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Des eurodéputés dénoncent l’écologie punitive

En Wallonie et ailleurs, la colère des agriculteurs se répand comme une traînée de poudre. À mesure que les manifestations prennent de l’ampleur, c’est l’Europe des normes et les écologistes qui sont agités comme un épouvantail.

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Le parlement est devenu, un nouvelle fois, le réceptacle des colères agricoles.

« On marche sur la tête »

Les discussions qui s’y sont déroulées la semaine dernière ont été largement dominées par les partis de droite qui ont fait de l’électorat agricole l’une de leurs cibles en vue des élections européennes de juin.

Ils ont critiqué les contraintes environnementales de la stratégie « De la fourche à la fourchette » et demandé la prolongation des dérogations sur l’utilisation des jachères ainsi que des mesures de sauvegarde sur les importations ukrainiennes.

Partout en Europe, les tracteurs défilent pour montrer l’exaspération du monde agricole et pour montrer qu’on marche sur la tête. Marcher sur la tête, c’est également ce qu’ont voulu montrer les jeunes agriculteurs en France en retournant partout les panneaux de villes et de villages. Une démarche qui a inspiré leurs homologues wallons.

Assurer la sécurité alimentaire

« Au lieu d’améliorer l’accès aux terres et de rendre le métier plus attractif pour les jeunes agriculteurs, nous assistons aujourd’hui à une avalanche de nouvelles règles soutenues par des adeptes de l’écologie punitive, et il y en a dans ce parlement européen » s’est écriée la démocrate-chrétienne française Anne Sander.

Pour l’élue membre de la commission de l’Agriculture, le choix qui est proposé aujourd’hui, c’est soit de soutenir un modèle de décroissance qui vise à produire moins pour lutter contre le changement climatique, ou alors c’est le choix de produire davantage de produire mieux, de faire appel à l’innovation et aux nouvelles technologies pour assurer la sécurité alimentaire, laquelle est prise en charge par le monde agricole.

Agriculteurs actifs, agriculture attractive

Son collègue italien Herbert Dorfmann, autre voix qui compte au sein de l’hémicycle, note qu’« en ces temps géopolitiques plus troublés, beaucoup se rendent à nouveau compte que manger et boire font partie de notre souveraineté ».

« Ces deux dernières années, nous avons fait l’amère expérience, par exemple dans le domaine de l’énergie, de ce qui nous attend si nous devenons dépendants des autres. Nous avons besoin d’agriculteurs actifs, et surtout de jeunes, si nous voulons que notre agriculture reste vivante » a-t-il ajouté.

Mais pour y arriver, on le sait, il faut rendre l’agriculture attractive et créer des possibilités de revenus. Et donc, une Pac forte avec un financement adéquat.

« Un mécontentement justifié »

Pour le Belge Tom Vandenkendelaere, qui a évoqué l’agriculture flamande, le signal envoyé par les agriculteurs est clair

Il a mis en cause les obligations européennes en matière d’environnement qui entraînent une stagnation, un arrêt de l’agriculture et de l’horticulture dans sa région.

Le démocrate-chrétien flamand a déploré le manque de considération, des salaires structurellement plus bas, une insécurité sans précédent en matière de permis et une législation environnementale bien intentionnée qui, dans la pratique, finit par peser sur les agriculteurs.

Autant de réalités qui sont, selon lui, à l’origine d’un mécontentement justifié.

Donner aux agriculteurs la reconnaissance qu’ils méritent

L’élu flamand a en outre regretté que l’Europe n’investisse pas assez dans les fonctions importantes des zones rurales. « Cela se traduit par des transports publics défaillants, une énergie plus chère pour les habitants ou, par exemple, la disparition d’infrastructures locales telles que les écoles ou les médecins » a-t-il souligné.

Pour M. Vandenkendelaere, la propre production alimentaire européenne, plus encore que la fabrication de puces électroniques et médicaments ou la construction de voitures, est d’une importance stratégique capitale.

« Il est temps de placer la sécurité alimentaire en tête des priorités et d’accorder aux agriculteurs la reconnaissance qu’ils méritent. En paroles, en actes et en centimes » a-t-il encore affirmé.

Pour la centriste allemande Ulrike Müller, il faut reconnaître que la vieille Pac a échoué et qu’il en faut une nouvelle sans surcharge administrative.

Les écologistes en sourdine

On le sait, pour les écologistes, l’agriculture, c’est bien sûr le sujet de l’alimentation, mais c’est aussi celui du climat, de la biodiversité et de la santé.

Et ils ont décidé de répondre à leurs collègues du PPE en indiquant que les agriculteurs peuvent, s’ils sont accompagnés, devenir les garants de l’intérêt commun.

Pour l’écologiste français Benoît Biteau, il est donc urgent de cesser d’opposer écologie et économie, et faire le constat objectif que ce qui menace l’agriculture, la souveraineté alimentaire, le revenu des paysans, le renouvellement des générations, mais aussi le climat, la biodiversité et la santé, « c’est ce modèle productiviste nécessitant l’usage massif de pesticides et d’engrais de synthèse, et non pas les orientations faisant référence à l’agroécologie ».

« C’est quand on est dans le rouge qu’il faut faire toujours plus vert »

À l’approche de la réouverture des discussions de la nouvelle Pac, les écologistes veulent faire entendre les attentes sociétales comprenant le rôle stratégique que joue l’agriculture sur ces enjeux, pour lesquels « nous avons rendez-vous avec l’histoire ».

Ils estiment avoir la responsabilité d’utiliser cette politique publique majeure pour accompagner la mutation des pratiques agricoles afin « de sortir les agriculteurs et l’agriculture de la mauvaise ornière dans laquelle ils sont enlisés ».

M. Biteau a indiqué ne pas vouloir céder « au mirage proposé par les libéraux et les conservateurs » qui souhaitent prolonger « la précarité du monde agricole avec des solutions éculées ». Il faut au contraire, selon lui, saisir cette opportunité pour bâtir l’avenir de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

« C’est quand on est dans le rouge qu’il faut faire toujours plus vert » a-t-il affirmé.

Et le dialogue stratégique sur l’agriculture ?

Entre-temps, c’est sur fond de manifestations agricoles que la présidente de la commission a lancé, le 25 janvier, le dialogue stratégique sur l’agriculture qui doit, espère-t-elle, « dépolariser » les débats sur le sujet.

Quelque 27 représentants d’organisations ont été conviés à cette grand-messe agricole. Les eurodéputés de la commission de l’Agriculture, d’un côté, et les ministres de l’UE, de l’autre, ont également demandé à être consultés dans le cadre des discussions qui s’engagent.

La présidence des débats a été confiée au professeur allemand Peter Strohschneider qui avait déjà présidé la commission pour l’avenir de l’agriculture du gouvernement fédéral allemand.

Il devrait être question d’un renforcement du budget agricole, d’une simplification de la Pac, du renouvellement de générations, de la cohérence entre les différentes politiques de l’UE (en particulier sa politique commerciale) et de manière générale, de la nécessité de trouver le bon équilibre entre compétitivité et durabilité.

Après ce premier rendez-vous, d’autres rencontres seront organisées toutes les quatre à six semaines. Un portail en ligne sera également ouvert pour recueillir les avis des organisations qui ne sont pas conviées aux réunions.

Des conclusions attendues en septembre

Ensuite, un groupe de travail se penchera sur les trois points spécifiques autour desquels Ursula von der Leyen souhaite que s’orientent les discussions : le revenu agricole, la durabilité et l’innovation.

Les conclusions de ces réflexions seront rendues au mois de septembre et serviront à la prochaine commission (qui prendra ses fonctions fin 2024) pour établir des lignes directrices sur l’avenir de la politique agricole de l’UE et la réforme de la Pac post 2027.

Marie-France Vienne

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