Face à la FCO3, un seul véritable bouclier: la vaccination!
Vétérinaire et responsable de projet en épidémiologie et encadrement sanitaire à l’Arsia, François Claine avait déjà tiré la sonnette d’alarme quant à l’arrivée imminente de la fièvre catarrhale ovine dans notre pays, il y a plusieurs mois de cela. Aujourd’hui, face à la multiplication des foyers et à la détresse des éleveurs, il répond à nos questions sur cette maladie… qui n’a certainement pas encore révélé toutes ses facettes.

En tant que vétérinaire, comment avez-vous vécu l’arrivée du sérotype 3 de la FCO ?
À l’automne 2023, nous avions déjà des informations concernant la circulation de culicoïdes porteurs du virus responsable de la fièvre catarrhale, sérotype 3, aux Pays-Bas, avec quelques cas apparus également en Flandre. Il était évident que le virus finirait par atteindre la Belgique. Son expansion avait été limitée par la direction des vents et des conditions météorologiques défavorables à un développement suffisant des culicoïdes. Cependant, nous savions que lorsque ces conditions deviendraient bonnes, la maladie se propagerait. D’autant plus qu’elle arriverait sur des troupeaux pleinement naifs et sensibles par rapport à ce virus jamais rencontré auparavant. Concernant mon ressenti, les craintes sont similaires à celles éprouvées il y a 17 ans avec l’apparition du sérotype 8. Nous découvrions alors l’ampleur du tableau clinique, et la désolation au sein des élevages.
Quelles sont les différentes sensibilités des espèces ovines, bovines et caprines face à la maladie ?
Parmi les espèces de ruminants domestiques principalement élevées chez nous, les ovins sont les plus sensibles au virus, présentant un tableau clinique très agressif et un risque de mortalité accru. Les chiffres des Pays-Bas indiquent un taux de mortalité de 50 à 75 % dans les troupeaux, mais ces données datent de l’automne 2023, avant la mise en place de la vaccination. D’après nos observations sur le terrain, elle se situe plutôt entre 10 et 30 %. En ce qui concerne la morbidité, c’est-à-dire le nombre d’animaux malades, cela peut grimper jusqu’à 75 %. On observe un abattement très prononcé, une montée rapide et élevée de la température qui persiste plusieurs jours, des ulcérations buccales, une perte d’appétit, voire de l’anorexie, une diminution de l’abreuvement qui concourt à une déshydratation, ainsi que des troubles locomoteurs, comme la boiterie, et oculaires. Les chèvres, elles, se trouvent de l’autre côté de la sensibilité au virus avec un tableau plutôt dominé par de la température, un abattement léger et une baisse de la production laitière qui semblerait assez transitoire. Pour les bovins, on constate également une hyperthermie, un abattement, et une baisse marquée de la production laitière chez les vaches laitières. Leur sensibilité modérée au virus se situe entre celle des moutons et des chèvres.
Existe-t-il un signe caractéristique pour toutes les espèces ?
Un abattement très marqué et une fièvre élevée sont des symptômes souvent signalés par les éleveurs, avec chez les ovins une hypersalivation.
Ces symptômes sont-ils toujours associés à une diminution de la production laitière ?
Nous avons des retours de certains éleveurs indiquant une montée de la température et un peu de boiterie, ou un voile blanc sur la cornée. Et c’est tout ! Deux éléments sont à considérer : d’une part, le statut immunitaire de l’animal, car tous ne réagissent pas de la même manière face à la FCO3. D’autre part, la charge virale, c’est-à-dire le nombre de piqûres de culicoïdes vecteurs. Il est clair qu’un animal piqué par dix culicoïdes ne présentera pas le même tableau clinique qu’un autre piqué par mille !
D’après vos observations actuelles, certains animaux sont-ils plus vulnérables que d’autres selon leur âge, conditions de vie, etc. ?
Il est encore difficile de tirer de vraies conclusions à ce sujet. Je parlerais plutôt de tendances observées. Il semble qu’en bâtiment les animaux montent moins de signes cliniques qu’en pâture. Cependant, et attention, ce n’est qu’une impression. Concernant l’âge, les cas cliniques sévères semblent plus fréquents chez les animaux adultes, notamment les brebis en fin de gestation ou en début de lactation, par rapport aux jeunes animaux comme les agneaux de boucherie, les agnelles ou les antenaises à l’herbe. Et ces tendances sont influencées notamment par la vaccination des animaux.
L’une des craintes des éleveurs est aussi de se retrouver, à l’avenir, avec des problèmes de fertilité au sein des troupeaux…
Il est vrai qu’aujourd’hui, nous avons la vision de l’impact direct. Plus tard, nous verrons les impacts indirects. À savoir, les décrochages embryonnaires, les avortements, et éventuellement les troubles de fertilité observés chez les mâles reproducteurs. Avec le sérotype 8, cela avait été mis en évidence. Nous savons donc que cette maladie a des répercussions sur la fertilité des troupeaux. Bien que cela ne puisse pas encore être chiffré, nous en mesurerons les effets d’ici la fin de cette année, et certainement en 2025.
Face à la FCO3, est-ce que vous rencontrez des éleveurs qui ont peur de sortir leurs bêtes de l’étable ?
En effet, certains ont maintenu leurs animaux en bâtiment, pouvant être traités avec des insecticides tandis que les bêtes sont parfois aspergées de produits répulsifs, et nous demandent si cette approche est pertinente. Ils voient dès lors l’étable comme une zone de protection. Cependant, il est primordial de souligner que le levier le plus efficace est bel et bien la vaccination.
Justement, concernant la vaccination, certains se plaignent de se retrouver face à une rupture de stocks au niveau des doses…
Tant les autorités belges que l’industrie pharmaceutique ont dû parer au plus pressé avec ces trois vaccins. Tout s’est joué dans un mouchoir de poche en termes de fenêtre temporelle entre le moment où ces vaccins ont été autorisés et celui où les culicoïdes ont trouvé des conditions favo
Toujours au niveau du vaccin, dans quelle mesure celui-ci protège-t-il les animaux, et qu’en est-il d’une seconde dose pour les bêtes ayant déjà attrapé le virus ?
Tout d’abord, d’après les données des firmes pharmaceutiques, il faut compter 21 jours pour que l’immunité s’établisse. Par exemple, si le vaccin est administré le lundi, et que les culicoïdes porteurs du virus passent le mercredi, les animaux ne seront pas protégés. De plus, ces firmes ont toujours précisé que ces vaccins visaient à réduire la mortalité et l’intensité du tableau clinique. Elles n’ont jamais avancé que ces derniers allaient totalement empêcher la mortalité et protéger à 100 % les bêtes.
Et si la maladie est installée, comment lutter contre entre elle ?
Il existe 27 sérotypes différents pour la fièvre catarrhale ovine. Dès lors, comment envisager l’avenir sereinement, sachant qu’un type de vaccin ne protégera pas forcément contre un autre sérotype de la maladie ?
Parmi ces sérotypes, certains sont déjà passés par chez nous, comme le 8. De plus, certains appartiennent à la même famille (ce qui n’est pas le cas du 8 et du 3...). Dans ce cas, on peut espérer qu’un animal ayant déjà rencontré un sérotype puisse bénéficier d’une immunité croisée s’il en rencontre un de la même famille. Ses anticorps pourraient alors le protéger contre l’autre. Parallèlement, on constate que la globalisation, l’intensification des échanges commerciaux, et les bouleversements climatiques, avec des conditions météorologiques plus favorables aux culicoïdes, ouvrent la porte à une dissémination de plus en plus importante de maladies vectorielles. C’est le cas de la fièvre catarrhale. Il est très préoccupant de constater qu’en quelques années, nous avons vu apparaître la FCO8 et 3, le virus de Schmallenberg, et que nous parlerons très bientôt de la maladie hémorragique chez les bovins. Ces maladies, véhiculées par des culicoïdes, vont devenir de plus en plus fréquentes dans les années à venir.