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Rendez-vous chez Charles Schotte, à Froidmont (Tournai) : reprendre l’exploitation familiale a toujours été une évidence pour moi»

Deux nuances de bleu, l’implacable chaleur. Le feu de son souffle alourdit la terre, amidonne la route. L’air sec comme une cloison plus ténue que le rideau mouvant des branches d’un saule pleureur. À Froidmont, dans l’entité de Tournai, Charles Schotte organise en paroles et en actes, les lignes claires de son avenir. Entouré de sa famille, il se veut l’architecte serein de son propre destin.

Temps de lecture : 8 min

Dans la famille Schotte, l’agriculture, c’est un métier et une passion familiale depuis cinq générations.

Bon sang ne pouvant mentir, Charles a naturellement épousé ce dessein. À 27 ans, après avoir décroché un diplôme de bachelier en agronomie à Ath en 2016, puis travaillé sous statut d’aidant sur l’exploitation de ses parents, il est lui-même devenu agriculteur à titre principal voici deux ans.

Implication au sein de la Fédération des jeunes agriculteurs

Avec sa centaine d’hectares, la ferme familiale de polycultures-élevage est de belle taille. Elle se décline en cultures (céréales, pommes de terre, betteraves, légumes), cultures fourragères (prairies et maïs ensilage) et élevage, avec un troupeau de 200 bovins, exclusivement des Blanc-Bleu-Belge.

Charles Schotte a toujours pu compter sur le soutien total  de ses parents, Bernard et Pascale.
Charles Schotte a toujours pu compter sur le soutien total de ses parents, Bernard et Pascale. - M-F V.

Reprendre l’exploitation familiale est depuis toujours apparu comme une évidence pour Charles, très impliqué depuis sa prime jeunesse au sein de la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA) dont il a été pendant près de cinq ans président de la section locale de Tournai avant de prendre la présidence de la province du Hainaut et la vice-présidence de la FJA au niveau national.

La reprise et ses inévitables tracasseries administratives

Charles Schotte reconnaît que le volet administratif a constitué une charge de travail assez importante dans le processus de reprise. « C’est pour cette raison qu’il était important de me faire accompagner par un consultant car la moindre erreur peut faire perdre du temps au niveau de l’introduction du dossier ».

Ce n’est pas pour rien qu’avec ses collègues de la FJA, il défend la simplification administrative des aides à l’installation.

Le plus fastidieux fut, pour le jeune repreneur, de procéder à tous les changements de coordonnées, établir un nouveau numéro de TVA, de compte, les transmettre aux différents collaborateurs de la ferme et ensuite d’introduire la demande d’aides à l’installation.

« Il faut, par exemple, vérifier que le permis d’environnement est toujours en phase avec les activités de la ferme, démontrer que l’exploitation dégage suffisamment de revenus, que la comptabilité de gestion est à jour et correctement tenue, bref, fournir toutes les pièces prouvant la bonne santé de la ferme » rembobine-t-il, ajoutant ne pas avoir connu de problème majeur dans le processus.

Le seul petit souci est venu de son projet de reprise particulièrement original qui s’articulait autour de la production de plants fermiers de pommes de terre.

Multiplication des plants de pommes de terre

« En général, on achète des plants certifiés (en provenance de Belgique, des Pays-Bas, mais, pour la plupart d’entre eux, de France) qui constituent le plus gros coût de la culture de pommes de terre. J’en produis une partie, c’est une particularité de mon exploitation » développe Charles qui était d’autant plus confiant dans le projet qu’il avait déterminé en amont, que l’une de ses connaissances l’avait mis en œuvre sans rencontrer le moindre obstacle.

Il en fut finalement de même pour lui après avoir clarifié et argumenté son projet auprès de l’administration.

Si la reprise s’est faite en douceur et de manière très fluide entre le fils et ses parents qui sont encore toujours actifs à ses côtés, la question du renouvellement générationnel taraude Charles, pour qui « le défi est grandissant en raison de la nouvelle donne tant au niveau agronomique, que climatique et économique ».

Il pointe les périodes extrêmement longues sans pluie, ou, a contrario, les épisodes de fortes précipitations empêchant les semis ou la plantation de cultures de printemps.

La formation et l’information, sont, pour lui, très importantes. « Il faut que, nous, les jeunes, soyons constamment à l’écoute de l’évolution des techniques, que l’on n’hésite pas à évoluer dans notre travail, ni à observer ce qui se fait ailleurs pour s’adapter aux enjeux qui se présentent à nous ».

«Il faut que, nous, les jeunes, soyons constamment à l’écoute de l’évolution des techniques, que l’on n’hésite pas à évoluer  dans notre travail, ni à observer ce qui se fait ailleurs pour s’adapter aux enjeux qui se présentent à nous.»
«Il faut que, nous, les jeunes, soyons constamment à l’écoute de l’évolution des techniques, que l’on n’hésite pas à évoluer dans notre travail, ni à observer ce qui se fait ailleurs pour s’adapter aux enjeux qui se présentent à nous.» - M-F V.

Charles Schotte évoque aussi les conséquences de la pandémie, le conflit russo-ukrainien qui ont entraîné une flambée des coûts de production pour les agriculteurs, et particulièrement pour les jeunes qui viennent de s’installer.

« La jeunesse a toujours un aspect optimiste »

Malgré la morosité ambiante, il cultive un optimisme propre à la jeunesse tout en restant conscient des difficultés inhérentes à l’installation.

« À la FJA, nous nous battons pour favoriser la transition vers la jeune génération, nous défendons l’accès au foncier sachant que nous sommes sur un marché très concurrentiel au niveau duquel l’on a assisté à un envol des prix » déroule-t-il, ajoutant qu’il n’est « pas évident, dans ces circonstances, de se lancer et d’avoir accès à des biens ruraux ».

Charles mesure toute la chance d’avoir pu reprendre aisément la ferme familiale, alors que « pour les jeunes désirant se lancer dans l’activité sans avoir hérité de la terre d’un aïeul, qu’il soit exploitant ou propriétaire, c’est extrêmement compliqué ».

Pour ces derniers, l’espoir vient peut-être dans la création de petites structures de maraîchage qui ont d’ailleurs fleuri dans le Hainaut.

Mais pas que. De nombreux jeunes essaient désormais de se lancer dans une petite diversification pour soutenir l’activité de la ferme.

À cet égard, Charles Schotte exerce depuis plusieurs années une activité de commercial à temps partiel pour une firme de semences de maïs dans le Tournaisis.

Une Pac qui ne va pas assez loin pour les jeunes

Reprendre une exploitation, c’est aussi se tenir au plus près informé des dernières législations européennes. Et des avis sur la Pac, le Pacte Vert et ses nouvelles stratégies, Charles en a.

Loin de les décrier de prime abord, il reconnaît le bon sens qui sous-tend toutes les mesures. « En soi, nous n’y sommes jamais viscéralement opposés. Nous avons toutefois l’impression qu’elles sont soit trop drastiques, soit trop compliquées à mettre en œuvre, voire contre-productives du fait de leur rigidité ».

Et de prendre l’exemple des couverts hivernaux pour lesquels il recevait une aide pour les laisser en place pendant trois mois, un délai désormais prolongé jusqu’au 15 février.

« Or, nous avons été confrontés à un printemps extrêmement pluvieux sans possibilité de détruire les couverts installés à l’automne, ce qui a entraîné un retard au niveau des semis et donc un potentiel de rendement moindre et des coûts au niveau du travail du sol plus conséquents ».

L’insoluble question de l’accès au foncier…

Mais Charles déplore surtout le manque d’ambition de la Pac afin de favoriser l’accès au foncier pour les jeunes, au moment où la pression immobilière rend les prix inaccessibles et les fait fuir des villages.

« Les éléments de réponse qui existent se heurtent au marché immobilier sauf à le changer structurellement, en décidant de sortir du champ les biens ruraux et les terres agricoles et de brider les prix à l’hectare ».

Les Safer françaises (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) qui permettent à tout porteur de projet agricole viable de s’installer en milieu rural, auraient pu constituer une bonne option.

Sauf que le système a été mis en place par la loi française d’orientation agricole (Loa) de 1960, au moment où la question de l’accès au foncier ne se posait pas en des termes aussi aigus et que les prix n’avaient pas encore grimpé de façon exponentielle.

Transposer cette solution en Wallonie serait, pour Charles, compliqué et trop tardif. « Admettons que l’ensemble des biens perdent 30 % de leur valeur, ce sont tous les propriétaires qui vont logiquement se révolter » justifie-t-il.

Et si l’on rendait le bail à ferme plus attractif ?

Rendre le bail à ferme, qui a été modernisé en 2019, encore plus attractif au niveau des propriétaires pour qu’ils fassent confiance à des jeunes qui s’installent, qu’ils leur donnent leurs biens en location sur une longue durée afin qu’ils aient une vision à long terme pour leur carrière, voilà ce que le jeune Tournaisien suggère.

Ces thématiques ont été développées fin 2022 à l’occasion des « Assises de la terre ».

La création de deux nouveaux modèles de baux à ferme y avait été abordée : le bail de projet et le bail de transmission. L’idée est d’amener deux nouveaux modèles de baux pour rendre de l’attractivité au marché locatif et au modèle du bail à ferme, tout en fixant des balises précises de manière à ce que ces nouveaux modèles ne deviennent pas une piste ni un moyen de contournement du bail agricole dans sa version actuelle.

Mais il faut aussi savoir qu’en mars dernier, le ministre Willy Borsus avait par ailleurs évoqué la mise en place de la gestion foncière pour les terres publiques.

Prévue par le Code wallon de l’agriculture, cette disposition pourrait concerner 60.000 hectares de terres agricoles appartenant à des villes, communes, fabriques d’église…, voire à la Région wallonne elle-même. La piste évoquée par le ministre consisterait en l’instauration d’une gestion foncière coordonnée avec un comité d’orientation, accompagnée d’un droit de préférence entre propriétaires publics.

Les clefs d’une installation réussie

Son avenir, Charles Schotte ne compte pas l’écrire avec le noir de l’encre. Pour ce faire, il entend essayer d’anticiper au maximum l’arrivée de nuages qui pourraient venir obscurcir son horizon.

« J’essaie d’avoir les pieds bien sur terre, car tout peut arriver. Nous sommes à la merci des éléments extérieurs. Il y a quatre ans, j’avais bien travaillé et un orage de grêle a réduit à néant ma culture avant récolte » se remémore-t-il, ajoutant que « le plus difficile, pour nous, agriculteurs, c’est la frustration quand la nature n’est pas au rendez-vous au bon moment ».

Pour réussir, être rentable quand on vient de s’installer, « il faut bien connaître ses coûts de production, asseoir ses bases et essayer de faire son travail le mieux possible » insiste Charles qui peut toujours compter sur le soutien total de ses parents et de sa fiancée, Marine, laquelle l’a beaucoup aidé dans sa démarche de reprise.

Et de conclure, « au niveau de la transmission, notre exploitation est un modèle »…

Marie-France Vienne

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