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Libramont pluvieux et QR codé, fermiers heureux ou dépités?

« Ouh la gadoue, la gadoue  ! ». Avec ou sans accent anglais, la petite rengaine de Jane Birkin s’est « balladée » cette année entre les stands de notre Foire de Libramont, transformée par moments en aquarium géant, vendredi et lundi.

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Soixante litres de pluie au mètre carré au cours des quatre journées, excusez du peu ! Les travées du LEC, fort fréquentées, exhalaient par moments des odeurs doucereuses de vêtements et cheveux mouillés, mêlées aux relents sucrés issus en ligne directe des étables éphémères du rez-de-chaussée. Voilà qui n’était point pour tant déplaire aux agriculteurs, en terrain olfactif connu, mais faisait froncer les narines sensibles d’autres visiteurs, peu habitués aux parfums « vivants » de nos fermes !

Par temps de pluie, malheur aux myopes et autres mirauds ! Les mouchoirs ont essuyé bon train les lunettes, encore et encore, aux verres sans cesse embués et constellés de gouttelettes. C’est drôle ! La vision par temps humide, distordue, vaporeuse, plonge les malvoyants dans un monde flou où les nuages volent bas, où les physionomies se distinguent de manière confuse, au risque de saluer de parfaits étrangers, ou d’ignorer des connaissances qui se précipitent tout sourire pour vous serrer la main et échanger des nouvelles. Car la Foire de Libramont est avant tout un espace de rencontre, de belles rencontres ! Nous avons été merveilleusement gâtés cette année : Libramont pluvieux, rendez-vous heureux ! J’ai récolté un nombre incalculable d’idées qui viendront fleurir les «Voix de la Terre» au cours des prochaines semaines : des doléances, des réflexions, des sollicitations…

Une conversation particulière s’est arrimée à mes pensées. Apparemment, j’ai une tête à susciter des confidences, et une plume pour les diffuser, dixit un jeune gars fort dépité par le rififi dans la « Ch’tite FWAmille », ce divorce entre bambinas-bambinos FJA et mamy FWA. Ouh la la ! Il est très délicat de s’immiscer dans les affaires de famille, de porter un jugement, de prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes, quand on connaît mal les tenants et aboutissants de conflits souvent émotionnels… Les aînés du monde agricole hélas, à entendre ce garçon fort doux, semblent avoir gardé cet esprit paternaliste où le patriarcat tolère difficilement un partage de pouvoir avec la jeune génération. En ce qui me concerne, je fais partie de ces « vieux » béats d’admiration devant l’agilité physique et mentale de tous ces « jeunes », si beaux et si dynamiques, si forts et si fragiles. Je leur fais confiance, trop heureux et étonné quand ils viennent me demander un avis ou une explication. Il en reste si peu pour reprendre nos fermes : est-ce bien le moment de se les mettre à dos, de laisser son ego dicter le tempo ? Fermiers plus vieux, Libramont impérieux. Bien avant celle des sols, l’érosion de la population agricole reste bien le défi numéro UN à traiter par tous ces gens qui se sont emparés de nos destinées : administrations ministérielles et syndicales, technocrates de la galaxie para-agricole, inspecteurs et conseillers, banques et commerciaux de tous poils…

L’activité principale et caractéristique de ces innombrables personnes devrait recouvrir tout ce qui doit être fait dans le but de maintenir, de perpétuer et réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos personnes, nos fermes, notre environnement, ceux qui nous vendent et ceux qui nous achètent, ceux que nous nourrissons, l’ensemble de tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie. De toute évidence, leur entreprise n’est guère couronnée de succès, puisque le nombre des véritables agriculteurs diminue de manière dramatique chaque année, comme si la dimension humaine ne pesait rien face aux objectifs de rendements, aux impératifs commerciaux et financiers, à cette course éperdue vers la mécanisation, la digitalisation et l’intelligence artificielle. Libramont pluvieux, fermiers pas si heureux : pas grand-chose de bon pour nous cette année sous un soleil aux abonnés absents, planqué derrière les nuages… ou changé en QR code, qui sait ?

J’en veux pour preuve la multiplication des officines para-agricoles QR codées, présentes un peu partout dans le LEC et au Walexpo. Des acronymes en veux-tu, en voilà ! Comme si l’agriculture était devenue un concept mathématique, un vaste QR code enfermé dans un pré carré, une équation toute simple à résoudre en appliquant des formules, un produit remarquable du genre (x – y)² = x² + y² - 2 xy. L’agriculture est devenue le terrain de jeu d’une multitude de fonctionnaires à la bonne volonté évidente, mais à la vision distordue, un peu comme moi par temps de pluie, quand la buée sur mes lunettes m’empêche de distinguer les détails. Leur buée s’appelle logique capitaliste implacable, technocratie, sciences exactes, digitalisation… On considère celle-ci, en agriculture comme partout ailleurs, comme LA solution à tous les problèmes, mais il existe toute une série de secteurs où cela ne s’applique pas. Quand les personnes sont particulièrement vulnérables, elles ont besoin de s’exprimer dans la nuance, dans le temps. Elles ont besoin d’être en contact direct pour rester dans une relation équilibrée. (x – y)² ne donne pas souvent en agriculture le résultat escompté, car les « x » et les « y » changent tout le temps, au gré de la météo, des caprices des marchés, des humeurs versatiles des consommateurs…

Libramont QR-codé : fermiers jeunes et vieux emprisonnés, standardisés, dépités, privés des joies de leur métier.

Libramont pluvieux : fermiers heureux de rejoindre leur ferme, leur petit univers bien à eux, les pieds sur terre et la tête dans les étoiles, laissant le vaste monde poursuivre sa course folle…

Marc Assin

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