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Les enfants de la ferme

- « Regarde  !  » me lance ma mère. Dans la main, elle tient l’édition multicolore des stages de l’été 2025 organisés par la commune. « Oh lala, ça a l’air tellement bien » ! continue-t-elle de s’enthousiasmer. Je l’entends tourner quelques pages du petit manuel avant de s’arrêter brusquement. Elle doit sans doute être en train de lire frénétiquement un des stages. Bingo. « Ah  !  ». Elle vient de trouver le Graal, c’est certain.

Temps de lecture : 5 min

– Ici ! Un stage pour y inscrire les deux en même temps !! Je sens qu’elle se retient d’ajouter « D’une pierre, deux coups ! »

Échec et mat. Je lui réponds d’un simple « non ».

– Mais pourquoi tu ne veux pas… se larmoie-t-elle et on embraie sur une discussion rhétorique.

Alors excusez-moi d’utiliser ainsi la place publique pour débattre de mes discordances familiales, mais je me suis dit que je n’étais certainement pas le seul parent à avoir des enfants encore si petits sur une ferme. Que les choses soient bien claires : le travail des enfants est, à très juste titre, strictement interdit par la convention internationale des droits de l’enfant (la Cide). Oui, enfin… Excusez du peu, on les dévore d’amour quand ils sont petits mais parfois on serait tenté de leur semer un peu d’azote sur la tête pour qu’ils grandissent plus vite. Oui, inutile de faire semblant. On se pose tous la même question : c’est quand qu’ils seront capables de venir travailler avec nous à la ferme ? Mais ce n’est paaaaas du travail (je vois déjà une horde d’avocats monter au créneau), c’est ce qu’on appelle du quality time. Là est toute la nuance. Je compte sur vous pour lire avec l’accent.

Plus sérieusement et dans un registre beaucoup plus politiquement correct et sentimental (préparez vos mouchoirs s’il-vous-plaît), je trouve qu’on ne voit pas assez souvent nos enfants. Dans une vie précédente, un responsable RH m’avait une fois dit que le calcul était assez simple : on voit davantage ses collègues en une journée que ses propres enfants. Évidemment qu’on est content qu’ils aillent à l’école, mais c’est vrai que si on additionne le temps réellement passé avec eux, ça ne fait au final pas tant d’heures que ça. Même si, je vous l’accorde, passer deux heures avec ses enfants équivaut à un ressenti de cinq heures de travail éreintant.

Mais qu’à cela ne tienne, il est évident pour moi de vouloir rattraper ces heures les week-ends et surtout, durant leurs vacances. Les enfants sont dans mes pieds, parfois ça m’énerve parce que j’aimerais avancer plus vite mais je dois aller au rythme des petits mollets de mon fils de 4 ans. Le clou de la journée, c’est quand on conditionne en moyenne 1.200 œufs dans des boîtes de six. Mon petit se fait un plaisir de compter jusqu’à six. À chaque fois. Avec, je le répète, 1.200 œufs.

Dans la bergerie à côté, mon autre gamin joue avec les moutons. Il leur donne du silo à bras ouverts et finit par se rouler dedans. Toujours la veille évidemment de retourner à l’école. Ses vêtements vont sentir et il est déjà 20 heures. Oui, je sais, ils ne sont toujours pas au lit mais il fait si beau et le temps passe si vite. Pour bien faire, faudrait faire tourner une machine. Puis le séchoir. Oh et puis zut. Il a bon et il vient de soigner en plus. Comme un grand. On y est presque, youpie !

Sur un registre plus scientifique, je voudrais citer deux sources. La première est mon médecin de famille. L’un de mes fils devait aller consulter en fin de journée et il était déjà passé par la case « ferme ». Bref, il était plein de terre, avec un peu de paille ici et là.

« Excusez-moi, je n’ai pas eu le temps de le changer », me suis-je défendue, faussement gênée j’avoue. « Je préfère voir un enfant avec de la terre sur le pantalon et sur les mains, qu’un enfant immaculé avec des vêtements lisses.  », sous-entendu un enfant resté toute une journée sur un écran. Évidemment, je la ressors quotidiennement à ma mère quand elle me dit que mes garçons sont dans un état pas croyable !

Maintenant il est temps que vous preniez votre mouchoir comme je vous l’ai demandé plus tôt. Mais non, pas pour sécher la petite larme sentimentale, pour essuyer leur caca ! Oui, vous avez bien lu. Je vais vous parler de ma deuxième source scientifique : une étude qui s’est intéressée aux microbiotes des enfants, mais pas n’importe lesquels. Ils ont comparé les selles des enfants issus de milieux urbains à ceux des enfants issus des communautés rurales, Amish pour être plus précise. Rien de religieux dans l’histoire, ce n’est que leur mode de vie qui nous intéresse ici, qu’on peut comparer à celui des agriculteurs de notre pays d’avant-guerre, sans technologie et où ils vivent en contact étroit avec la nature et les animaux.

Fin du suspens : l’étude, publiée en 2019 (« Frontiers in Immunology »), révèle que les enfants issus des fermes présentent une plus grande richesse et une plus grande variété d’espèce bactériennes dans leur microbiote intestinal ! Tadaaa ! Dans une ferme, l’enfant est en effet exposé à une très grande diversité de micro-organismes et cela se répercute dans le système intestinal. Et comme depuis quelques années on s’y intéresse beaucoup, on découvre plein de trucs incroyables sur nos boyaux. Ils ont même été anoblis carrément par la communauté scientifique en tant que « deuxième cerveau » du corps humain ! Imaginez donc l’importance de leur état de santé. Plus un microbiote contient de bactéries et de micro-organismes diversifiés, plus il joue un rôle favorable pour notre santé. Ces enfants issus de la ferme ont tout leur système immunitaire qui en ressort renforcé.

Alors CQFD, stage ou pas stage ?

Oui, mais à la ferme, avec Maman.

Valérie Neysen

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