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Qu’allons nous manger après 2030? Entre propagande et hypocrisie…

Régulièrement, Christian Walravens, professionnel du secteur agricole et lui-même agriculteur, propose au public d’échanger sur des thèmes liés à l’agriculture et plus particulièrement sur l’utilisation des produits de protection des plantes. C’est dans ce cadre qu’il s’est notamment adressé, il y a peu, aux agriculteurs du Comice de Seneffe mais également aux citoyens de diverses communes de la région.

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Dans son exposé, Christian Walravens détricote les clichés auxquels doivent faire face les produits de protection des plantes (PPP) et leurs utilisateurs. Il tente de replacer les choses dans leur contexte, réalise des retours en arrière et redéfini certains termes, donnant au passage des arguments utiles aux agriculteurs confrontés aux doléances du grand public.

« Il est indéniable que quel que soit le contexte, il convient d’employer le moins possible de PPP et à bon escient, c’est une question de prudence élémentaire et de bon sens et c’est également dans l’intérêt des agriculteurs. Le secteur est bien conscient qu’une série de mesures prises par les pouvoirs publics sont pertinentes d’un point de vue environnemental. MAIS, est-ce vraiment réaliste de demander aux agriculteurs de continuer à produire avec toujours moins de moyens, en usant de propagande contre le peu d’outils qu’on leur laisse ou en leur proposant des solutions utopistes, éloignées de réalités de terrain ». Voilà le questionnement porté par l’agronome auprès de ces interlocuteurs tout au long de son exposé.

Ce dont rêve l’Europe

Pour commencer, il y a les ambitions de la Commission européenne. Ça n’a échappé à personne, le 1er janvier 2023, une nouvelle PAC est entrée en vigueur avec, parmi les nouvelles dispositions, une plus grande liberté laissée aux États membres dans leurs politiques agricoles, chacun devant néanmoins faire valider son « Plan Stratégique National » par la Commission européenne. Un système d’écorégimes avec des primes versées aux exploitants suivant des programmes environnementaux remplace également l’ancien « paiement vert » conditionnant une partie des aides directes aux pratiques environnementales des agriculteurs.

D’autres mesures prévoient enfin une diminution de l’utilisation de pesticides ainsi que l’augmentation des terres consacrées à l’agriculture biologique. Les écorégimes seront obligatoires en 2025.

Ainsi, pour 2030, on souhaite diminuer de 50 % les PPP. « La question est de savoir qu’elle est le moment de référence pour cela. Il n’y a pas d’accord à ce sujet. Si on débute aux années 90’, l’objectif est déjà atteint en fait ! ». On parle également d’une diminution de 30 % des fertilisants chimiques et de 25 à 30 % d’agriculture biologique.

Nos décideurs comptent bien évidemment sur nous pour atteindre leurs objectifs avec un grand mantra, « le monde agricole doit s’adapter ! », et une logique imparable : « On interdit et puis on cherche des solutions… ».

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Martine à la ferme, ou pas…

Pour l’orateur, « beaucoup de citoyens refusent de voir la réalité en face quand il s’agit d’agriculture. Ils se bercent d’une vision passéiste et erronée des campagnes ». C’est pourquoi, une piqûre de rappel quant aux conditions de travail, de vie et de production de l’époque est parfois nécessaire.

En effet, il y a à peine plus de 100 ans et 4 ou 5 générations, la productivité agricole était faible et irrégulière. Le Belgique comptait 1,1 million d’agriculteurs mais, on manquait de bras. À l’époque, 40 % des gens travaillaient dans les fermes et tout le monde était au courant de ce qui s’y passait. L’espérance de vie était beaucoup plus faible du fait du travail harassant, des connaissances médicales moindres et d’une alimentation peu variée et de mauvaise qualité. « On mangeait souvent la même chose, la chaîne du froid n’existait pas et les cancers de l’estomac étaient répandus ».

En céréales, on était sur 155.000 ha/an avec un rendement de 2,5t/ha (contre 220.000 aujourd’hui à 10t/ha). « Il s’agissait essentiellement de cultures de printemps car on n’avait pas la mécanisation rendant possible les semis de fin octobre. Les variétés n’étaient pas adaptées au gel hivernal et on n’avait pas les moyens permettant de lutter contre les vulpins. On décalait donc les semis au printemps et ils servaient en grande partie à l’alimentation des chevaux. On importait systématiquement des céréales des États-Unis ».

En pomme de terre, les surfaces étaient plus élevées : 170.000 ha contre 95 000 ha aujourd’hui mais à un rendement de 18t/ha. « On ne mangeait que ça et tout le monde en cultivait dans son jardin, les pelouses étant réservées aux riches ».

20 % de la SAU servait à la traction animale. « Le biocarburant avant l’heure ! Le cheval de trait était présent dans toutes les fermes et consommait la production d’1ha. 500.000 ha pour les 500.000 chevaux que comptait le pays donc ».

Souveraineté alimentaire et stabilité mais…

Et puis, parallèlement aux autres secteurs, l’agriculture a dû évoluer… « Elle a réalisé des progrès gigantesques en élevage comme en culture, tandis que le grand public s’en désintéressait. Tout cela pour tendre vers une souveraineté alimentaire, c’est-à-dire l’accès à tout moment, en tout lieu pour toute personne à une nourriture saine, suffisante, accessible et acceptable culturellement. Mission accomplie pendant 50 ans par nos agriculteurs mais le concept semble désormais moqué par ceux qui ont la mémoire courte ».

Aujourd’hui, l’agriculture est un secteur stable qui contribue à la prospérité de notre économie puisque l’activité de chaque agriculteur génère 5 emplois (banque, assurance, enseignement, transport, construction, agroalimentaire…). Néanmoins, on se trouve à un tournant. En 100 ans, la population mondiale a quadruplé et l’Europe de l’Ouest a perdu plus de 30 % de ses bonnes terres agricoles, industrialisées et urbanisées au profit de la collectivité. Beaucoup s’imaginent aussi que la suppression de la chimie apporterait la durabilité en l’agriculture. Mais, la supprimer, c’est ignorer complètement pourquoi et comment l’agriculteur l’utilise. Peut-on se permettre de produire moins en agriculture, tout en sacrifiant sans limite les surfaces fertiles et les moyens mis à disposition des agriculteurs ? ».

«C’est avant tout la santé du consommateur que l’on veut protéger en protégeant les cultures».

Pourquoi utilise-t-on les PPP ?

Il importe donc de faire le point sur les raisons d’être des PPP. La première tient au point de vue de l’agriculteur et réside dans le pragmatisme et le fait de rester maître de son travail. « Les fermes ont grandi et on n’a plus seulement un ou deux hectares à gérer ».

Les autres raisons d’être des PPP ont pour objectif de diminuer les risques pour les consommateurs comme les agriculteurs en assurant la qualité des récoltes et évitant les pertes. « On a besoin de rendement pour l’économie des fermes mais c’est aussi dans l’intérêt du consommateur et de leur alimentation ». Et d’ajouter, « l’agriculteur est bien conscient de la notion bénéfice-risque liée aux PPP. C’est comme rouler en voiture, il y a un risque d’accident et de pollution mais au fil du temps la technologie a été améliorée et des équipements de protection ont été mis en place. Toute médaille a son revers, rien n’est parfait ».

La nature est généreuse mais elle sait également se montrer très hostile. « Certains parasites que l’on pensait disparus, réapparaissent. Les mycotoxines, la solanine, l’ergot du seigle… sont des substances et maladies préjudiciables aux hommes. On ne peut pas croire qu’on ne va plus rien mettre et que la nature va tout nous donner ! C’est avant tout la santé du consommateur que l’on veut protéger en protégeant les cultures. Il est nettement plus dangereux de ne pas intervenir que d’utiliser des produits judicieusement ».

Une multitude d’études sont demandées pour la mise sur le marché d’un PPP. Elles concernent la dégradation de substances dans le sol, l’eau et l’air selon de nombreux paramètres, leur impact sur l’environnement et les espèces non cibles mais aussi les risques éventuels encourus par les riverains. « Dans ce dernier, on cumule des scénarios extrêmes, avec des expositions 24h/24h aux produits à des concentrations 1.000 fois supérieures à la pratique, en tenue légère, se promenant dans les champs traités durant plusieurs minutes… Si un potentiel de maladie est détecté le rejet est immédiat. Un passage de pulvérisateur se fait en quelques secondes, avec une des zones tampons, ça représente peut-être 30 secondes par an. Sans parler des procédures des renouvellements d’homologations qui sont beaucoup plus sévères que pour tous autres médicaments ou produits chimiques. Le niveau est extrême et on est donc relativement bien protégé. Il y a une réelle confusion entre le danger et le risque. Le risque existe dans tous les domaines et on l’accepte mais pas pour les produits de protections de plantes ».

Ainsi par exemple, nous ingérons quotidiennement à notre insu 0,0015 gramme de résidus de « pesticides naturels » venant des plantes. On peut citer par exemple la caféine du café, les glucosinolates de la moutarde (agents insecticides), le psoralène du céleri, les tanins du raisin et du café (molécules fongicides), l’acide des oignons ou la pipérine du poivre (bactéricide). En comparaison, les produits phytosanitaires utilisés par les agriculteurs génèrent 10.000 fois moins de résidu dans notre alimentation. Dans le pire des cas cela représenterait des résidus théoriques totaux de 0,00000015 gr/jour.

Et d’ajouter, « La solution chimique a fait des progrès remarquables en termes de dose active/ha, d’efficacité agronomique et de profil neutre vis-à-vis de l’environnement ou toxicité pour l’homme mais ces informations ne sont jamais relayées dans les médias ».

Des alternatives cabossées et de l’hypocrisie

Les suggestions de substitutions aux PPP viennent de toutes parts, trop souvent faites par des politiciens, bureaucrates ou idéalistes, loin des pratiques de terrains et/ou qui n’en sont qu’aux prémices de leur développement avec peu de recul sur les conséquences éventuelles de leur mise en œuvre. « On nous parle sans cesse de désherbage mécanique mais sans parler de l’effet désastreux qu’il peut avoir sur les nids au sol et les petits mammifères. On supprime les néonicotinoïdes et des ONG nous propose de pailler nos hectares de betteraves pour repousser les pucerons ou d’utiliser des variétés résistantes dans le développement peut prendre 10 ans. On interdit le fipronil en élevage mais on laisse les chiens porter leur collier antipuce et on recommande aux propriétaires de jeter les surplus de collier dans la poubelle de la maisonnée. Les meubles, vêtements, la pharmacie de tout un chacun sont remplis de produits dont l’utilisation serait remise en cause si elle était agricole. Tout cela est d’une malhonnêteté intellectuelle invraisemblable. Malgré les énormes efforts déjà consentis depuis des années, des PPP essentiels pour nos cultures sont continuellement retirés du marché ».

«Beaucoup s’imaginent que la suppression de la chimie apporterait la durabilité en l’agriculture. Mais, la supprimer, c’est ignorer complètement pourquoi et comment l’agriculteur l’utilise».

Pour nous mener à quoi ?

La diminution des produits disponibles, et donc des modes d’action, ainsi que la restriction de doses mènent à une surexposition et laisse la porte ouverte à l’apparition de résistance. Certaines cultures sont appelées à disparaître et les alternatives performantes sont souvent encore bien loin d’être abouties. Sans parler que l’Europe refuse l’accès aux nouvelles méthodes de sélection végétale qui pourrait permettre de progresser plus rapidement et proposer des solutions alternatives pertinentes.

La défense des molécules existantes absorbe une partie énorme des ressources (demande de nouvelles données pour répondre à de nouvelles exigences). La découverte de nouvelles molécules est de plus en plus difficile et les faire agréer en Europe n’est plus rentable. 

 

Et la faisabilité dans tout ça ?

« C’est comme si on disait aux gens : vous ne prendrez plus de médicaments. Voici quelques vitamines et essayez d’être prudents avec l’alcool, le stress, l’activité physique… La pierre d’achoppement c’est réellement la faisabilité. C’est le pied qui manque au tabouret de la durabilité prônée pour qu’il soit stable. Une alternative est durable si elle remplit les critères économiques, sociétaux et de santé, et environnementaux. Mais, ne manque-t-il pas la faisabilité et la réalité de terrain dans tout cela ? Est-ce économiquement rentable d’investir dans plus de main-d’œuvre (qui et comment la payer équitablement ?), de nouvelles machines (à quel prix ?), des produits de bio contrôle (quel recul ?), avec le risque de perdre sa récolte ou de ne pas savoir la vendre. Qui accepterait encore de travailler avec tant d’incertitudes à part les agriculteurs ? »

Pourquoi cette perte de bon sens ?

Cet acharnement et perte de bon sens face à l’utilisation des PPP et l’agriculture en général, Christian Walravens l’explique par la propagande qui continue de formater le consommateur. « On relaye sans cesse des idées pour faire en sorte que tout le monde finisse pas s’y rallier. « Présence massive de résidus dans les aliments, agriculture responsable de la mauvaise qualité des eaux, nos sols sont morts, des quantités d’eau monstres pour produire la viande, le glyphosate, l’opposition bio et conventionnel… Certains médias ne cessent de colporter des mensonges et abusent du marketing de la peur. Le grand public entend tellement ces informations erronées qu’il finit par y croire ».

Pourtant, la nourriture ne peut pas devenir un luxe. « On ne peut pas produire de moins en moins en vendant de plus en plus cher. On doit rester nourricier pour tous. L’agriculture se doit d’être avant tout compétitive et rémunératrice. Si on n’en prend pas conscience les conséquences seront lourdes aussi pour le consommateur avec des disparités alimentaires qui vont s’accentuer très rapidement. Pour assurer la sécurité alimentaire de ces consommateurs, les États vont tenter de mettre sur pied des programmes d’aide alimentaire en épuisant un peu plus les finances publiques. Il faut aussi éviter le repli sur soi. La généralisation d’une agriculture de proximité nous renverrait tout droit vers la dépendance alimentaire et la faim, celle des producteurs comme celle des consommateurs car nous ne savons pas tout produire et nous avons besoins d’exportations pour injecter des devises dans l’économie. Si on supprime les exportations, que deviennent les importations ? Plus de café, de chocolat, d’agrumes ? On serait alors sur un retour en arrière ».

« Pour rectifier la trajectoire, il faut mener la vie dure aux mensonges de la propagande qui cherchent à anéantir l’agriculture et se débarrasser des tabous. Il faut distinguer le risque et le danger, ne retirer nos solutions de lutte que si les alternatives sont au point et s’ouvrir aux nouvelles méthodes de sélection végétale.

Nourrie l’humanité est un métier ! L’improvisation n’y a pas sa place », conclut l’agronome.

Propos recueillis par D. Jaunard

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