«L’ Europe doit protéger ceux qui produisent»
La commission de l’agriculture du parlement européen a adopté à une quasi-unanimité un rapport crucial sur l’application transfrontalière de la directive de 2019 relative aux pratiques commerciales déloyales. Un texte jugé indispensable pour rétablir un rapport de force plus équilibré entre producteurs et grands acheteurs, et répondre à la colère des agriculteurs exprimée dans les rues un peu partout en Europe en 2024.

Depuis l’adoption de la directive initiale en 2019, le cadre européen interdisait certaines pratiques abusives : retards de paiement, modifications unilatérales de contrat, refus de conclure par écrit. Mais la directive ne couvrait pas les transactions impliquant des acheteurs établis en dehors du pays du fournisseur, ni les pratiques transfrontalières impliquant des pays tiers. Or, comme le souligne M. Bonaccini, « un quart des échanges de produits alimentaires dans l’UE ont aujourd’hui une dimension transfrontalière. Il était donc urgent d’adapter notre dispositif à la réalité du marché ».
Un système d’alerte et des sanctions coordonnées
Le rapport va ainsi bien au-delà de la simple évaluation de la directive. Il propose de renforcer l’intervention des autorités nationales lorsqu’un acteur basé à l’étranger impose une pratique déloyale sur le territoire d’un État membre.
Le principe est simple : toute autorité nationale compétente doit pouvoir mettre un terme à un abus, quel que soit l’endroit où se situe l’acheteur concerné. « Nous voulons répliquer le modèle européen du succès, tel que nous l’avons fait avec les AOP ou les IGP, pour garantir que la qualité et l’origine soient aussi protégées face aux abus contractuels », a souligné M. Bonaccini.
Autre innovation : la création d’un système d’alerte rapide, destiné à identifier les risques de pratiques abusives au niveau européen. Les autorités nationales et la Commission seront appelées à partager les informations sur les pratiques observées, les mesures prises et les sanctions imposées, dans le cadre d’un rapport annuel harmonisé.
Ce dispositif devrait, selon le rapporteur, « avoir une forte capacité de dissuasion et permettre une réponse coordonnée et plus efficace ». Il s’agit aussi de mieux documenter les abus les plus fréquents afin d’adapter les politiques futures.
Étendre la protection au-delà des frontières
Mais c’est peut-être l’extension du champ d’application aux acheteurs situés dans les pays tiers qui marque la véritable nouveauté du texte. « Il est désormais nécessaire d’intégrer les pratiques commerciales imposées par des centrales d’achat qui ont souvent leur siège en dehors de l’UE », a déclaré le socialiste italien.
Dans cette optique, le texte impose aux entreprises concernées de désigner un représentant responsable dans l’UE, chargé de répondre des obligations prévues par le règlement. « Ce n’est pas une invention. Ce principe existe déjà pour les dispositifs médicaux. Il est là pour éviter que certains acteurs ne contournent nos règles tout en continuant à opérer dans notre marché intérieur ».
Alors que certains secteurs industriels expriment des craintes quant à une possible fragmentation des règles, le rapporteur se veut rassurant. Il reconnaît que certains États membres, à l’image de la France avec la loi EGalim ou de l’Italie avec son institut de contrôle qualité, ont déjà adopté des mesures plus strictes. Mais il insiste : « Nous avons choisi une voie équilibrée, qui respecte la souveraineté des États tout en garantissant une coopération. Les règles nationales plus ambitieuses pourront continuer à s’appliquer sur une base volontaire et réciproque ».
À ceux qui craignent une insécurité juridique ou des freins au commerce intra-européen, il oppose une conviction fondée sur le consensus politique : « Si tous les groupes représentés à la commission, des libéraux aux écologistes, des conservateurs aux socialistes, ont soutenu ce texte, c’est parce que nous avons trouvé un point d’équilibre. Ceux qui respectent les règles n’ont rien à craindre. Il ne s’agit pas d’un texte punitif, mais d’un texte de justice ».
Une adoption espérée avant la fin de l’année
L’adoption en commission ne constitue cependant qu’une étape. Le texte sera présenté en plénière au mois de septembre, avant d’entrer en trilogue avec le conseil et la commission. Une phase que M. Bonaccini aborde avec confiance, fort du soutien de la présidence danoise qui a inscrit la lutte contre les pratiques déloyales dans son programme prioritaire.
À l’heure où la souveraineté alimentaire, la résilience des filières agricoles et la lutte contre la concurrence déloyale sont devenues des priorités politiques, ce texte pourrait bien marquer une inflexion durable dans la politique commerciale européenne. Pour Stefano Bonaccini, il ne fait aucun doute que « ce règlement servira non seulement les producteurs, mais aussi les consommateurs et les distributeurs honnêtes, qui se retrouvent aujourd’hui concurrencés par des acteurs qui profitent du flou juridique ».
Et de conclure que « la bataille contre les abus ne doit pas être une parenthèse. Elle doit devenir un pilier de notre politique agricole et commerciale ».