«En Ukraine, le seul objectif, c’est la survie»
Andriy Dykun est le président du conseil agricole ukrainien. Invité lors de la dernière édition du Global Food Forum, il a livré une parole nue, sans détour, qui s’est imposée comme un rappel brutal de la réalité à laquelle sont confrontés des milliers d’agriculteurs ukrainiens. Il a assuré que son pays martyrisé ne pensait plus à l’UE, car « aujourd’hui, notre question, c’est la survie ».

Andriy Dykun parle au nom de ceux qui, sur le terrain, continuent à produire sous les bombes. Il ne s’agit pas seulement d’agriculture, mais de résilience nationale. Depuis l’invasion russe à grande échelle en février 2022, l’Ukraine vit sous l’état d’urgence permanent.
Pour le secteur agricole, pilier de l’économie nationale, cette situation a des conséquences dramatiques. « 20 % des terres agricoles ukrainiennes sont aujourd’hui occupées par la Russie », rappelle-t-il. « Ce sont des exploitations entières, des domiciles, des familles entières rayées de la carte. »
Une ligne de front qui traverse les champs
Depuis plus de deux ans, la ligne de front, longue de plus de 2.000 kilomètres, traverse des terres parmi les plus fertiles d’Europe. Elle sépare désormais deux mondes, celui des agriculteurs directement exposés aux tirs et aux bombardements, et celui de ceux qui, plus à l’ouest, poursuivent leur activité dans une précarité constante, sous la menace des drones et des missiles russes.
« Même à 150 kilomètres du front, une exploitation moderne de 500 vaches a été détruite vendredi dernier », rapporte M. Dykun. Et d’ajouter qu’aucun endroit n’est « véritablement sûr ». Le conflit a transformé la production agricole en un acte de résistance. Plus que jamais, cultiver la terre est une manière de tenir debout, de faire exister la nation. Ce n’est pas seulement une fonction économique, mais une expression de souveraineté.
Un secteur vital devenu stratégique
Le poids de l’agriculture dans l’économie ukrainienne ne date pas de la guerre, mais celle-ci l’a rendu plus visible, plus crucial. Le secteur représente plus de 20 % du PIB national et constitue la principale source de devises étrangères, avec 65 % des recettes d’exportation. Pour M. Dykun, l’agriculture forme avec l’armée et le soutien international « les trois piliers de notre survie ».
Les destructions d’infrastructures agricoles, le blocage des ports de la mer Noire et les saisies de cargaisons ont fragilisé cette colonne vertébrale. Vingt marchés africains, dont l’Égypte, ont été perdus ou réorientés vers la Russie, qui cherche à capter ces débouchés. « Les Russes volent nos céréales et les vendent depuis 2014 », accuse-t-il.
Une guerre commerciale parallèle
Derrière le conflit militaire se dessine aussi une guerre économique, où l’agriculture est utilisée comme levier politique. Moscou est accusé d’avoir transformé la nourriture en instrument de pression, notamment en bloquant les exportations ukrainiennes pour déstabiliser les marchés mondiaux et peser sur les pays du Sud.
À l’inverse, Kiev cherche à faire de l’agriculture un facteur de stabilisation. « Nous n’utilisons pas l’alimentation comme une arme », souligne le président du conseil agricole ukrainien. Dans cette optique, l’intégration de l’Ukraine dans les circuits agricoles européens ne serait pas une menace, mais un levier de résilience pour le continent tout entier.
L’UE, entre solidarité et tensions
Mais le chemin vers l’Europe ne va pas sans heurts. L’afflux de produits agricoles ukrainiens a suscité ces derniers mois des tensions, notamment en Pologne, en Slovaquie ou en Hongrie. Des manifestations d’agriculteurs ont dénoncé une concurrence jugée déloyale, nourrie par des coûts de production plus faibles côté ukrainien et une exemption de droits de douane.
Andriy Dykun ne minimise pas ces inquiétudes. Au contraire, il en prend acte. « Nous ne voulons pas vous poser de problèmes. Nous vous entendons, nous vous comprenons, et nous vous demandons de nous comprendre », déclare-t-il.
Plutôt que de nier les déséquilibres, il appelle à les traiter dans un cadre coopératif. Deux pistes de collaboration concrète sont en discussion avec la Pologne. C’est le développement de la filière des protéines végétales en Ukraine, et l’exportation encadrée de viande vers les pays voisins. Il s’agirait de construire un partenariat complémentaire, et non de superposer deux agricultures concurrentes.
Une intégration graduelle, pas une fusion brutale