«Santé et prévention sont très liées aux variations météorologiques»

Léonard Theron est docteur en médecine vétérinaire et a fondé RumeXperts en 2020, avec sa collègue Anne-Sophie Rao. Leur bureau propose trois services : expertise vétérinaire en ferme sur des cas complexes, outils de diagnostic avec leur logiciel RumiSense, des capteurs et kits de prélèvements, ainsi qu’un centre de recherche contractuelle pour tester de nouvelles solutions destinées aux bovins.

En quoi les données météo sont-elles importantes pour RumeXperts ?

Chez RumeXperts, notre objectif est de fournir une vision d’ensemble des données clés des exploitations. Dans ce cadre, nous utilisons les données météo pour prédire les risques de stress thermique. La visualisation de ces risques permet à l’éleveur d’anticiper. Pour ce faire, nous utilisons un indice combinant température et humidité de l’air (THI). Les valeurs individuelles de température et d’humidité permettent d’identifier le paramètre influençant le plus le THI et, ainsi, d’adapter le conseil. Celui-ci peut porter sur l’alimentation, la ventilation ou encore la gestion des risques pour la production.

Les données météo du Cra-w nous permettent d’obtenir des prévisions jusqu’à cinq jours à l’avance. Cependant, pour les alertes, nous préférons valoriser uniquement les données à 48 heures car leur fiabilité dépasse alors 80 %. Ces données permettent de retracer la situation passée, de connaître la valeur du jour et d’anticiper les jours suivants.

Pourquoi croiser données météo et gestion des troupeaux ?

Aujourd’hui, la santé et la prévention animale sont très liées aux variations météorologiques. C’est un paramètre essentiel dans le diagnostic. De la même manière qu’un agriculteur choisit une période adaptée pour implanter ou réaliser diverses actions sur une culture, il doit pouvoir planifier correctement ses interventions sur son troupeau sans être sous pression. L’analyse des données météo le permet désormais.

Notre plateforme RumiSense permet un gain d’une vingtaine de jours sur le décisionnel et 48 h sur les données météo en lien avec la gestion du troupeau.

Qu’est-ce que le projet E-CowSentinel ?

Son but est de faire de la prédiction parasitaire et comportementale en utilisant les données météo du Cra-w. Pour chaque exploitation, les données de la station météo du réseau Pameseb la plus proche seront utilisées.

Ce projet, qui s’appuie sur RumiSense, aura un double rôle : observer d’une part le risque parasitaire et le stress thermique en été, et d’autre part le potentiel de virémie à l’étable en hiver. Concrètement, il permettra de surveiller l’ensemble des maladies infectieuses : virus syncytiaux, grippes, bactéries… E-CowSentinel est une initiative wallonne lancée par RumeXperts, l’Arsia et le GDS (Groupement de défense sanitaire) des Ardennes. Depuis lors, plusieurs partenaires belges et français ont rejoint le projet : l’Awe, le Cra-w, Kreavet, l’Université de Gand, le GDS de l’Aisne et le GDS des Hauts-de-France.

Avec quel intérêt pour les éleveurs ?

L’objectif est de simuler les pertes autour des stations météo Pameseb du Cra-w et de modéliser les risques parasitaires à long terme. Cela permettra de déterminer s’il est nécessaire ou non d’utiliser des antiparasitaires, afin de réduire les coûts pour l’éleveur tout en diminuant l’impact sur la biodiversité.

Les antiparasitaires ont une charge environnementale sur les insectes et la vie du sol. Cet impact n’est pas négligeable, l’effet est assez important.

Aujourd’hui, l’agriculture doit diminuer ses intrants : outre l’impact économique que cela a, il y a également un impact écologique indirect. On estime aujourd’hui qu’environ un tiers des traitements antiparasitaires sont inutiles, car bien trop souvent réalisés de manière systématique. Cette approche est très impactante sur la biodiversité et pas toujours très efficace sur les vers. La période de traitement ne coïncide pas toujours avec la période de risque. Un usage trop fréquent diminue l’immunité intestinale et la robustesse des animaux.

Un autre facteur à prendre en compte est le stress thermique « froid », lié à l’humidité ressentie dans les étables. En hiver, et plus spécialement lors des périodes de dégel ou de redoux, il favorise la formation de gouttelettes dans l’air des étables, augmentant ainsi le potentiel de transmission des virus.

Quelles évolutions permettra la collaboration avec le Cra-w ?

Prochainement, nous intégrerons les données d’évapotranspiration issues des stations du Cra-w. L’évapotranspiration est la donnée météo la plus fortement corrélée à la vitesse de croissance des vers.

Par la suite, avec l’intégration des données météo spatialisées du Cra-w, nous pourrons nous rapprocher encore davantage des conditions réelles de chaque exploitation agricole sur l’ensemble du territoire wallon.

Pour finir, une grande force serait la possibilité de mettre en place des systèmes transnationaux. La limite actuelle des réseaux météo est que les phénomènes, comme les nuages, ne s’arrêtent pas aux frontières. Une alerte météo dans une zone pourrait permettre d’agir plus rapidement dans une autre zone. Le cheval de bataille de l’équipe Agromet du Cra-w est d’obtenir une vision européenne de la qualité des données météo, en impliquant à la fois des acteurs publics et privés. Je pense que le projet E-CowSentinel va permettre une harmonisation franco-belge, en favorisant l’équilibrage et la vérification des structures de données.

Thomas Servais

WalDigiFarm