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A Wanze, les synergies de la famille Jolly

Conversion en bio des cultures céréalières, création du complexe touristique Naxhelet avec golf, spa et horeca, élevage de moutons ardennais roux, boulangerie, houblonnière et vignoble : depuis 1985, la famille Jolly a reprofilé les terres ancestrales pour en faire un écosystème durable, relocalisant l’emploi et régénérant l’environnement. Visite.

Temps de lecture : 10 min

Situé sur les collines verdoyantes des hauteurs de Wanze, le projet Terres du Val est riche d’une histoire unique où se croisent une dizaine de projets fonctionnant en totale synergie, avec un même souci de durabilité et de rentabilité économique.

Nous sommes ici à Vinalmont, à côté d’Antheit, sur les terres de l’ancienne abbaye Val Notre-Dame, données au début du 13ème  siècle par le comte Albert III de Moha à la communauté féminine de Hocht (Maastricht) qui venait d’intégrer l’ordre de Cîteaux.

Après une longue période de croissance, elle fut détruite par diverses guerres entre les 14ème et 16ème  siècles et reconstruite avant d’être vendue à l’État après la Révolution française. Selon l’historique du lieu, « le monastère fut transformé en château, et l’église fut détruite. Le Val Notre-Dame est alors acheté par les sœurs de L’Assomption qui ouvrirent un internat pour jeunes filles dès 1905, ce qu’il est encore aujourd’hui. »

À la même époque, une partie des terres de l’ancienne abbaye fut revendue à la famille Jolly qui les cultiva de manière conventionnelle jusqu’à la reprise par Bernard Jolly et son épouse Françoise de Vaucleroy-Jolly en 1985, qui introduiront progressivement des changements profonds. « Tout le domaine, que nous appelons à présent « Écosystème Terres du Val », explique Charles-Edouard Jolly, l’un des enfants du couple, fait entre 450 et 500 ha. Cette vaste propriété familiale avait alors deux activités principales, l’agriculture (orge, froment et betteraves essentiellement) et un peu de sylviculture, mais cela n’a jamais représenté une activité importante de la famille. »

L’aventure Naxhelet, c’est un golf, mais aussi un hôtel, deux restaurants, une brasserie,  des salles de séminaires et un spa wellness installés au sein de la ferme éponyme.
L’aventure Naxhelet, c’est un golf, mais aussi un hôtel, deux restaurants, une brasserie, des salles de séminaires et un spa wellness installés au sein de la ferme éponyme. - David Plas

Et d’ajouter : « Pendant 20 ans, mes parents ont développé la ferme en bon père de famille avec déjà une gestion très environnementaliste du domaine. Dans les premières années, plusieurs agriculteurs étaient installés sur nos terres avec des baux à ferme, mais mes parents en ont repris progressivement la gestion, ajoutant notamment des bandes enherbées à gauche et à droite et en plantant beaucoup d’arbres et de haies. »

L’arrivée des moutons

Dans les années 2000, la transformation des cultures s’accentue tout d’abord avec l’arrivée d’un troupeau de moutons Ardennais roux, une race disparue dans les années 1950, à la tête rousse. Sa réimplantation est promue par l’Université de Liège et le projet séduit Françoise de Vaucleroy, qui se découvre une âme de bergère.

« Les moutons ont été installés sur des prairies rachetées à un voisin que ma mère décide de convertir en bio. L’année suivante, c’est l’ensemble de nos cultures qui vont être converties ! Ma mère ne comprenait pas le principe d’appliquer beaucoup d’engrais et puis de pulvériser un raccourcisseur, il fallait du sens », poursuit Charley.

En 2007, les Jolly passent donc l’entièreté du domaine en agriculture certifiée bio. Même si cela commençait à se répandre, ce n’était pas encore si fréquent et surtout pas en une fois. La superficie était en effet énorme, près de 350 ha, car le golf n’existait pas encore.

Seconde innovation de la conversion bio : la diversification des cultures et surtout un assolement en sept ans, au lieu de trois. « On revient tous les sept ans avec une culture sur une même terre. D’abord une prairie temporaire pendant deux ans, puis froment la 3ème  année, une autre céréale – épeautre ou seigle – la 4ème, puis des pois de conserverie, une culture de printemps pour casser le cycle des maladies et des mauvaises herbes, puis du colza, on recasse le cycle et on finit par une céréale de printemps, en général, de l’orge de brasserie. À côté de cela, nous avons cinq ou six cultures spécifiques que l’on intègre dans l’assolement en fonction de la nature des terres : pomme de terre, chanvre, bourrache, caméline, moutarde, petit épeautre… j’en oublie. »

Comment être plus rentable ?

Les années 2005-2010 sont aussi l’occasion pour les Jolly de s’interroger sur leur agriculture. Celle-ci certes fonctionne, mais elle n’est pas très rentable. Et un vaste bâtiment, la ferme de Naxhelet, est sous-utilisé, l’ancien locataire étant parti. À la même époque, une étude de Deloitte tombe à point nommé. Ses auteurs estiment en effet qu’il manque dix grands golfs en Wallonie, et spécifiquement entre Liège et Namur…

« Nous sommes sur ce plateau, pourquoi ne pas réfléchir à la question ? », s’interrogent les Jolly qui réfléchissent bien évidemment aussi à la manière d’attirer du monde. En plus du golf, ils décident donc de développer également un hôtel (35 chambres), deux restaurants (50 et 55 couverts), une brasserie, des salles de séminaires et un spa wellness. Les demandes de permis sont déposées en 2010 et obtenues en 2012. Deux ans plus tard, le golf et les restaurants ouvrent, et en 2015, l’hôtel et le wellness. L’aventure Naxhelet, qui tire son nom du lieu-dit où il se trouve, est lancée, elle occupe près de 75 personnes, dont une partie de temps partiels.

Adeptes de l’agriculture biologique, les Jolly vont faire le choix de gérer leur golf de la même manière. Ce qui est tout sauf évident, car la pratique de ce sport génère un impact environnemental important et requiert nombre d’intrants. « Tout le monde nous attendait au tournant. Si nous avions converti les terres en bio, nous ne voulions pas revenir en arrière. Cela implique une certaine attitude et de l’humilité par rapport à la nature. Nous n’utilisons aucun produit phyto, mais uniquement des thés de compost, nous devons accepter la patience », commente Françoise de Vaucleroy qui s’est jointe à la conversation.

Adepte de l’agriculture bio, la famille Jolly a fait le choix de gérer son golf de la même manière.  Ce qui demande parfois d’adapter les pratiques...
Adepte de l’agriculture bio, la famille Jolly a fait le choix de gérer son golf de la même manière. Ce qui demande parfois d’adapter les pratiques... - A la Carte Studio

« De même, nous n’arrosons que les zones de départ et d’arrivée avec des eaux de pluies récupérées, pas les fairways (la partie tondue entre l’aire de départ et la zone du green). La pelouse est parfois plus brune, mais cela n’empêche pas de jouer. Nous avons récemment accueilli une des étapes du « Ladie’s European Tour » et nous avons respecté toutes les clauses du cahier des charges tout en étant bio. C’est une autre manière de travailler, avec des choix parfois difficiles à faire, mais à la fin, vous pouvez embrasser votre balle, vous ne serez pas empoisonné… »

La diversification continue

En 2016, c’est au tour de Charles-Edouard Jolly, premier d’une fratrie de quatre, d’entrer en scène, il a alors 28 ans et plein d’idées… Formé à la gestion à la Louvain School of Management – LSM, il a également passé un post-master en gestion de l’environnement à la Faculté d’agronomie de l’UCL et a bossé quelque temps à Liège dans le parapublic, mais sans y trouver entière satisfaction.

« J’avais envie d’entreprendre. J’ai des cousins agriculteurs qui produisent des fraises, du côté d’Ittre, dans le Brabant wallon. Ils ont un business de dingue, tout est vendu au bord de la route ! Comme cela m’inspire, je demande à mes parents si je peux lancer cela sur nos terres selon le même modèle. Ils acceptent, mais… en échange d’un plan de redynamisation de toute la partie agricole. Au bout d’un an de réflexion, je m’y attelle, le défi est passionnant… Depuis ce jour, je cogère le projet avec mes parents et ma sœur Clémentine qui vient de nous rejoindre l’an dernier, elle est passionnée de cuisine », explique-t-il.

Et une véritable stratégie de se mettre en place. « Tout était géré séparément… Nous avons tout regroupé sous le nom « Terres du Val » qui est un même et seul domaine, avec des synergies évidentes entre les projets. Ici, tout est « vrai » : on ne met pas trois chèvres et un demi-potager derrière le restaurant pour dire qu’on fait du circuit court, non, il y a une vraie activité économique derrière chaque projet qui doit générer de la plus-value et des emplois. »

Dans le vignoble, les plantations ont débuté en 2021.  Les premières bouteilles seront produites en 2024 et 2025.
Dans le vignoble, les plantations ont débuté en 2021. Les premières bouteilles seront produites en 2024 et 2025. - D.R.

« Nous sommes d’abord des céréaliers, nous nous sommes concentrés sur nos forces, avec, pour toutes nos cultures, la volonté de régénérer les sols et de développer la biodiversité sur l’ensemble du domaine. Nous avons la volonté d’aller un cran plus loin et de recréer un environnement sain et serein, tout cela en développant des activités économiques. Ce qui en général est considéré comme impossible… »

De nouvelles activités

Se définissant comme des « entrepreneurs de territoire », les Jolly ont beaucoup réfléchi à la manière d’optimiser l’utilisation des sols, ainsi que son patrimoine bâti. La ferme est gigantesque, et comment en effet gérer des bâtiments qui, parfois, ne correspondent plus aux normes des activités agricoles. Comme des étables classées inexploitables au niveau agricole, et ne pouvant pas être transformées en habitations.

Sur les dernières années, plusieurs nouveautés voient le jour. La création de la boulangerie Champain, en partenariat avec la ferme Schiepers, a suivi logiquement l’installation d’un hall de stockage à la ferme du Val permettant de vivre un an en autonomie, ou encore la création d’une structure maraîchère et fruiticole (fraise, framboise, melon…). Le point de vente, la « Boulangepicerie Champain », est installé sur la route à l’entrée du complexe.

Suivant la même logique que pour le golf, les Jolly ont décidé de développer une petite houblonnière et élaborent désormais une bière (bio) uniquement avec les ingrédients « maison » en collaboration avec la brasserie Léopold 7, mais aussi de planter un vignoble sur les terres les plus pauvres en bio également, et même en biodynamie (certifiée en 2022 déjà) !

La viticulture n’était en réalité pas une activité étrangère aux Jolly qui ont été durant plusieurs années des partenaires (non opérationnels) de la famille belge Parmentier dans plusieurs vignobles du sud de la France. Entrepreneur actif dans le monde du vin, Nicolas Parmentier, a été chargé avec Martina Widmer, diplômée de la Haute École de viticulture et d’œnologie de Changins, d’étudier la faisabilité du projet.

Après l’analyse des sols par les pontes en la matière, Lydia et Claude Bourguignon, la décision a été prise de miser sur les vins rouges tranquilles et de planter 60 % des surfaces avec des variétés rouges, gamay et pinot noir. En blanc, le duo belgo-suisse a proposé le chardonnay et le chasselas, très peu répandu chez nous.

En 2020, la famille approuve le projet et les plantations se déroulent à partir de l’année suivante, sur trois ans et sur 10 ha, en fonction des stocks de pieds disponibles. Entretemps, séduite par les effervescents de certains confrères, la famille Jolly décide d’augmenter le vignoble de 8 ha supplémentaires destinés à l’élaboration de vins effervescents, les mauvaises années (comprenez « quand le raisin n’arrive pas à maturité »), amortissant ainsi le risque climatique. Les premières bouteilles ne seront toutefois produites qu’en 2024 et 2025. La majeure partie sera vraisemblablement écoulée dans les différentes enseignes de Naxhelet, un avantage non négligeable.

« Ce vignoble sera une porte d’entrée et un deuxième porte-fanion de l’écosystème, permettant à la clientèle des restaurants et hôtels de voyager de l’un à l’autre au fur et à mesure de l’année. Nous sommes totalement convaincus de nos investissements, et pensons avoir mis toutes les chances de notre côté… », commente encore Charley.

À table !

Enfin, les restaurants connaîtront eux aussi de prochains changements, car un nouveau chef venu de Bordeaux, François Durand, est aux commandes du restaurant Pollen depuis ce 21 septembre. « Il a été séduit par notre projet. Il est venu grâce à la combinaison cohérente du vignoble avec la ferme et le maraîchage. Il va véritablement magnifier nos produits… Nous voulons nous différencier par la fraîcheur et l’authenticité de nos produits, ce sera notre signature… », s’enthousiasme Françoise de Vaucleroy qui coordonne tout l’horeca de Terres du Val.

« Chaque projet a son nom et son identité propres, conclut Charley, mais nous avons uniformisé toute notre image avec le même dessin de fleur et des codes couleurs pour que les gens sentent que c’est un tout qui fonctionne en totale synergie l’un avec l’autre, avec, en ligne de fond, la gestion par la famille Jolly, qui a une volonté d’entreprendre extrêmement durable en relocalisant l’emploi et en réussissant à régénérer l’environnement. »

Marc Vanel

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