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Ruminants et gaz à effets de serre: leurs émissions ne sont qu’une paille vis-à-vis de notre propre production de CO2!

C’est dans l’air du temps, l’élevage bovin fait régulièrement – et injustement – l’objet de critiques virulentes de la part d’une partie de la population. Affameurs de la population, responsables en partie du réchauffement climatique… les attaques vont bon train ! Des clichés dont il est parfois bien difficile de se débarrasser. Frédéric Rollin, du département clinique des animaux de production (ULg), s’est attelé à séparer le bon grain de l’ivraie et notamment sur la question des émissions des gaz à effets de serre.

Temps de lecture : 8 min

Révolté par les inepties qu’il entend régulièrement sur l’élevage dans les médias, le professeur Frédéric Rollin a tenu à démonter certains clichés, dont notamment ceux liés au réchauffement climatique. Et d’affirmer d’emblée que les ruminants sont plutôt les bienfaiteurs de l’humanité !

« Outre le fait de transformer des protéines végétales et des hydrates de carbone complètement indigestes pour les humains, les ruminants nous rendent un tas d’autres services, comme la production de lait, de viande. Ils offrent encore leur force de traction dans certains pays, tout comme leur laine et leur cuir. Tant de services qui sont à la base de la civilisation. Et il est vrai que les éructations de méthane en sont le prix à payer !

C’est donc une réalité, l’agriculture et l’élevage de ruminants sont sources d’émissions de gaz à effets de serre mais elles sont bien moins importantes que ce que l’on veut bien dire.

D’abord un problème de santé publique

Et de reprendre l’évolution de la concentration en CO2 dans l’air que nous respirons. En 1750, lors des premières mesures fiables de ce gaz, 280 ppm avaient été enregistrées dans l’atmosphère. En 1988, les mesures indiquaient 350 ppm. En 2014, La barre symbolique des 400 ppm était atteinte et nous flirtons maintenant avec les 410 ppm. Selon les projections, si on ne change pas notre mode de vie, on pourrait très bien arriver à 750 ppm à la fin du siècle.

« On attribue toujours l’élévation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère au réchauffement climatique mais, à mon sens, cela dépasse de loin la problématique », explique le scientifique. « Le CO2 étant très soluble dans l’eau, il acidifie non seulement les eaux et océans mais également toutes les cellules de notre organisme. De cette acidification chronique vont résulter des maladies infectieuses, cancéreuses… c’est donc, pour moi, davantage un problème de santé publique qu’un problème de réchauffement climatique ! »

Foresterie et agriculture

Si on considère les émissions anthropogéniques totales des gaz à effets de serre (GES) en 2010 sur la planète, elles s’élevaient à près de 50 milliards de tonnes d’équivalents C02 (50 Gt CO2 éq). Si l’industrie en est pour 32 % responsable, l’agriculture et la foresterie le sont pour près de 25 %, ce qui n’est pas rien !

Toutefois, l’orateur tient à préciser : « Si les ruminants sont responsables de rejets de CO2, que dire de nos animaux de compagnie ? Selon le chercheur, un chien de taille moyenne, du fait de son alimentation, produit autant de gaz à effets de serre qu’un SUV qui parcourt 15.000 km/an. Or il y a à peu près un milliard d’animaux de compagnie (chiens et chats) à travers le monde...»

Et de détailler la part due à l’agriculture et la foresterie. « Ils en sont autant responsables l’un que l’autre. Si la forêt est un puit de carbone, il ne faut pas minimiser l’effet de la déforestation, des importants feux de forêts et de brousse qui interviennent chaque année. N’oublions pas que certains feux peuvent être des techniques culturales permettant de nettoyer le terrain et l’enrichir en minéraux.

Quant à l’autre moitié, c’est l’agriculture qui en est responsable (entre 5 et 5,8 Gt CO2 eq/an). Et tous les animaux au sens large sont responsables de 60 % de ces émissions, soit 3,1 Gt CO2 eq/an. De ce chiffre, 2/3 de ces émissions émanent directement des animaux (fermentations entériques), 1/3 de la gestion des effluents.

À la ferme

Au sein de l’exploitation, l’on distingue 5 sources d’émissions.

Les fermentations entériques , composées à 2/3 de CO2 et d’1/3 de CH4 (méthane), sont des émissions directes dues aux fermentations initiées par la flore du rumen. Près de 1.000 l de gaz sont produits quotidiennement par une vache adulte. Or, on dénombre 1,6 milliard de bovins dans le monde et 2 milliards de petits ruminants.

Le deuxième poste d’émissions ? La gestion des effluents . « Et c’est une activité humaine ! Les effluents vont en effet produire davantage de méthane quand ils se retrouveront en conditions anaérobies. Celles-ci sont plus facilement rencontrées en cas d’intensification de l’élevage!»

Les émissions sont d’autant plus importantes que l’on soit en présence de fumier stocké en gros tas, sous un climat humide avec une pluviosité élevée, ou de lisier dans des citernes ouvertes ou des lagons, dans des conditions chaudes.

Quant aux effluents émis en prairie (bouse, urines…), ils engendrent très peu d’émissions de méthane. Notons encore que les effluents des bovins nourris avec une ration à base de céréales, riche en énergie, sont plus dégradables et ont un potentiel de production de CH4 plus élevé que les effluents des bovins recevant une ration à base de fourrages.

L’utilisation d’engrais azotés , est le troisième poste d’émissions d’une ferme et est encore due à une activité humaine. Bien plus que les engrais azotés organiques, ce sont surtout les engrais azotés chimiques qui sont responsables des émissions de GES. « Pour leur fabrication, on a besoin de gaz, de températures extrêmes… Les scientifiques considèrent d’ailleurs que la production d’une unité d’azote nécessite entre 5,3 et 6,1 kg de CO2. »

Plus de ¾ des émissions du protoxyde d’azote (N2O) émis par les exploitations proviennent en réalité de la fabrication de ces engrais chimiques utilisés pour la croissance des cultures, telles que le maïs, le soja.

Quant aux fermes qui se basent sur le pâturage, qui n’utilisent pas d’engrais azotés chimiques et qui sont bien gérées, elles enregistrent une très émission de N2O. Certaines peuvent même s’avérer être des puits de N2O.

L’ énergie directement consommée dans l’exploitation est également une source d’émissions. Chez nous, l’électricité a une empreinte CO2 très faible à cause de nos centrales nucléaires. Toutefois, celles-ci, ayant besoin de quantités d’eau colossales, ont une empreinte eau énorme !

Dernier poste d’émission : les équivalents CO2 générés pour la production et le transport des engrais, des aliments, des semences

À la question « les ruminants sont-ils responsables des émissions de gaz à effets de serre ? », le Professeur Rollin répond sans détour : «  Oui, mais comme tout développement, toute production ! Et celle-ci ne représente qu’une paille (6,5 %), comparativement à notre propre consommation d’énergie et notre production de CO2. Les ruminants servent d’écran de fumée pour éviter de parler des véritables problèmes

À leur décharge, il ne faut pas non plus oublier que l’on peut compter sur de nombreux puits de CO2  : océans, forêts et prairies permanentes.

Quid des prairies permanentes ?

En Europe, quelque 31 % du territoire sont couverts par des prairies permanentes. Ces dernières captent annuellement 2,7 tonnes de CO2, soit 700 kg de carbone (C)/ha/an, ce qui peut compenser 5 à 30 % des émissions entériques pour la production laitière et 25 à plus de 50 % de ces mêmes rejets pour la production viandeuse.

Par ailleurs, bien d’autres rôles leur sont attribués : réserve de biodiversité, protection des sols contre l’érosion ; purification de l’eau et approvisionnements des nappes phréatiques…

« Ces prairies existent car elles sont entretenues par les herbivores – et surtout les ruminants – qui sont de véritables tondeuses naturelles. Sans eux, celles-ci retourneraient à l’état de forêts, avec un potentiel nourricier bien moindre. En broutant, les animaux favorisent la prolifération des feuilles et des racines, ce qui augmente le stock de carbone dans les sols. »

Si on s’intéresse aux productions végétales, on constate que les sols cultivés et charrués sont sources de carbone dans l’atmosphère, en moyenne 840 kg C/ha/an. Le déstockage de C nécessite deux fois moins de temps que le stockage par les prairies permanentes.

«Et qui dit cultures dit utilisation potentielle d’engrais chimiques et de pesticides, ce qui peut engendrer une pollution de l’eau et des sols...»

Pour le professeur Rollin, «On assiste à une ingratitude des humains envers les ruminants et leurs éleveurs. Il n’y a pas de  production végétale durable sans les ruminants et les légumineuses.»
Pour le professeur Rollin, «On assiste à une ingratitude des humains envers les ruminants et leurs éleveurs. Il n’y a pas de production végétale durable sans les ruminants et les légumineuses.» - P-Y L.

Productions animales et végétales indissociables

Pour l’orateur, les fumiers de bovins sont excessivement précieux pour les productions végétales : engrais organique, ensemencement des sols, apport d’humus (et donc meilleure résistance des sols à la sécheresse)… Ils stimulent les cultures ! « Productions végétales et animales sont donc intimement liées, indissociables. La flore des sols doit être nourrie comme celle des rumens, c’est une synergie importante. Si on arrête l’élevage, la déplétion des sols en carbone est quasi systématique et ne pourra entraîner que famines. Les rendements céréales/ha ont déjà chuté dans ¼ des pays de la planète  », analyse-t-il.

Diminuer les émissions de GES

Il n’existe pas de solution miracle pour diminuer l’impact des ruminants sur l’environnement. Mais il existe une multitude de petites actions qui permettent d’améliorer nettement la situation. Il reste d’ailleurs une marge de progression fort importante.

Pourles diminuer, M Rollin voit plusieurs pistes, dont notamment celle de l’optimisation de l’azote dans la ration. « C’est essentiel ! On doit pouvoir éviter un gaspillage d’azote par le suivi des taux d’urée dans le lait chez les laitières par exemple. Un bon équilibre permet de faire une économie substantielle.

Remplacer le tourteau de soja par celui de colza, viser l’autonomie protéique… sont autant d’autres pistes qui permettent de réaliser de bonnes économies.

L’augmentation de l’efficience de la production est également essentielle par, notamment, la diminution du taux de réforme, l’optimisation de la santé, l’amélioration de la génétique... La reproduction saisonnière est également à utiliser. « Les anciens ont toujours fait coïncider les vêlages avec la pousse d’herbe. Et comme l’herbe est l’aliment le plus riche et le moins cher… Moins on utilise des engrais azotés, plus on fait œuvre utile au niveau des émissions de gaz à effets de serre pour autant qu’on introduise des légumineuses dans saculture d’herbes! »

Comme les effluents émis en prairie produisent très peu de GES, mieux vaut essayer d’augmenter le pâturage. La méthanisation est également très intéressante pour ceux qui peuvent se le permettre...

P-Y L.

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