Le blindage des tracteurs forestiers: du sur-mesure, pour protéger le chauffeur… et le véhicule
Habiller un tracteur d’un blindage forestier seyant parfaitement ses formes n’est pas chose aisée. Entre la prise de cotes, le travail précis et sur mesure de l’acier et la considération des attentes et souhaits du client, les défis techniques ne manquent pas. D’autant que les performances de l’engin ne peuvent être impactées par son nouveau costume… C’est pourtant le pari que relèvent quotidiennement André Goedert et son équipe.

On a beau être un habitué des tracteurs, il en est un qui attire systématiquement les regards. Peut-être parce qu’il œuvre le plus souvent caché, tantôt dans un petit taillis, tantôt au cœur des plus grandes forêts du royaume. Peut-être aussi en raison de son allure si atypique et impressionnante due à cette armure d’acier qui le protège des dures réalités de son milieu. S’il peut en intriguer certains, le tracteur forestier, puisque c’est bien de lui dont il s’agit, n’a plus aucun secret pour André Goedert.
À la tête de la société éponyme Goedert Manutention SRL située à Libramont, active dans la vente, la réparation et la location de matériels entre autres des marques Valtra, Manitou ou encore Komatsu, André est aussi un spécialiste des blindages forestiers. « En effet, c’est d’ailleurs mon papa, Jean-Jacques Goedert, qui a lancé cette activité spécialisée au début des années 70. Il faut dire que, étant basé à Libramont, l’activité forestière était omniprésente et l’est toujours. Également agent pour une marque de tracteurs, il recevait régulièrement des demandes d’adaptations ou de modifications en ce sens. Cette activité s’est bien développée et connaît aujourd’hui encore un succès non démenti », introduit-il.
Protéger, sans compliquer l’entretien
Dans la partie de l’atelier dédiée à la réalisation des blindages règne une ambiance singulière. C’est un lieu où l’on navigue entre le travail physique et lourd de l’acier, avec comme principaux outils de travail des scies, des plieuses et autres postes à souder d’une part et, d’autre part, un travail comparable à celui d’un tailleur actif dans un atelier de haute couture pour qui la précision de la prise des mesures se révèle fondamentale pour fournir le costume seyant parfaitement au client. En effet, chaque élément de blindage est constitué sur mesure pour habiller spécifiquement le tracteur concerné.
Ce travail à façon est une caractéristique fondamentale de ces ateliers de préparation particuliers. « C’est vraiment un élément très important, qui constitue la base du métier », confirme André.
« Il faut que chaque pièce du blindage s’adapte au tracteur, et non l’inverse. Il y a donc un travail conséquent de prise de cotes préalable à la réalisation proprement dite du blindage. Chaque tracteur est un nouveau chantier, un départ à zéro. Il faut se conformer aux formes et dimensions du véhicule mais aussi aux desiderata et souhaits du client. »
Le premier but poursuivi est, bien entendu, de procurer un degré de protection maximal au tracteur et à son chauffeur mais le travail de conception du blindage ne se limite à ce seul objectif. D’autres critères sont en effet pris en considération.
L’un d’eux est de ne pas compliquer l’entretien du tracteur. Il faut penser à tout : d’abord à l’entretien périodique du véhicule. « À ce titre, nous prévoyons des trappes d’accès boulonnées permettant d’atteindre facilement tous les points d’entretien comme le bouchon de vidange, les filtres… sans devoir démonter tout ou partie du blindage. »
Ensuite, il faut aussi tenir compte des interventions mécaniques plus lourdes, comme le remplacement de l’embrayage par exemple, qui nécessitent de couper le tracteur en deux. « Pour ce type de cas aussi, nous prévoyons des solutions rapides pour dégager facilement le blindage de la zone d’action de manière à ne pas gêner le mécanicien et ne pas causer de pertes de temps inutiles ».
Enfin, un dernier facteur est à considérer : le blindage ne doit en aucun cas altérer le bon fonctionnement du tracteur. Pour bien nous faire comprendre ce dernier élément, André nous emmène dans l’atelier où se trouve un tracteur équipé d’un blindage concurrent à propos duquel le client lui a demandé des modifications. Une partie de ce blindage, dont les protections de l’avant et des flancs du capot, a été démontée. Au sol gisent deux tas relativement volumineux de vieilles feuilles, brindilles et autres restes végétaux secs, synonymes de défaut de conception.
« Ces résidus végétaux sont tombés lors de la dépose des protections et se trouvaient donc coincés entre celles-ci et le capot. De ce fait, cela signifie que ces amas végétaux sous les protections empêchent la circulation de l’air autour du moteur qui, en conséquence, ne se refroidit pas correctement lorsqu’il est soumis à de fortes charges ».
Si ce blindage protège correctement les différentes composantes sensibles du tracteur, André relève un second défaut : « Ses éléments sont clairement surdimensionnés, alourdissant inutilement l’ensemble au travail et ne facilitant pas la tâche du technicien qui devrait intervenir sur la mécanique du tracteur ».
Répondre aux exigences des professionnels de la forêt
« Comme le démontre cet exemple, concevoir, fabriquer et monter un blindage forestier ne s’improvise pas. Et ce n’est pas quelque chose qui s’apprend à l’école », poursuit notre chef d’entreprise. « Notre atelier peut s’appuyer sur 50 années d’expérience. Cette dernière est précieuse, de même que les retours de nos clients, pour avancer, suivre l’évolution des tracteurs et parfaire notre technique et notre savoir-faire. »
La réalisation d’un blindage forestier est vraiment un domaine d’activité à part entière, qui doit répondre aux exigences de plus en plus poussées des professionnels de la forêt. « Peu de constructeurs de tracteurs s’intéressent à ce secteur et proposent des solutions d’usine. Ces solutions sont plutôt l’œuvre d’ateliers comme le nôtre, qui sont peu nombreux en Belgique. De ce fait, notre clientèle est originaire des quatre coins de notre pays ».
Cette clientèle, André et son équipe la connaissent bien et l’ont vue évoluer au fil des ans. « Auparavant, seuls les aspects relatifs à la protection des organes du tracteur et à leur accès comptaient. Aujourd’hui, les demandes sont beaucoup plus pointues et de nouveaux critères de développement apparaissent, à l’instar de l’esthétique qui devient de plus en plus importante aux yeux des clients, ainsi que la fonctionnalité. Parallèlement, la puissance et la taille des tracteurs ne cessent de croître, ce qui nous oblige à repenser continuellement nos blindages. »
Certains clients peuvent également formuler des demandes sortant de l’ordinaire. À titre d’exemple, André se souvient d’un client qui a demandé de concevoir un marche-pied télescopique automatique pour accéder à la cabine. « Il faut, en effet, savoir qu’il n’est pas rare que nous raccourcissions les marche-pieds standards du tracteur pour gagner en garde au sol. Pour ce véhicule, nous avons donc fabriqué un marche-pied télescopique qui descendait à chaque ouverture de la portière et remontait à sa fermeture. Ce système fonctionnait très bien et le client s’en est montré ravi. Cet équipement a été fait à sa demande mais nous ne l’avons pas reproduit sur d’autres engins car je suis persuadé que, en matériel forestier, plus l’équipement est simple, mieux c’est ».
Protéger le tracteur des dangers venant du bas
Si les ateliers Goedert réalisent les blindages à la carte en fonction du tracteur et des desideratas du client, André identifie cependant trois grandes catégories de montages : la première de celles-ci concerne les tracteurs dévolus au broyage et au fraisage du sol. Ces engins sont essentiellement concernés par des dangers venant par le bas, comme des heurts avec des souches d’arbre ou des branches laissées sur le sol remontant violemment au passage du pneu, par exemple.
Les adaptations porteront en conséquence sur un blindage inférieur, qui protégera le dessous du tracteur. Après l’inévitable prise des différentes mesures, les tôles du blindage seront coupées et pliées à façon, puis soudées et peintes avant d’être posées sur le véhicule. Tous les points d’entretien et autres points d’intérêt (capteurs…) sont, comme mentionné ci-avant, repérés préalablement pour placer, en vis-à-vis de chacun d’eux, une trappe boulonnée y donnant un accès facile et rapide. Ce blindage revient également sous les réservoirs afin d’éviter que ceux-ci ne se retrouvent percés en cours de travail.
Certaines protections peuvent être ajoutées à la demande du client, par exemple pour préserver la vitre arrière d’éventuelles projections de matière. Dans le même ordre d’idée, des éléments de protection des vérins du relevage, voire un tapis en caoutchouc protégeant intégralement le relevage arrière, peuvent être montés dans le même but.
De leur côté, les éléments de sécurisation des feux ont évolué. « Auparavant, une grille métallique était installée devant chaque feu et chaque phare. À présent, ce n’est plus le cas ; l’optique du feu ou du phare est protégée par un bloc en polycarbonate, matériau très résistant aux chocs. L’avantage par rapport aux anciennes grilles est que le polycarbonate est un matériau transparent, n’occultant pas le phare. Autrement dit, l’organe conserve la même intensité lumineuse. C’est une chose importante, non seulement pour garantir une parfaite visibilité mais aussi pour continuer à satisfaire aux normes réglementaires en la matière. Il est à noter que les vitres en verre de la cabine du tracteur peuvent être remplacées par des vitres en polycarbonate, une option proposée notamment par Valtra ».
La dernière marche du marche-pied est souvent supprimée pour accroître la garde au sol et éviter que cet élément ne plie au contact d’une souche.
Un blindage complet pour les « purs » forestiers
La deuxième catégorie de blindage a trait aux tracteurs effectuant du débardage en forêt équipés d’une pince ou d’un treuil : « Ces engins sont de purs tracteurs forestiers et le danger peut survenir de partout : une souche au sol, une branche qui tombe de haut… Il est donc ici question de fournir au client un blindage bien plus complet », commente André.
Un blindage inférieur est évidemment aussi requis mais celui-ci est encore plus solide : si les tôles employées sont plus épaisses, leurs points de fixation sous le véhicule sont aussi plus nombreux pour réduire au maximum le risque de déformation du blindage lorsque le tracteur se retrouve en appui sur une souche, un bois ou une pierre. Les différents réservoirs, qu’il s’agisse de celui du carburant, de l’AdBlue ou de l’huile hydraulique, sont déposés et remplacés par d’autres fabriqués sur mesure en acier par l’équipe d’André.
Une fois le bas du tracteur protégé, il est temps de penser à la partie haute du véhicule. Un arceau de protection est ainsi confectionné, ceinturant la cabine et se prolongeant vers le nez du capot. « Le dimensionnement de cet arceau est le fruit de l’expérience acquise. Comme chacun le sait, les cabines sont soumises à des normes de sécurité vis-à-vis des chutes d’objets ou du retournement. Ces dernières sont les seules normes réglementaires en vigueur, y compris pour les tracteurs forestiers. Il n’existe donc pas de normes réglementaires s’appliquant à l’arceau de protection en tant que tel, qui vient donc en complément pour procurer un degré de protection supplémentaire », signale André.
Il y a quelques années, une attention particulière devait être accordée au pot d’échappement qui était le plus souvent campé à la verticale au milieu du capot. Cette position faisait qu’il dépassait souvent en hauteur par rapport à l’arceau. Il fallait alors le dévier pour le faire passer le long d’un tube de l’arceau, voire carrément dans un tube de ce dernier. Aujourd’hui, avec le pot d’échappement placé contre le montant de la cabine, ce problème ne se pose plus. « Toutefois, sur certains modèles, la base du pot d’échappement est devenue très volumineuse, ce qui impose de nouvelles contraintes lors de la conception et de la fixation de l’arceau ».
La calandre, directement exposée aux heurts frontaux et partie très sensible aux chocs, se voit aussi parée d’un dispositif de protection. « Le travail à façon prend ici tout son sens avec la calandre. En effet, c’est un élément qui diffère tellement, tant par la forme que par la taille, en fonction du modèle du tracteur. De plus, il faut tenir compte de la configuration de l’avant du tracteur mais aussi de l’éventuel outil frontal. » Par exemple, la protection de calandre devra être différente selon que le tracteur travaille avec une lame attelée sur le relevage frontal ou avec une lame forestière directement intégrée sur sa face avant.
Une structure tubulaire portant un grillage métallique peut compléter l’ensemble pour préserver les flancs du capot. Comme expliqué précédemment, les protections de calandre et de capot sont étudiées pour ne pas concentrer des résidus végétaux et ne pas entraver la circulation d’air participant au refroidissement du moteur. Pour les tracteurs susceptibles d’être confrontés aux conditions les plus rudes, tous les éléments en plastique, comme les garde-boue ou leurs extensions, peuvent être remplacés par d’autres reproduits à l’identique mais en acier.
Reste encore à s’occuper de l’éclairage du tracteur, qui ne peut pas être modifié n’importe comment comme en témoigne notre interlocuteur : « L’éclairage d’un véhicule empruntant la voie publique est réglementé et ces tracteurs doivent passer au contrôle technique. Il est donc hors de question par exemple de modifier la position des éléments d’éclairage réglementaires. Ceux-ci sont protégés par des blocs disposant d’un vitrage en polycarbonate. Quant aux gyrophares, ils sont remplacés par des flashs LED beaucoup plus compacts et protégés sous l’arceau de protection ».
Si le tracteur n’en pas déjà doté, une nouvelle monte de pneus forestiers est réservée auprès d’un manufacturier produisant ce type de pneumatiques. Les jantes peuvent aussi faire l’objet de modifications. Des protections des valves de gonflage sont ainsi ajoutées. Par le passé, les tracteurs étaient pourvus de jantes à pontets qu’il fallait systématiquement renforcer. Les jantes des tracteurs modernes étant pleines, on rencontre aujourd’hui moins de problèmes mais des renforts de jante restent possibles, par exemple pour le travail avec des treuils de gros gabarit engendrant des contraintes latérales importantes sur les pentes. Des renforts latéraux sont alors soudés sur le bord de la jante pour éviter toute déformation.
Également des demandes spécifiques
Enfin, André identifie donc une troisième catégorie de blindage, à savoir les constructions spécifiques. « Nous recevons ainsi des demandes particulières liées à la configuration plus atypique du tracteur ou à un usage différent. C’est par exemple le cas d’entrepreneurs actifs dans le domaine de l’élagage. La tête d’élagage travaillant à des hauteurs importantes, le risque de chute de branches sur le tracteur est accru. De ce fait, l’arceau de protection est encore renforcé et est équipé d’un toit plein constitué d’une épaisse tôle d’acier. »
Un second exemple est celui d’un service public ayant commandé un blindage forestier pour un tracteur muni d’un chargeur frontal. « La présence de ce dernier a nécessité beaucoup de réflexion pour fabriquer un blindage n’entravant pas le bon fonctionnement et la course du chargeur tout en protégeant efficacement le véhicule et permettant un accès aisé aux points d’entretien. »
Soulignons encore qu’André et son équipe fabriquent également sur mesure toute une gamme d’équipements forestiers tels que pinces, treuils et autres lames forestières parfaitement intégrés au tracteur.