui a fait réagir, parfois avec humour, plusieurs députés, dont le président de la commission de l’Agriculture (Comagri), Norbert Lins, qui s’est demandé « où se cachait-il donc », avant d’évoquer un « manque de respect ».
Le commissaire à l’Agriculture a été suppléé par sa collègue Mairead McGuinness, commissaire aux Services financiers, qui avait l’avantage d’avoir longtemps siégé à la Comagri dont elle fut une membre particulièrement active.
Le secteur agricole à la hauteur !
Nécessité d’une transition verte
C’est dans ce contexte que la commission insiste sur la nécessité d’un système agricole plus durable, raison pour laquelle elle demande un examen conjoint de ses propositions issues du Pacte Vert.
Le Pacte Vert sous le feu nourri des attaques
Quand Frans Timmermans a les oreilles qui sifflent
La droite veut stopper les initiatives « hors sol » de la commission
Un champ de manœuvres électorales ?
« Pas de nature, pas de nourriture »
Comme un vertige. Comme une césure dans l’atmosphère lorsque l’aile gauche de l’hémicycle prend son envol pour défendre, parfois avec emphase, le verdissement du secteur agricole.
L’écologiste français Claude Gruffat a évoqué la sixième extinction de masse à laquelle nous faisons face Parmi les espèces en danger, des vertébrés mais aussi des insectes. Les conséquences sur l’homme sont directes : les trois quarts de nos cultures ont besoin d’être pollinisées par des insectes.
Pour l’élu français, la droite de l’hémicycle a décidé de nier les constats scientifiques sur ce sujet. « Vouloir rejeter la loi sur la restauration de la nature et le règlement sur l’usage durable des pesticides pousse les agriculteurs non pas au bord, mais dans le précipice » tant ces deux lois permettent de poser, selon lui, les fondations d’un nouveau modèle agricole qui déboucherait enfin sur une agriculture plus résiliente, pourvoyeuse d’emplois et de valeur ajoutée.
Se faire les chantres du statu quo, les apôtres de l’agro-industrie, du libre-échangisme et l’avocat d’une Pac qui accorde 80 % des fonds à 20 % des plus grandes exploitations est « irresponsable » surtout quand on sait que les pertes agricoles liées au changement climatique ont déjà triplé ces dernières années en Europe.
« Pas de nature, pas de nourriture, pas de nature, pas d’agriculteurs » a quant à elle résumé l’écologiste allemande Anna Deparnay-Grünenberg pour qui le projet commun doit être de réintégrer la nature à travers la loi sur sa restauration, de garantir la transformation des pratiques et non de l’entraver et d’agiter le chiffon rouge de l’insécurité alimentaire comme le font les représentants démocrates-chrétiens.
Politique de l’autruche
Interrogés à la sortie de l’hémicycle plusieurs eurodéputés ont salué les textes proposés par la commission, lesquels constitueront une aide dans la réduction de la dépendance aux pesticides qui ont un impact sur la santé des agriculteurs.
« Tourner le dos à la restauration de la nature et au renforcement de la résilience des écosystèmes, c’est tout simplement enfouir la tête dans le sable ».
Une autre députée écologiste allemande, Jutta Paulus, s’est alarmée de la volonté d’une partie du parlement de faire l’impasse sur des législations permettant de préserver les écosystèmes « menacés comme jamais ils ne l’ont été ». Elle a appelé, dans la foulée, les élus démocrates-chrétiens à se rendre sur le terrain et à travailler de manière constructive avec les écologistes et autres forces de gauche.
Le PPE s’est aussi attiré les foudres du socialiste français Éric Andrieu, dont l’assaut fut, à coup sûr, le plus percutant. À la tribune, il n’a pas hésité à dénoncer « le pur populisme » du groupe à un an des élections et sa volonté de flatter les représentants des multinationales de l’agrochimie et de l’agro-industrie, lesquels réalisent, dans cette crise, « d’énormes bénéfices au détriment des agriculteurs et des consommateurs ».
Pour M. Andrieu, le camp choisi par le patron des démocrates-chrétiens, Manfred Weber, n’est pas celui des agriculteurs, mais celui de la finance et des dividendes.
La science européenne a modélisé une agriculture sans phyto pour 2050 en retrouvant la voie de l’agronomie et de la régulation des marchés.
« Mais il est vrai que ces alternatives apporteront moins de bénéfices aux multinationales. Alors que le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer et que le Pacte Vert que vous dénoncez nécessite une augmentation de leur nombre pour gagner le défi climatique et de la biodiversité, le PPE s’est mué en porte-parole du monde de l’argent et en fossoyeur de l’agriculture européenne »
« Sortez de cette posture, l’alimentation, la santé humaine et la biodiversité valent bien mieux » a-t-il enfin cinglé.
Aussi passionnantes qu’inquiétantes, ces passes d’armes en appelleront d’autres dans les semaines à venir au sein des différentes assemblées…