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Du rêve au cauchemar

Comme Martin Luther King, j’ai fait un rêve… Nous étions en 2050. 30 ans plus tôt, nos politiciens voulant restaurer la nature avaient, très intelligemment, consulté les documents et photos de la mi-vingtième siècle. Ils s’étaient rendu compte, avec stupeur, que ce qui avait changé en 70 ans, c’était une industrialisation et une urbanisation galopante de la campagne qui, telle une lèpre, gangrenaient ces espaces naturels.

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Prenant son courage à deux mains, la Commission européenne, qui avait déjà exproprié les producteurs laitiers, puis betteraviers, sans les indemniser pour leurs quotas achetés souvent pour des sommes très conséquentes, estima que par respect pour l’environnement, on pouvait faire pareil pour les villas de tous ces néo ruraux encombrants et polluants. Dans mon rêve, à peine les maisons furent-elles rasées que de nombreux agriculteurs régénérèrent ces sites en champs et pâtures. Très vite, la ministre Tellier se rendit compte qu’un grand nombre de cours d’eau n’existaient plus car ils avaient eu pour sources les rejets de ces maisons maintenant disparues.

Comme du temps de ma jeunesse, mes petits-enfants courraient dans le ru voisin, au milieu de pétasites aux feuilles semblables, mais en plus grand, à celles de la rhubarbe. L’eau était redevenue cristalline. Des centaines de vairons et gueules de chat effrayés s’enfuyaient en bondissant dans les hauts-fonds. C’était génial !

Au niveau administratif on était revenu aux fondamentaux ; 99 % de la réglementation avait été supprimée car reconnue inquisitoire, délétère et destructrice de l’environnement. La santé par l’alimentation avait remplacé la sécurité alimentaire grande pourvoyeuse de pathologies. L’Afsca n’existait plus ! L’air était bien plus pur !

En pleine béatitude, conditionné par mes 50 ans de travail à la ferme, je me suis réveillé à 5 h comme d’habitude et, avant le petit-déjeuner, ma femme et moi partons pour notre quotidienne promenade apéritive dans le village et les prairies. Nous passons devant une exploitation laitière avec robot de traite gérée par un producteur d’un autre village.

De nombreux signes annoncent les difficultés de l’exploitant : des vaches traites par le robot vêlent sans avoir été taries. Des veaux se promènent dans le troupeau et même dans le chemin. Plus loin, au milieu d’un lot de génisses pleines, 3 veaux courent, l’un d’eux a déjà 3 semaines. Ces bêtes sont pourtant des laitières. Ce manque de présence entraîne régulièrement de la « casse ».

Retour à la maison, manger, lire Le Sillon Belge. Les nouvelles ne sont pas bonnes, des débats sans fin sur les nouvelles réglementations, les BCAE5 – ces fameuses mesures prétendues anti-érosions qui sont des expropriations de fait –, les Maec (mesures agro-environnementales et climatiques), les Cipan (couvertures intermédiaires pièges à nitrates). Ces législations et bien d’autres sont mélangées dans le grand saladier de la législation européenne, elles sont assaisonnées de subsides homicides, adoucies de plein de bonnes intentions mais également de protections des nuisibles.

La vache ne peut plus boire dans le ruisseau mais le castor peut, par ses barrages, en les inondant, accaparer des parcelles qui seront retirées des surfaces primables. On permet aux loups, corneilles, gros gibiers… de détruire récoltes et bétail. Pire encore, ce 12 juillet 2023, la Commission européenne a approuvé une nouvelle législation pour la restauration de la nature. Celle-ci va concerner l’agriculture et la forêt. Soit le seul espace encore naturel actuellement. Ce à quoi justement il ne faudrait pas toucher.

Quelle nouvelle catastrophe nous prépare-t-on encore ? Quand se rendra-t-on enfin compte qu’en protégeant les nuisibles et en interférant de la sorte, on finit par exterminer l’espèce la plus menacée mais la plus utile et la plus indispensable à l’humanité, c’est-à-dire l’agriculteur. La nature est diversité. Seul l’agriculteur est apte à réagir en fonction du lieu, de l’exposition, de la structure du sol, du temps qu’il fait…

Quand donc se rendra-t-on compte des nuisances destructrices et sclérosantes qu’engendre l’imposition de ces pseudo-bonnes pratiques qui se révèlent peut-être efficaces ici, mais inappropriés là. Même dans un jardin, les plantes vont bien dans un coin et pas dans l’autre. Seul le praticien, forestier ou agriculteur, est apte à gérer la nature. Des conseils et informations sont parfois très utiles, mais des obligations et contraintes se révèlent souvent problématiques, voire toxiques.

Comme l’ex-Union soviétique, avant la chute du mur de Berlin, la Commission européenne s’englue dans un marécage paperassier de plus en plus délétère. Gérer la nature européenne depuis des bureaux, ça ne marchera jamais. Il faudrait des règlements adaptés à chaque parcelle, adapté à l’évolution climatique, aux saisons et, surtout, d’une grande réactivité que seul l’exploitant peu avoir.

Dans Le Sillon Belge du 20 juillet, j’ai beaucoup aimé le courrier de JMP (Confession d’un écolo mal tourné), dans lequel il nous rappelle que l’azote chimique est considéré comme négatif en agriculture mais est vertueux quand il est utilisé par le transport maritime ou l’aviation.

Pour ce qu’il en est des zonings industriels de mon rêve, on constate que de plus en plus d’entreprises se vantent d’un bilan CO2 neutre. Le Qatar s’enorgueillit d’une aviation et d’une industrie « vertes ». La bourse s’empare de ces allégations pour virginiser et valoriser les portefeuilles de leurs actionnaires.

Si vous cherchez à savoir ce que sont ces verdissements industriels, vous tombez principalement sur deux choses : l’utilisation de batteries, et la plantation d’arbres pour réabsorber le carbone émis. Question : où plante-t-on ces arbres ? Si c’est dans une pâture broutée par les vaches ou fauchée régulièrement, sachons que celle-ci absorbe 58 % de CO2 en plus que ces arbres. Si c’est là où rien ne pousse, ces arbres vont-ils croître ? Et, si par hasard, cela fonctionnait, il faudrait également tenir compte de leur entretien, des tempêtes, incendies, maladies et, surtout, du fait qu’il faut une cinquantaine d’années avant d’avoir un équilibre entre émissions industrielles et réabsorption optimale par photosynthèse du carbone émis.

Quant aux batteries électriques, que ce soit des voitures, élévateurs, petits et gros matériels, sachons qu’une batterie, même neuve, ne rendra jamais qu’un certain pourcentage des kilowatts qu’elle a reçu durant sa charge. L’optimum est l’utilisation en direct, comme les trains ou les trams. Pourquoi dès lors permet-on à des industries de se verdir par la généralisation de l’utilisation de matériel à batterie ?

C’est pareil en mer du Nord, où l’on va installer près des éoliennes une usine qui fabriquera du méthane « vert » qui dégagerait moins d’énergie qu’il n’a fallu pour le produire. Bref le réchauffement climatique a encore des beaux jours devant lui.

De toute façon les vrais responsables sont les herbivores, ces merveilleux boucs émissaires, présents depuis des millions d’années qui ont brusquement décidé de tout polluer par leur méthane. Devant tant de mauvaise foi, j’en ai fini de mon rêve et suis revenu en plein cauchemar !

Lu vî Gustave

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