Christine Romeyns, nouvelle administratrice déléguée de l’Afsca : «c’est par la confiance mutuelle que nous avancerons»
Christine Romeyns vient de prendre ses fonctions à la tête de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). Juriste de formation, passée par le terrain, les cabinets ministériels et les directions de contrôle, elle prend les rênes d’une institution stratégique, observée de près par les agriculteurs comme par les consommateurs. Première femme à accéder à ce poste, elle entend placer son mandat sous le signe de la transparence, du dialogue et de l’anticipation face aux crises.

Installée dans son bureau bruxellois, elle retrace son cheminement et esquisse pour nous les grands défis qui marqueront son mandat à la tête de l’agence.
Votre parcours est riche et varié. Pouvez-vous en présenter les grandes lignes ?
J’ai toujours voulu travailler pour l’État, parce que je souhaitais que mon métier ait un impact concret sur la société. Et je crois qu’il n’y a rien de plus essentiel que de veiller à ce que les gens mangent en toute sécurité, à leur santé, ainsi qu’à celle des animaux et des végétaux qui composent notre chaîne alimentaire. J’ai travaillé dans un cabinet ministériel en pleine crise du fipronil, puis dirigé les services d’inspection de l’Inasti. J’ai aussi eu une expérience à l’Institut national de criminalistique et de criminologie, plongée dans le monde des laboratoires et des analyses. Cette diversité (terrain, stratégie, gestion de crise, laboratoire) est précieuse aujourd’hui pour diriger l’Afsca.
Quelles expériences passées vous semblent les plus utiles pour assumer cette direction ?
Elles s’éclairent les unes les autres. Le terrain m’a appris l’importance du concret et de la pédagogie. L’expérience en cabinet m’a montré ce que signifie affronter une crise en temps réel, sous le regard des médias et des citoyens. La direction de services m’a donné des outils de management et de stratégie. Les laboratoires m’ont rappelé que la science et l’expertise doivent toujours éclairer nos décisions. Cette pluralité est une force : elle me permet de comprendre les attentes et les contraintes de chacun, les contrôleurs, les agriculteurs, les industriels, les décideurs politiques, les consommateurs.
Vous êtes la première femme à occuper cette fonction. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
C’est évidemment un symbole. Être une femme, et une mère, ne devrait jamais être un obstacle pour exercer des responsabilités. Si ma nomination peut encourager d’autres femmes à croire en elles, à oser se projeter dans des carrières où elles sont encore peu nombreuses, alors j’en serai fière. Mais pour moi, ce qui compte avant tout, ce ne sont pas le genre ou les symboles : ce sont les compétences, l’engagement et le travail acharné. C’est cela, au fond, qui ouvre les portes.
Quelles sont vos priorités pour créer un lien de confiance avec les agriculteurs ?
La première, c’est d’aller à leur rencontre. On ne peut pas diriger une agence comme l’Afsca sans comprendre la réalité du terrain. C’est ce que je fais déjà : participer à la Foire de Libramont, rencontrer les syndicats, écouter les préoccupations. C’est dans ces moments de dialogue que l’on perçoit vraiment les contraintes des exploitations, leurs difficultés économiques, leurs attentes concrètes. Je veux que l’Afsca soit un partenaire, pas seulement un organisme de contrôle. Cela suppose d’expliquer nos décisions, mais aussi d’entendre leurs remarques, de construire des solutions ensemble. Je crois sincèrement qu’agriculteurs et consommateurs partagent un objectif commun : que la chaîne alimentaire soit sûre, du champ à l’assiette.
Vous dites partager les valeurs du monde agricole. Lesquelles ?
Trois me semblent essentielles. Le sens du travail, d’abord : l’idée qu’il n’y a pas de raccourci possible, que tout se construit par l’effort quotidien. Ensuite, le bon sens, ce « sens de la terre » qui pousse à chercher la simplicité plutôt que la complication inutile. Enfin, la résilience : le monde agricole connaît mieux que quiconque ce que traverser une crise veut dire. Et cette capacité à rebondir, à repartir, est une valeur que je place au cœur de ma manière de diriger.
La sécurité alimentaire est une responsabilité collective. Comment renforcer ce sentiment d’implication ?
Nous devons être transparents. Expliquer non seulement ce que nous faisons, mais aussi pourquoi nous le faisons. Trop souvent, l’Afsca est perçue comme une institution lointaine, qui impose des normes sans justification. Je veux que nous soyons une agence qui parle clair, qui associe les acteurs aux décisions. C’est ce que nous faisons déjà avec le comité consultatif, qui réunit syndicats agricoles, organisations professionnelles et associations de consommateurs. C’est aussi le sens des enquêtes de satisfaction que nous menons régulièrement et la prochaine aura d’ailleurs lieu fin de cette année. Ces retours sont précieux pour ajuster nos pratiques. Du côté des citoyens, nous multiplions les actions pédagogiques : campagnes sur les réseaux sociaux, participation à des émissions comme « Les pieds dans le plat », qui sera bientôt reconduite. Car la sécurité alimentaire ne dépend pas seulement des agriculteurs ou de l’Afsca : chacun a un rôle à jouer, jusque dans sa propre cuisine.
La coopération entre institutions et acteurs de terrain est essentielle. Comment souhaitez-vous la développer ?
Par un dialogue permanent. Depuis mon arrivée, j’ai rencontré tous les syndicats agricoles, et je leur ai donné mon numéro de téléphone personnel. C’est un geste simple mais symbolique : je veux qu’ils sachent que je suis joignable, que la porte est ouverte. Nous avons besoin de parler franchement, sans détour. Moi, je m’engage à expliquer les raisons de nos décisions. En retour, j’attends une transparence totale, y compris sur les points de blocage. C’est ainsi, par la confiance mutuelle, que nous avancerons.
L’Afsca est souvent perçue comme un organisme qui « fait peur » aux agriculteurs. Comment changer cette image ?
C’est vrai que, dans le secteur agricole, les contrôles suscitent de l’inquiétude, certains redoutent la sanction. Mais j’entends aussi des témoignages très différents. Les contrôles peuvent contribuer à améliorer les pratiques, à renforcer un système d’autocontrôle. C’est exactement cela que je veux développer : que les contrôles ne soient pas vécus comme une punition, mais comme une aide. Nous disposons d’outils dans ce sens, comme notre cellule de vulgarisation et d’accompagnement, que j’aime appeler « cellule de coaching ». En Belgique, une soixantaine de personnes sont disponibles à temps plein pour répondre aux questions des agriculteurs, les conseiller, les aider à se mettre en conformité. Trop souvent, ces ressources sont encore méconnues. Je veux qu’elles soient davantage utilisées.
Concrètement, comment renforcer cette approche plus constructive ?
Nous devons multiplier les points de contact. Nous avons déjà revu l’ergonomie de notre site pour rendre accessibles plus facilement les check-lists de contrôle. Nous répondons aux demandes de formation émanant des filières : expliquer chaque année quelles sont les infractions les plus fréquentes dans le secteur primaire, partager des conseils pratiques. Ces petites initiatives changent beaucoup la perception.
Justement, comment sont formés vos contrôleurs ?
Il faut rappeler que nos contrôleurs ne sont pas des « cow-boys » qui débarquent pour sanctionner. Ce sont des professionnels formés, qui bénéficient d’au moins 6 mois d’écolage avant d’aller seuls sur le terrain, accompagnés par un collègue plus expérimenté. Chacun suit chaque année au minimum cinq jours de formation continue, en présentiel ou en e-learning. Ils sont préparés à gérer des situations difficiles, y compris l’agressivité, car cela arrive aussi. Je peux en témoigner, j’ai moi-même été contrôleur, et je sais ce que cela représente d’entrer dans une exploitation, d’expliquer les règles, d’être parfois accueilli avec méfiance. Mais je sais aussi ce que vit l’agriculteur, confronté à des exigences parfois lourdes. Cette double expérience me permet de comprendre les deux côtés. Et je suis convaincue que le contrôle doit être vécu non comme une menace, mais comme une garantie : celle que les produits belges sont sûrs, et que chacun dans la chaîne en tire une fierté.
Le changement climatique entraîne l’apparition de nouveaux risques alimentaires. Comment l’Afsca s’y prépare-t-elle ?
Les crises surviennent souvent de manière imprévisible, mais nous nous y préparons en permanence. En 2024, nous avons investi 12 millions € dans la prévention et la surveillance des maladies animales, en collaboration avec Sciensano et les réseaux vétérinaires régionaux. Nous disposons également d’une cellule de crise opérationnelle H24 et 7/7 jours, capable de réagir immédiatement à une alerte. Enfin, nous organisons régulièrement des exercices de simulation pour tester nos capacités de réaction.
L’épisode du scarabée japonais a illustré cette capacité d’anticipation. Que s’est-il passé ?
Début juillet, nous avons été alertés par un employé vigilant qui avait découvert un scarabée japonais mort dans l’entrepôt de son entreprise, en Flandre. Une inspection a permis d’en retrouver un second, parmi des pièces métalliques livrées depuis une zone infestée en Italie. L’Afsca a immédiatement déployé une surveillance renforcée : des pièges ont été installés dans les environs pour vérifier l’éventuelle présence d’insectes vivants. À ce stade, aucun spécimen supplémentaire n’a été détecté, mais la surveillance se poursuit. C’est un soulagement, car cet insecte est un ravageur redoutable. Il peut s’attaquer à plus de 400 espèces végétales, du maïs aux fraises en passant par la vigne et les rosiers, tandis que ses larves endommagent les prairies et les pelouses en se nourrissant des racines. Son installation durable représenterait donc une menace considérable pour l’agriculture comme pour la nature. Cet épisode illustre deux choses. D’abord, la vigilance citoyenne : sans l’attention de cet employé, nous n’aurions peut-être pas été alertés. Ensuite, la préparation : nos cartes de géolocalisation, nos protocoles et nos exercices nous ont permis d’agir immédiatement, sans improvisation. Beaucoup d’exercices de crise ne servent jamais, et tant mieux. Mais lorsqu’ils deviennent réalité, ils font toute la différence.
Comment l’Afsca peut-elle contribuer à renforcer l’excellence des produits belges à l’international ?
L’Afsca est considérée comme l’une des meilleures agences de sécurité alimentaire au monde. Nous sommes reconnus pour la rigueur de nos contrôles, mais aussi pour notre accessibilité. Beaucoup d’agences étrangères citent la Belgique comme un modèle. Nous travaillons activement à l’ouverture de nouveaux marchés. En 2024, nous avons obtenu 27 nouvelles autorisations, dont l’export d’aliments pour animaux vers la Chine. Certaines paraissent surprenantes : l’exportation de pieds de porc vers Taïwan, par exemple. C’est un produit qui a peu de valeur chez nous, mais qui est considéré comme un mets raffiné dans la cuisine locale. Pouvoir accéder à ce marché permet de mieux valoriser toute la carcasse et d’améliorer la rentabilité des filières. Autre cas étonnant : l’export de pigeons, également vers Taïwan, où ils sont très prisés. Ces marchés n’existeraient pas sans la confiance accordée à l’Afsca, qui garantit la qualité et la sécurité de nos produits. Je peux aussi citer l’exportation d’ovins et de caprins de reproduction et de rente vers la Bosnie-Herzégovine. Nous avons même un représentant basé à Pékin pour accompagner ces démarches et dialoguer directement avec les autorités locales. Chaque visite de délégation étrangère, chaque inspection, qu’elle soit sur le terrain ou en vidéo, est une occasion de défendre la qualité belge. Ouvrir un marché, ce sont des mois, parfois des années de discussions et de certifications. Mais chaque victoire profite à l’ensemble de la chaîne, de l’agriculteur au consommateur.
En vous projetant plus loin, quel héritage aimeriez-vous laisser à l’Afsca et au secteur alimentaire belge ?
Trois choses. D’abord, que l’Afsca soit une agence où il fait bon travailler, où chacun a le sentiment que son métier a du sens. Ensuite, que nous soyons perçus comme un véritable partenaire par les secteurs, pas seulement comme un organisme de contrôle. Enfin, que nous restions une organisation solide, prête à affronter les crises, aussi imprévisibles soient-elles. Si, à la fin de mon mandat, j’ai réussi cela, je pourrai dire que nous avons rempli notre mission. Et j’en serai fière.