Accueil Voix de la terre

Et si c’était vrai?

« On finira par croire ce qu’on nous raconte ! » Ahurissante dans la bouche d’un climatosceptique pur et dur, cette réflexion a frappé mes tympans au petit matin du 15 août, au terme d’une nuit chahutée par un orage ultra-violent. Tout suffocant et blême, il est venu aux nouvelles et m’a raconté la peur de sa vie : arbres déracinés et pendus sur les fils électriques devant chez lui, une boule de feu « qui courait dans la pelouse », abri de jardin et serre envolés, trombes d’eau, tonnerre assourdissant, éclairs aveuglants…

Temps de lecture : 5 min

Zut ! Endormi comme une souche, j’ai raté un spectacle son et lumière de premier choix ! Et mon gaillard de poursuivre : « Tu penses que c’est dû au dérèglement climatique ? ». « Un peu, mon neveu ! », ai-je répondu.

Pour convaincre les gens d’une vérité qu’ils refusent d’admettre, Sainte-Frousse aime frapper les imaginations et asséner des arguments décisifs. Elle nous a – qui sait ? – envoyé un bel orage pour convertir les nombreux mécréants anti-réchauffement dans notre petit coin d’Ardenne, vers 3 heures du matin, en ce beau jour de l’Assomption de la Vierge Marie, appelée aussi autrefois « Dormition » (c’est pourquoi j’ai bien dormi cette nuit-là). Les prévisions n’avaient nullement annoncé cet orage, seulement un « faible risque », et il a semblé jaillir de nulle part, d’un coup de baguette tragique. 25 litres d’eau au mètre carré en 20 minutes, m’a renseigné notre mini-station météo Sencrop ! Et encore, s’il pleut trop, elle déborde et ne peut suivre à mesurer la quantité, est-il indiqué sur sa notice. Ce déluge venu du Ciel en courroux a bien arrosé et « battu » les dernières parcelles de céréales en attente de récolte. Elles n’étaient déjà pas trop vaillantes : couchées par endroits, germées sur pied (surtout les triticales), elles avaient perdu leur belle couleur dorée et grisonnaient tristement.

À deux ou trois jours près, fin juillet, les céréales sensibles auraient été moissonnées. Pas de chance… En 1984, l’Ardenne avait déjà connu semblable mésaventure, désavantagée par son climat plus froid qui retarde la maturité des grains de dix jours au moins. À l’époque, on ne parlait pas du tout de réchauffement global de la planète ; les phénomènes extrêmes avaient déjà lieu, mais beaucoup moins souvent, alors qu’ils se répètent à l’envi en ce début de 21º siècle. Avant ce 15 août, mon climatosceptique n’y croyait pas du tout, et puis voilà qu’il me sort cette tirade : «  On finira par croire ce qu’on nous raconte ! ». Demain, ou la semaine prochaine, il aura oublié ce qu’il a dit et persistera à ignorer, j’en suis certain, toutes les mises en garde des «  prêcheurs de misère » du GIEC ou d’ailleurs.

Il est assez désespérant de constater que la plupart des gens, au fond d’eux-mêmes, se fichent quelque peu des bouleversements qui s’annoncent. Sans doute sommes-nous un peu du nombre ? Je, tu, il, nous, vous, ils… Les bons et moins bons citoyens font semblant de s’émouvoir, parce que c’est à la mode, pour faire comme tout le monde, mais pas question de renoncer à sa manière de vivre, à ses déplacements compulsifs en voiture, à ses voyages en avion, à son douillet chauffage au mazout ou au gaz naturel, à la fée électricité et sa sorcière bien-aimée l’informatique…

Ce sont toujours les autres qui ont tort – ben voyons ! – et produisent des gaz à effet de serre : les agriculteurs, les nations en guerre, les pays riches qui brûlent leur charbon et leur pétrole, les pays pauvres qui déforestent, les pyromanes qui boutent le feu aux pinèdes et broussailles en Europe du Sud, aux forêts de résineux au Canada, sans oublier les volcans et les dégazages naturels ou non de méthane. De nouvelles expressions on fait leur apparition dans le jargon des climatologues : dôme de chaleur, goutte froide, jet stream, etc. En vérité, notre orage du 15 août n’est qu’un éternuement de moustique à côté des cyclones, typhons, ouragans, tornades... qui sévissent un peu partout dans le monde, à tous moments de l’année. Nos régions tempérées souffrent peu du réchauffement global. Sans doute est-ce la raison du scepticisme ambiant chez nous, du déni quasi institutionnalisé, du refus larvé de faire des efforts réels et de renoncer aux plaisirs de la vie que nous propose notre société de consommation.

Peut-être le discours des climatologues et des écologistes est-il trop triste, et ne nous propose-t-il que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur », comme celui de Winston Churchill à ses compatriotes le 13 mai 1940 ? Personne ne veut entendre de telles choses, se sentir culpabilisé, demander pardon et changer sa manière de vivre. Aucune nation, aucune institution financière, aucune industrie, aucun gouvernement… Cela ne vend pas du rêve. Seules de grandes catastrophes ont le pouvoir de provoquer des disruptions politiques, des prises de conscience décisives au niveau collectif et individuel.

Voir une boule de feu courir dans son jardin, son hangar à bois s’envoler, son gros hêtre séculaire se fendre en deux… peut vous épouvanter durant quelques minutes, quelques heures, mais cela ne suffit pas. Au matin d’une nuit infernale, Monsieur Toulemonde terrorisé pleurniche « Et si c’était vrai, ce qu’on raconte ? ». Mais au soir du même jour, rasséréné, il a oublié et zappe le sujet à la télé pour regarder le foot, ou cherche sur Internet des choses à acheter, ou la prochaine destination de ses vacances, au plus loin en avion «  parce que je le vaux bien ».

A lire aussi en Voix de la terre

L’agrivoltaïsme: un sujet de lutte paysanne

Voix de la terre Le 17 avril 1996, au Brésil, 19 membres du mouvement des paysans sans terre furent massacrés par des tueurs à la solde de grands producteurs terriers. Depuis lors, Via Campesina a décrété que le 17 avril serait la journée internationale des luttes paysannes. En cette période de révolte agricole, le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne (RESAP) et la Fugea signalent une nouvelle menace pour les terres agricoles et pour l’accès à la terre : l’agrivoltaïsme.
Voir plus d'articles