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Voyage au royaume du «Vin du Pays de Herve»

Parcelles de Teberg, Montzen, dans l’entité de Plombières. Le bocage ondulant, le claquement de la pluie tambourine à intervalles irréguliers, comme des secondes d’un temps étrange. Les pieds de vignes sont pleinement là, dans le pur présent, et ce ciel ouaté, le chemin encaillouté, on s’y enfonce dans un brouillard, jusqu’à ce que le paysage s’éclaire dans ses moindres détails.

Temps de lecture : 7 min

Avant que la route cahoteuse ne s’évanouisse, surgit le chai. Neuf, esseulé, encore nimbé de silence à l’extérieur, son cœur ronronne, résonne, s’ouvre sur le pressoir, des cuves, gyropalettes, barriques, ces coffres à trésors, tandis que tintinnabulent près de l’entrée des bouteilles impatientes d’être étiquetées.

De Herve à la Guadeloupe en passant par Chicago

Aux manettes, le vigneron hervien Michel Schoonbroodt, directeur de la société coopérative à responsabilité limitée et à finalité sociale « Vin du Pays de Herve ».

La région bocagère lui colle encore au cœur et au corps, lui qui a passé sa jeunesse au centre de la capitale du fromage, plus précisément en face de l’école des filles car son père, qui avait arrêté son parcours scolaire prématurément, était soucieux que ses quatre sœurs et lui poursuivent des études.

Sur le plateau, le royaume de «Vin du Pays de Herve» vu du chai ...
Sur le plateau, le royaume de «Vin du Pays de Herve» vu du chai ... - M-F V.

Mission plus qu’accomplie pour Michel Schoonbroodt qui a décroché une licence en gestion à l’UCL suivie d’un master aux États-Unis, à Chicago, avant de travailler dix ans durant au sein de plusieurs multinationales actives dans les secteurs bancaire et des télécoms.

Il deviendra consultant indépendant en entreprise, redresse une société de logements sociaux dans le Hainaut et décide, en 2011, de partir « avec deux fois 23 kilos de bagages » en Guadeloupe où il s’installe à bord d’un catamaran. Il apprend la navigation et développe, avec sa compagne, un concept original de chambres et tables d’hôtes au fil des îles.

 

La notion d’échange gratuit de connaissances

De retour au pays en 2016, il se met en quête d’un nouveau projet. C’est alors qu’il croise la route de Fabrice Collignon, un serial entrepreneur dans le domaine de l’économie sociale, directeur de la Maison Liégeoise, l’une des premières sociétés belges de logement de service public, et l’un des fondateurs de « Vin de Liège », dont il est toujours président du conseil d’administration.

« Nous rêvions d’une société de la connaissance où cette dernière s’échangerait gratuitement » développe M. Schoonbroodt qui avait déjà vécu cette expérience en Guadeloupe, quand les marins autochtones l’avaient formé à la navigation et au maniement de son bateau.

« L’on retrouve cette notion dans l’économie sociale et les coopératives », insiste celui qui ne s’imagine plus travailler dans la consultance, « et vendre mes mains, mes yeux, mon temps et mes pouvoirs de conviction ».

 

La culture de partage du savoir

Son but sera désormais « d’avoir un produit dont je pourrai tirer un salaire, pour le reste, tout serait gratuit puisque des gens m’aideraient à réaliser un site Internet et du vin.

Il s’agit réellement d’un partage de savoir » sourit-il en glissant « qu’ensemble, nous sommes vraiment plus forts ».

Il flamboie dans les verres, glougloute dans le gosier. Le vin, ce poème murmuré en bouteille, transcende le temps et l’espace. Il est en tout cas, pour M. Schoonbroodt, un « produit sexy et amusant ».

Il se penche sur l’aventure de « Vin de Liège », constate que le projet prend tout doucement son essor ; il deviendra d’ailleurs rentable en 2019. « Leur impact social est important grâce à l’échange de savoir-faire » souligne-t-il en évoquant par ailleurs leur volonté de créer des émules.

 

Une émanation de « Vin de Liège »

Et l’entrepreneur hervien de décider qu’il sera le premier d’entre eux !

« Avec des amis, nous avons calqué notre modèle sur le leur en reprenant les mêmes statuts, cépages, fournisseurs, montant de la part des coopérateurs » rembobine le futur patron de « Vin du Pays de Herve » qui sera créé en septembre 2017.

Les terrains sont logiquement tous situés dans le pays de Herve, à Thimister-Clermont et Aubel et dans l’arrière-pays de Herve, encore appelé « pays des trois frontières », sur la commune de Plombières.

« Les rémouleurs », une composée à 100 % de Solaris, vendangée à la main sur la parcelle  de «Crawhez» à Thimister-Clermont et celle de «La Croix» à Hombourg.
« Les rémouleurs », une composée à 100 % de Solaris, vendangée à la main sur la parcelle de «Crawhez» à Thimister-Clermont et celle de «La Croix» à Hombourg. - M-F V.

Environ 40.000 pieds de vignes ont été plantés au fil des années 2018, 2019 et 2020 pour quatre cépages de blanc, Johanniter, Souvignier gris, Solaris et Muscaris, en effervescent et vin tranquille.

 

Vignoble en bio

Toutes les parcelles sont en bio « car nous acceptons la notion de contrôle » indique le patron de la coopérative.

Avant d’ajouter, « nous possédons un gros pulvérisateur mais ceux qui le voient sortir et en action doivent savoir que les produits qu’il contient (bouillie bordelaise, soufre, cuivre…) et les quantités sont limitées ».

Le néo-vigneron stipule qu’il ne fait que du préventif et non du curatif, quitte à assumer des pertes de rendement.

Et d’avancer qu’il souhaiterait une initiative pour développer le concept de « communes viticoles propres » qui pourrait faire des émules en Wallonie.

« À ceux qui avancent que le bio est cher, je leur réponds que le subside couvre plus que largement les contrôles diligentés par les organismes de certification » nous apprend le patron de la coopérative, en précisant toutefois que le désherbage « mécanique, et non chimique », insiste-t-il, constitue le revers de la médaille.

 

Une coopérative en plein essor

La coopérative compte 800 membres pour 1, 1 million € de capital.

« Vin du Pays de Herve » a produit, l’année dernière quelque 18.000 bouteilles et passera le cap des 25.000 bouteilles en 2024. Des chiffres éloquents qui prouvent, selon M. Schoonbroodt, « le sérieux de la démarche » de son projet.

Les vins effervescents aux couleurs des métiers anciens.
Les vins effervescents aux couleurs des métiers anciens. - M-F V.

Les vignes se déploient pour le moment sur 8 hectares en bio, là aussi un chiffre qui devrait bientôt grimper à 10 hectares, une taille qui devrait permettre à la jeune coopérative de devenir une structure autonome et de pouvoir employer jusqu’à quatre personnes à temps plein. Une dynamique vertueuse que le patron hervien doit à sa collaboration avec l’Ifapme (Institut wallon de Formation en Alternance et des indépendants et Petites et Moyennes Entreprises) où il s’est lui-même formé.

« Nous accueillons des stagiaires de l’institut auquel nous ouvrons notre savoir-faire » précise M. Schoonbroodt.

 

Les coopérateurs, âme et moteur de la « success story »

Ce sont les coopérateurs qui ont choisi le logo de la coopérative et la forme de la bouteille. C’est encore à eux que l’on doit la paternité des noms des différentes cuvées.

Une fois la consultation lancée, les propositions ont rapidement fleuri : des noms relatifs à des dialectes régionaux, à la géographie, aux hameaux, aux cours d’eau, à la littérature de la région. Il en est ressorti que toutes et tous voulaient évoquer à la fois l’humain et l’histoire du territoire.

Un patron milti-tâches dans le chai, thermocolle les capsules sur les bouteilles.
Un patron milti-tâches dans le chai, thermocolle les capsules sur les bouteilles. - M-F V.

Et c’est ainsi qu’ils sont tombés d’accord sur les anciens métiers du pays de Herve. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont à la fois originaux et inspirants.

Les métiers d’antan à l’honneur

On trouvera ainsi la cuvée « Les rémouleurs » composée à 100 % de Solaris, vendangée à la main sur la parcelle de « Crawhez » à Thimister-Clermont et celle de « La Croix » à Hombourg.

Elle fait référence à la profession de rémouleur, un artisan spécialisé dans l’aiguisage et l’affûtage des outils tranchants tels que les couteaux, les ciseaux, les rasoirs, et parfois même les outils agricoles. Le rémouleur se déplaçait souvent dans les rues avec son équipement, généralement un tour à meuler, un support et une pierre à aiguiser.

Les différentes cuvées s’inspirent de vieilles images auxquelles a redonné vie un dessinateur retraité de Soignies. On retrouve « Les Affineuses », « Les Lavandières » et « Les Charrons » en vin tranquille.

Quand revit le patrimoine historique de la région

Du côté des vins effervescents, on découvrira « Les Cabaretiers » et « Les Carnavaliers » dont l’image est inspirée de la cavalcade du pays de Herve de 1935.

Les cuvées de vin effervescent sous contrôle dans un conteneur dédié à leur repos, aphromètre à l’appui, pour en contrôler la pression.
Les cuvées de vin effervescent sous contrôle dans un conteneur dédié à leur repos, aphromètre à l’appui, pour en contrôler la pression. - M-F V.

L’étiquette de ce cru va jusqu’à évoquer l’univers fellinien, avec cette touche de réalisme mêlant éléments fantastiques et oniriques. Une atmosphère dépeignant des mondes où règne le flou entre la réalité et le rêve.

Il ne reste qu’à se plonger dans cet univers où l’or qui danse dans les verres et les fines bulles se faufileraient en nous…

Marie-France Vienne

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