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Assurancetourix

La vie d’agriculteur n’est pas de tout repos, je ne vous apprends rien… Nous vivons et travaillons en contact direct avec la nature, et celle-ci s’amuse régulièrement à nous jouer des tours pendables, comme un chat avec la souris qu’il tient entre ses griffes. Ainsi, question météo, nous avons droit de plus en plus souvent à des sécheresses estivales ; puis des pluies diluviennes au moment des récoltes ou des semis ; quand ce ne sont pas des tempêtes ou des orages dévastateurs ; des périodes de gel pile poil au moment de la floraison ; etc, etc.

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Ceci dit, le risque climatique, pour ne parler que de lui, fait partie des contingences de notre métier depuis que l’agriculture existe. Impossible de s’en affranchir ! Un événement climatique majeur peut ruiner le travail de toute une année, en quelques jours ou même en une poignée de secondes. Comment exorciser ces vieux démons qui nous tourmentent depuis la nuit des temps, et gagnent en méchanceté d’année en année en ce début de 21e siècle ? Ces monstres affreux se nourrissent avec délectation du réchauffement global climatique ! Impossible pour nous d’y échapper… Alors, comment éviter les conséquences désastreuses pour nos exploitations ? Le monde moderne a inventé les assurances, pour se protéger des risques en tous genres. Mais encore ?

Les paysans sont fatalistes : c’est une seconde nature chez nous. Tant que le dernier ballot de foin n’est pas rentré, tant que la dernière parcelle de céréale n’est pas moissonnée, le risque de voir sa récolte abîmée est bien présent. Cela fait partie de notre quotidien. De même, tant que le veau n’est pas né en bonne santé, tant qu’il n’a pas grandi, qu’il n’a pas été chargé et payé par le marchand, il est possible à tout moment de le perdre, par maladie ou par accident. C’est ainsi !

Mais en 2024, les investissements sont tels que les agriculteurs acceptent de moins en moins les risques inhérents à notre profession, dont nous sommes seuls à supporter le poids écrasant. Nos vendeurs et acheteurs, les banques qui nous prêtent de l’argent, les pouvoirs publics qui nous réclament des cotisations sociales ou des contributions, se fichent pas mal de savoir si une épidémie a ravagé notre cheptel, ou si un orage de grêle a dévasté notre champ de pommes de terre. C’est au fermier d’assumer, point final ! « Ils ont assez de primes comme cela ! Partager les risques avec eux, et puis quoi encore ? Ils ont déjà le fonds des calamités. Ils se plaignent tout le temps, de toute façon ! ».

Aide-toi, et le Ciel t’aidera. Comment résoudre cette gestion des risques ? Il faut le reconnaître : mettre en place des cultures, soigner et nourrir son élevage, occasionnent aujourd’hui de folles dépenses. Cultiver et élever coûtent très cher, trop cher… Un vieil agriculteur de 84 ans me disait l’autre jour que « les fermiers d’aujourd’hui payent leurs récoltes avant de les ramasser ; pour être belles, elles sont très belles, mais tout ce qu’ils mettent au pied des denrées mange leur bénéfice, et le jour où une calamité survient, il ne leur reste que leurs larmes pour pleurer. ». Il m’a raconté l’histoire d’un agriculteur venu du Condroz après expropriation.

Celui-ci avait franchement ri de voir son épeautre « minable », et avait donné des cours d’agronomie à l’Ardennais, pour lui apprendre à bien travailler en utilisant des semences sélectionnées au lieu de semences fermières, en ayant recours au Roundup avant labour, en pulvérisant divers produits – raccourcisseur, fongicide, herbicide sélectif –, en fractionnant et dosant les unités d’azote. La céréale obtenue était très très belle d’aspect ; elle avait rapporté 7,5 t/ha, un rendement dont le Condrusien n’était pas peu fier. Mon ami, quant à lui, avait récolté seulement 4,5 t/ha, pas terrible… Seulement voilà, il n’avait rien pulvérisé et seulement épandu 100 kg/ha de nitrate 26 au printemps ; il avait semé de la première jetée échangée avec un voisin, de l’Altgold. Au final, c’est assez drôle, mais les deux fermiers avaient réalisé un bénéfice fort comparable : le très bel épeautre sélectionné et le minable Altgold, parce que celui-ci avait coûté peu de chose, au contraire du champion. L’année suivante, lors de l’été très pluvieux de 1984, l’épeautre du monsieur intensif avait versé et germé sur pied, tandis que la vieille variété extensive avait supporté l’humidité avec de faibles dommages ; il avait pu être moissonné en octobre avec un rendement de 4 t/ha.

Si vous racontez cet épisode aux agriculteurs d’aujourd’hui, ils vous riront au nez, eux aussi. Le rendement, toujours le rendement ! Il n’y a que cela de vrai ! Oui, mais quel rendement financier à la fin de l’année ? Quel rendement culturel, social et environnemental ? Il faut nourrir la planète, c’est une merveilleuse tâche à accomplir, nous flattent les instances agricoles. En vérité, il nous faut aussi nourrir ceux qui nous vendent, nous achètent et nous conseillent, nous engagent, nous font signer des contrats, nous incitent à investir un maximum pour pouvoir livrer de grandes quantités de nourriture qu’ils nous achèteront à bas coût « parce que sapristi, pas de chance, les cotations ont baissé sur le marché mondial ; parce que la demande faiblit en cette période ; parce que la guerre en Ukraine ceci ; parce que les stocks pléthoriques de céréales ou de poudre de lait cela ; parce que votre lot ne respecte pas les normes de ceci ou cela, etc. ».

Et pour supporter les risques climatiques ? Il n’y a plus personne… sauf les compagnies d’assurances qui nous promettent monts et merveilles, d’être couverts à condition de supporter d’autres frais, d’autres investissements ; à condition de s’engager dans d’autres obligations, de remplir une foultitude de formalités, de respecter un semi-remorque de conditions drastiques. Ces bardes Assurancetourix jouent bien de leur musique mais chantent faux, très faux aux oreilles des derniers irréductibles vrais paysans, groupés dans leur dernier carré, en attente de l’anéantissement…

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