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Multiplier des arbres fruitiers par semis, c’est (parfois) possible!

Semer les graines des fruits que l’on récolte et qui nous apportent entière satisfaction, n’est-ce pas tentant ? Toutefois, pour parvenir à un résultat satisfaisant, à la savoir la production d’un plant juvénile, il convient de respecter un mode opératoire adapté à la graine elle-même.

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Lorsque l’on souhaite reproduire soi-même des arbres et arbustes fruitiers comme cela se passe dans la nature, le semis de graines est assurément la méthode qui demande le moins d’équipements. Encore faut-il que les graines mises en œuvre germent et que les plants obtenus soient le plus possible semblables au pied mère sur lequel elles ont été récoltées, à moins qu’en semant des graines dont on connaît le parent femelle, mais dont on ignore l’identité du parent mâle, il y ait en nous le secret espoir d’obtenir une descendance originale à certains points de vue.

C’est ainsi que sont nées la plupart des variétés fruitières anciennes que nous cultivons : semis du hasard, puis croisements dirigés, où l’on tente d’allier les qualités de deux arbres différents grâce à une connaissance de plus en plus précise des mécanismes de transmission des caractères.

En manipulant des graines d’arbres fruitiers : pépins ou noyaux, il est permis d’espérer qu’il y a peut-être là, caché dans l’embryon, qui sait, tout un potentiel d’innovations. C’était l’idée développée à Troyes (France) le 22 janvier 1904 à la Société académique de l’Aube par le pépiniériste français Charles Baltet dans une lecture intitulée « Histoire d’un pépin de pomme racontée par lui-même ». La pépinière Baltet à Croncels (Troyes), qu’il dirigea conjointement avec son frère Ernest, joua dans la seconde moitié du 19ème  siècle un rôle important dans l’arboriculture fruitière française, en créant et en multipliant de nombreuses variétés du moment.

Pépins, noyaux et autres graines

Les graines que nous allons utiliser sont l’aboutissement d’un processus biologique qui commence par la floraison, puis la fécondation et, enfin, le développement d’un fruit qui contient une ou plusieurs graines. Dans la nature, les graines libérées germeront si leur pouvoir germinatif est encore suffisamment élevé, et si elles se trouvent placées dans un environnement favorable. On est souvent étonné de constater que dans la nature le pourcentage de graines qui donneront naissance à une plante viable est très faible.

Ainsi, par exemple, sous un merisier adulte, la quantité de graines tombées au sol et qui n’ont pas germé peut être énorme en comparaison avec le nombre de plants obtenus, signe que « quelque chose » est venu perturber le mécanisme naturel de reproduction. En connaître la ou les causes, y remédier et améliorer les facteurs de germination des graines permettront d’obtenir par semis les plants souhaités.

Une graine comporte :

– des téguments : tissus protecteurs qui assurent leur conservation, mais qui peuvent aussi ralentir ou empêcher leur germination ;

– un embryon : il est la plante en devenir, et il comporte une radicule, une tigelle et une gemmule ;

– des tissus de réserves nutritives : glucides, lipides et/ou protides en proportions variables selon l’espèce, qui sont stockés soit dans les cotylédons, soit en dehors de ceux-ci dans un tissu appelé « albumen ».

Les graines sont en état de vie ralentie : respiration faible, pas d’échanges d’eau ni d’éléments nutritifs avec le milieu, pas de synthèse d’éléments organique ni de croissance. La durée de cet état de vie ralentie est très variable selon le cas ; elle peut aller de quelques jours à plusieurs dizaines d’années en fonction de l’espèce et des conditions environnementales (principalement température et humidité).

Comment récolter, trier et conserver les graines ?

La plante-mère est choisie sur base de ses performances satisfaisantes et de son bon état sanitaire. Des graines fraîchement récoltées donnent toujours de meilleurs résultats à la germination que des graines qui ont été séchées, parce que le séchage durcit les téguments, de sorte que la sortie de la radicule et la tigelle puisse être contrariée. Des graines sèches seront réhumectées à l’eau tiède ou chaude avant la stratification.

Lorsque le lot de graines présente différents calibres, il est préférable de les calibrer, et si possible de ne retenir que le calibre supérieur, dont des chances de germination sont généralement meilleures. Pour les pépins de pommes, on a remarqué que les plus gros donnent naissance à davantage de plants triploïdes (à 3 n chromosomes au lieu de 2n) que les pépins plus petits ; leur vigueur est plus forte, et les fruits sont plus gros.

La conservation des graines se fait au froid (3 à 5ºC) et au sec.

... sera placé sur un récipient rempli d’eau et immergé de moitié.  Il ne reste qu’à attendre sa germination !
... sera placé sur un récipient rempli d’eau et immergé de moitié. Il ne reste qu’à attendre sa germination !

Lever la dormance

Lorsqu’une graine est mise dans des conditions favorables à sa germination et que celle-ci ne se produit pas, il se peut simplement que sa durée de vie soit dépassée : la graine est morte. Mais il se peut aussi que la graine soit encore vivante, et comme il a été dit plus haut, que « quelque chose » vient empêcher la germination, et que connaître la cause permettra d’y remédier. Cet état peut durer plusieurs mois. Parmi les causes les plus fréquentes, citons :

– la formation de l’embryon n’est pas terminée ; c’est le cas chez certains fruits à noyau : il suffira d’attendre en maintenant les graines en vie ;

– les téguments de la graine sont imperméables à l’eau et/ou à l’air, à cause de leur texture ligneuse ou de leur teneur élevée en lipides : ce facteur est fréquent chez les espèces à pépins ;

– les téguments contiennent des substances inhibitrices de la germination ;

– la résistance mécanique des téguments est trop forte, et elle empêche l’ouverture de la graine ;

– une température trop élevée de l’air et du substrat : optimum = 18-25ºC pour les espèces des climats tempérés, 25-28ºC pour les espèces des régions chaudes ;

– une association de plusieurs causes, avec parfois un effet synergique.

Connaître la cause d’une dormance peut permettre de la lever et d’obtenir une germination des graines plus simultanée. Après avoir récolté, trié et nettoyé les graines, une post-maturation, en conditions favorables de température et d’humidité, permet de conserver leur pouvoir germinatif jusqu’à ce que la formation de l’embryon soit achevée.

La scarification qui consiste à décortiquer, briser ou rayer les téguments des graines permettra d’améliorer leur perméabilité à l’eau et à l’air et d’enclencher plus rapidement et plus uniformément leur germination. Des traitements à l’eau tiède ou avec différents solvants peuvent améliorer l’efficacité de la scarification.

La stratification consiste à faire séjourner les graines pendant un temps relativement long dans un substrat humide (sable de rivière ou terreau) dans des conditions froides (à l’extérieur ou en frigo). Ainsi, les téguments seront ramollis et, pour les espèces des régions tempérées, les besoins en froid seront satisfaits.

Dans la littérature technique, les durées de stratification et les températures à observer varient fortement : par exemple pour des pépins de pommes, 9 semaines entre 1 et 5ºC, ou encore 90 jours à 4ºC ; pour des noyaux d’abricots, 2 à 4 mois entre 0 et 5ºC ; pour des noyaux de pêches, 12 à 16 semaines et pour des noyaux de prunes, 10 à 12 semaines (température non mentionnée). Les graines sont disposées en couches, dans des récipients qui les préservent des rongeurs et des oiseaux. Pour les espèces à noyau, il est parfois conseillé d’extraire l’amandon entier, sans abîmer l’embryon.

Le noyau d’avocat, après dégustation...
Le noyau d’avocat, après dégustation...

Produire les plants fruitiers par graines

Après la levée de la dormance (si elle a été nécessaire), ou directement à la récolte des graines (qui n’en manifestent pas), on procède à un rinçage rapide. Le substrat de semis est composé d’une moitié de terreau du commerce + un tiers de terre de jardin (pauvre en graines de plantes adventices !) + un sixième de sable de rivière ; il est tamisé plus ou moins finement selon le calibre des graines. On utilise des récipients de 10 à 15 cm de haut, facilement déplaçables, plutôt que semer en terre. L’espacement dépend du calibre des graines, qui doivent être enterrées à deux fois leur diamètre.

Les soins ultérieurs sont communs à tous les semis : arrosages, mise à l’ombre, surveillance du feuillage (pucerons !), contrôle de la température… jusqu’à la formation d’une tigelle portant 6 à 8 feuilles.

À ce stade, transplanter chaque plant dans un récipient plus vaste et préparer les plants à hiverner, selon le cas, en plein air en les protégeant des gelées sous un voile d’hivernage, soit sous abri pour les plants exotiques sensibles au froid. Pendant l’hivernage, l’excès d’humidité du substrat est plus à redouter que le froid lui-même ; un substrat bien drainant par sa composition granuleuse et la présence de sable sont indispensables.

Ne pas oublier un double étiquetage : sur le récipient et dans un carnet : les étiquettes s’envolent et la mémoire du jardinier… (sans commentaire !)

Des plants juvéniles à l’aspect bien différent

Très souvent, les plantules d’arbres issues d’un semis de graines vont avoir un aspect différent de celui des plantes adultes que l’on connaît. Par exemple les feuilles ont une forme et une épaisseur différente, et leur disposition sur la tige (la phyllotaxie) est différente, l’écorce des tiges a une couleur différente, les tiges sont plus vigoureuses, on constate la présence d’épines. Les fleurs sont absentes. Dans la partie inférieure, les ramifications les plus jeunes peuvent être multipliées par bouturage, une aptitude qu’elles perdent rapidement. Ces caractères sont l’expression d’une « juvénilité » dont la durée varie selon l’espèce et les conditions de croissance.

Le même phénomène s’observe aussi parfois, mais pour une durée plus courte, sur des plants issus de culture « in vitro », suite à l’adjonction au milieu de culture de cytokinine, une hormone végétale juvénilisante.

 

Comment semer au mieux quelques espèces fruitières ?

En passant en revue les conditions de germination des graines d’une trentaine d’espèces fruitières des climats tempérés et des climats chauds, on trouve quelques notions communes à la plupart d’entre elles.

  Espèces fruitières des régions tempérées :

Les graines de la plupart de ces espèces ont une dormance forte, qu’il conviendra de lever par une stratification au froid à réaliser dès la récolte des graines encore fraîches ; après séchage, leur ré-humectation peut prendre longtemps et diminuer fortement leur taux de germination. Parfois la germination de graines très fraîches est possible, mais disparaît après peu de temps.

La germination se fera à une température d’environ 20ºC.

En bref :

– Amélanchier : graines fraîches semées directement ; graines sèches : 4 semaines à 20ºc + 12 semaines en stratification ;

– Aronia : voir amélanchier ;

– Castanea : graines fraîches sous châssis en automne ; protéger du gel ;

– Chaenomeles : voir amélanchier ;

– Cornus : récolter les graines fraîches avant maturité ; graines sèches : 12 semaines en stratification ;

– Cydonia voir chaenomeles ;

– Juglans : à la récolte ou en mars : 2à 4 semaines en stratification ;

– Malus : graines fraîches hivernées à l’extérieur : 8 à 12 semaines en stratification ;

– Mespilus : graines fraîches trempées 2 jours dans de l’eau, puis 8 à 12 semaines en stratification ;

– Prunus : graines fraîches : semis immédiat ; graines sèches : 12 à 20 semaines en stratification ;

– Ribes : graines fraîches : semis immédiat ; graines sèches : 12 semaines en stratification ;

– Rosa : graines fraîches de fruits bien mûrs : semis direct ; graines sèches : 12 semaines à chaud puis 12 à 16 semaines au froid ;

– Sambucus : graines fraîches : 2 à 4 semaines au froid, puis semis.

  Espèces fruitières des régions chaudes :

Ici il n’y a généralement pas de dormance au sens strict du terme, mais la germination est ralentie ou empêchée par une imperméabilité des téguments. On accélérera l’humectation des graines en les décortiquant, ou encore en fendant ou en usant les téguments avec un abrasif. La levée du semis sera plus uniforme. Il est également conseillé d’éliminer soigneusement la chair des fruits qui adhérerait aux graines pour éviter des pourritures.

La germination se fera à une température supérieure à 25ºC. Il est parfois conseillé de tremper les graines pendant quelques jours dans de l’eau à 30-35ºC, et ensuite de les semer à 25ºC minimum. La levée en sera plus rapide, mais aussi plus homogène. Ce traitement est indispensable pour la germination de graines de palmier- dattier. Les graines d’avocatier sont enterrées à moitié, pointe en haut, ou placées sur une carafe et immergées à moitié. Les graines de manguier sont enterrées à moitié, dressées sur le flanc.

Ir. André Sansdrap

Wépion

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