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À quel saint se vouer?

Qui croit encore au bon dieu et à ses saints, dans notre société matérialiste où la spiritualité s’exerce surtout pour augmenter ses profits, et se chercher mille et un plaisirs terrestres ? Chez nous, la religion a perdu son attrait irrésistible, et ne pilote plus notre monde. Chez nous non, mais ailleurs ? Juifs et musulmans s’étripent sauvagement au Proche-Orient ; orthodoxes ukrainiens et russes s’écharpent pour de petits bouts de territoire, et la paix ne sait plus à quel saint se vouer, si ce n’est à Sainte Rita, patronne des causes désespérées. Rien n’est simple, et les solutions imaginées créent sans fin de nouveaux conflits, de toutes natures.

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Les problèmes s’empilent les uns sur les autres, dirait-on, jusqu’à former des amoncellements qui montent au ciel et obscurcissent nos horizons. En ce qui nous concerne, nos soucis à nous – inflation, migrations, crises sociales, quête de sens dans nos choix de vie — sont des problèmes de riches, bien évidemment ! Rien à voir avec ce que vivent ces peuples martyrisés… Rien de comparable -jusqu’à présent !- avec ce qu’ont connu nos parents et nos aïeux. Ils ne disposaient pas du confort moderne, d’une médecine performante et d’une sécurité sociale que d’aucuns nous envient dans le monde. Ils ont vécu des siècles de violences, d’oppressions, de misères et d’épidémies, sans protection, sans médicaments, sans soins médicaux de pointe. Comment ont-ils tenu ? D’où vient leur résilience ? Le secours venait de la religion : ils vivaient dans l’acceptation fataliste des épreuves « envoyées par Dieu », disaient-ils. Dieu avait bon dos, et pour modérer ses ardeurs expiatoires, les hommes inventèrent pour l’entourer toute une galerie de saints, avec en première ligne la Vierge Marie, bien évidemment.

Nos ancêtres savaient à quel saint se vouer. À chaque fléau correspondait un saint protecteur : Saint-Roch et Saint-Sébastien pour les épidémies, Saint-Hubert pour la rage, Sainte-Agathe pour les maladies féminines, Sainte-Lucile pour les yeux, Sainte Thérèse de Lisieux pour l’angoisse et les dépressions, Saint-Laurent pour les brûlures, Saint-Éloi pour les abcès, etc, etc. Pour protéger leurs récoltes et leurs animaux domestiques, à quels saints se vouaient-ils ? Saint-Walhère et Saint-Corneille veillaient sur les bêtes à cornes -bovins, chèvres et (…)- ; Saint-Druon protégeait les bergers et leurs moutons ; Saint-Antoine s’occupait des cochons ; Saint-Martin protégeait les chevaux et Saint-Maurice veillait sur la santé de tous les animaux de la ferme !

En Ardenne, trois saints légendaires avaient particulièrement la cote : Saint-Éloi, patron des métiers du fer et fêté le 1er décembre lors de joyeuses libations, sans oublier Saint-Isodore, patron des laboureurs. Last but not least, je m’en voudrais d’oublier notre chouchou local : Saint-Monon de Nassogne, un véritable saint agricole et paysan, fêté justement ce 18 octobre. Devenu une marque de bière tout finit en bière dans ce pays, c’est dire la mentalité wallonne… –, Saint-Monon garde une place à part dans l’imaginaire ardennais ! Humble parmi les humbles, il est invoqué depuis des siècles pour guérir les maladies du bétail, et de nombreux villages ont chacun leur petite chapelle dédiée à son culte

Son histoire commence en Écosse vers l’an 600, à une époque où le christianisme peine encore à évincer les cultes gallo-romains, surtout dans les coins reculés des campagnes. Jeune homme très pieux, il consacre sa vie au dieu des Chrétiens et devient moine. Un ange lui apparaît et lui demande de partir en Gaule évangéliser ces irréductibles Ardennais à tête de bois, attachés à leurs idoles et à leurs rites celtiques. L’ange lui indique un lieu-dit : Nassonia dans la forêt de Freyr. Il part en pèlerinage et cherche cet endroit énigmatique dans une contrée encore sauvage et païenne. Lors d’un après-midi brumeux, il s’égare et rencontre un porcher, venu à la glandée avec ses cochons. L’un d’entre eux déterre une petite cloche, sous les yeux médusés du jeune moine ! Averti par ce signe divin, celui-ci décide d’installer son ermitage à cet endroit précis ; il suspend la cloche magique et la fait teinter pour appeler les gens à venir suivre son enseignement.

Il connaît aussitôt un vif succès auprès de la population locale. Les gens l’appellent « Monon » (= moine), car son nom écossais est imprononçable dans le dialecte local. Hélas, sa popularité grandissante ne plaît pas du tout aux adorateurs des dieux païens, et ceux-ci assassinent le brave Monon. Ses amis éplorés placent le corps du défunt dans son ermitage, et continuent à venir le visiter, car la cloche continue mystérieusement à tinter toute seule à l’heure des offices. Des guérisons miraculeuses ont lieu, surtout parmi les animaux, et la renommée de Saint Monon ne cesse de grandir ! Pour accueillir sa sainte dépouille, une église est bâtie à quelques centaines de mètres de son oratoire, autour de laquelle s’agglutinera le village de Nassogne, au fil du temps.

De nos jours encore ont lieu les « remuages de Saint Monon », lors du dimanche qui suit l’Ascension. Sa châsse est portée en procession de la collégiale de Nassogne jusqu’à la chapelle de Coumont, érigée sur les lieux de son martyre. Lors de la procession, les agriculteurs venus nombreux cherchent à toucher la châsse à l’aide de branches cueillies au bord du chemin. Ce feuillage est donné directement à manger aux animaux, ou est suspendu au mur des étables pour protéger le bétail contre les maladies. Outre ces rameaux, le prêtre bénit du pain et de l’avoine, lesquels symbolisent la production agricole dans son ensemble.

Ces « remuages de Saint-Monon » sont attestés au moins depuis 1303 ! Si vous ne savez plus à quel saint vous vouer, descendez donc à Nassogne au printemps prochain. Ça ne mange pas de pain, de prier un saint aussi sympathique !

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