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Violence dans nos campagnes

En théorie, rien n’est plus paisible qu’une campagne reposée, alanguie sous un franc soleil ou frissonnante sous la pluie et les bourrasques, loin de la ville et ses fureurs…

Temps de lecture : 5 min

Les artistes célèbrent la paix des champs depuis l’éternité, dans leurs aquarelles et peintures, leurs poèmes et chansons. Ce tableau idyllique cache d’autres réalités, bien entendu ! La nature n’est ni brave, ni bonne ; ni mauvaise, ni méchante. Nos prairies et nos terres agricoles, nos bocages et nos forêts, constituent un vaste théâtre d’affrontements à mort entre les êtres vivants : micro-organismes, champignons, végétaux, animaux. Manger ou être mangé, telle est la question. Collaborer, s’ignorer ou s’affronter : telles sont les options. Mais les êtres humains entre eux ? Quelles sont leurs relations ? Ont-ils dépassé cette dimension « bestiale » et acquis une humanité bienveillante et respectueuse ? Oui… et non ! Des témoignages ne manquent pas, relatés dans le Sillon Belge : nos champs de paix se transforment quelquefois en champs de bataille, en zone d’affrontements physiques et verbaux !

Ainsi, petite expérience personnelle voici 20 ans, mon voisin vient me chercher un dimanche matin pour l’aider à rattraper des bêtes échappées, et en dégager d’autres, prises dans des fils barbelés. La barrière est ouverte, et sur le gazon, nous constatons des traces de motos de cross dans la prairie mouillée. Des motards s’amusent bruyamment un peu plus loin à franchir des talus et faire de bonds spectaculaires. Vaille que vaille, nous rentrons les vaches et les veaux paniqués et réparons la clôture. Les motards s’approchent et viennent nous narguer. Mon voisin furieux les interpelle et les gugusses s’approchent d’un air menaçant en disant « Tu cherches la bagarre ? ». « Viens gamin, viens ! » répond mon voisin, avec sa dégaine de grizzli et une lueur meurtrière dans les yeux. Épouvanté par son regard assassin, je préviens les voyous : « Cassez-vous, c’est un ancien para ! ». Ils ont déguerpi sans demander leur reste, sinon, c’était l’hôpital pour eux, sans aucun doute. On ne les a jamais revus.

Un autre agriculteur m’a raconté dernièrement une autre mésaventure. Un samedi soir, il entend des beuglements de panique derrière chez lui, et découvre une petite génisse empalée sur un piquet de clôture, une patte brisée et des traces de morsures. Serait-ce un loup, ce fameux loup de passage que l’on affirme avoir vu un peu partout dans la région ? La semaine suivante, toujours un samedi, il voit passer des touristes bien nourris, joyeux et affables, venus en week-end goûter la paix des champs et respirer l’air pur de notre Ardenne. Ils tiennent en laisse un grand malinois très nerveux. La fille du fermier tient dans ses bras un chaton. Celui-ci, terrorisé par le monstre, saute et s’enfuit sous une haie de thuyas. Le chien s’échappe d’un coup sec et se précipite en un clin d’œil sur Mistigri, pour l’occire brutalement. Les touristes s’excusent mollement – « Que voulez-vous, c’est la nature ! »- et récupèrent leur chien. La gamine horrifiée pleure toutes les larmes de son corps en caressant son petit chat tué. Le dimanche matin, l’agriculteur entend des jappements et une galopade dans la prairie, et surprend le « serial killer » en plein safari. Excédé, il empoigne son « douze » et « pan ! », flingue l’idiot de chien malinois venu à nouveau poursuivre ses génisses. Il emporte le clebs et l’enfouit vite fait dans un tas de fumier. Quelques minutes plus tard arrivent les touristes, à la recherche de leur chien. Ils ont entendu le coup de feu et suspectent avec véhémence une justice expéditive, rendue par le fermier. Celui-ci reste impassible et répond : « Votre chien s’est enfui ? Que voulez-vous, c’est la nature ! ».

Ce ne sont là que des péripéties bien « innocentes », venues troubler la paix des champs. Il suffit de regarder les journaux télévisés, pour découvrir à grande échelle comment trop de gens règlent leurs problèmes en choisissant l’option facile de la brutalité. Personne ne peut se targuer de sainteté, car la violence et l’agressivité sont inscrites dans nos gènes d’homo sapiens. Depuis des millions d’années, la sélection naturelle a éliminé les plus doux, les moins belliqueux, les plus gentils parmi nos ancêtres hominidés. Les plus costauds ont eu accès en priorité à la nourriture et à la reproduction. Seuls les individus les mieux équipés pour la survie, les plus agressifs, ont eu une descendance sur des dizaines de milliers de générations. Et nous voici, êtres humains modernes, présents sur Terre depuis 300.000 ans environ, avec un lourd passif d’animal « méchant », toujours prêt à se battre pour de bonnes et de mauvaises raisons. La civilisation, la culture, l’éducation, ont mis en principe la bête en cage, mais la violence nous fascine et couve sous l’enveloppe de civilité, quand de vieux démons s’ébrouent en nous, pour défendre ou attaquer, pour guerroyer en grand ou en détail.

Les anthropologues et philosophes parlent de la « banalité du mal » et de « résurgence exponentielle des indignités », pour expliquer l’apocalypse quotidienne relatée à la télé, les violences urbaines, le grand banditisme, les conflits guerriers… La bonne conscience du mâle dominant excuse toutes les violences faites aux femmes. Les accès de rage envers autrui, en dehors de tout contrôle de soi, sont considérés comme les manifestations « normales » d’une virilité naturelle. On se bat sur tous les fronts, avec toutes les armes : verbalement beaucoup sur les réseaux sociaux, et parfois physiquement en « présentiel »… On se bat pour l’écologie, les religions, des idéologies…, sans respect pour la propriété privée, ni pour les opinions de ses victimes. Toutes les excuses sont bonnes, et c’est toujours l’autre qui a tort.

Dans les campagnes aussi, oui, on se bagarre parfois bêtement comme des animaux ! Nos champs devraient rester des havres de paix, où s’endorment les vieux démons de l’humanité. Mais quelquefois, hélas…

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