En Flandre, la viande sacrifiée

Connaissez-vous le « Green Deal Protein Shift in our plate 2.0 » ? Sans doute pas. Et pourtant, cette initiative du gouvernement flamand, dont le coup d’envoi a été donné le 15 septembre dernier, n’ambitionne rien de moins que de transformer les assiettes en réduisant la consommation de protéines animales au profit des protéines végétales. Derrière cet intitulé en anglais, qui fleure bon la communication technocratique, se cache une orientation politique lourde de conséquences, risquant de reléguer au second plan un pan entier de la ruralité flamande.
Depuis les cénacles scientifiques ou institutionnels, il est aisé de décréter que la viande doit désormais céder la place aux alternatives végétales. Mais c’est oublier un peu vite que, derrière une tranche de saucisson ou un steak juteux, se cache bien plus qu’un simple aliment : un métier, une culture, une économie vivante qui façonne nos paysages et irrigue nos territoires. Lorsque, en juin, Jo Brouns, ministre flamand de l’Agriculture, exprimait son exaspération face aux recommandations du conseil supérieur de la santé, il traduisait avant tout la lassitude d’un monde agricole sommé de se justifier en permanence, soupçonné d’être responsable de tous les maux contemporains. Car la viande est aujourd’hui devenue un bouc émissaire commode. Aux impératifs sanitaires s’ajoutent les contraintes environnementales, incarnées par le fameux « décret azote », qui fragilise déjà durement les éleveurs flamands. Or ces derniers ne demandent aucun privilège, seulement la reconnaissance de leur rôle dans l’équilibre alimentaire, économique et social du pays. C’est pourquoi la volte-face récente du ministre interpelle. En présentant ce « Green Deal » Jo Brouns semble oublier son propre plaidoyer, encore vif, en faveur des éleveurs. Comment peut-on, en quelques mois, passer de la défense d’un secteur menacé à la promotion d’un programme qui en fragilise davantage encore les bases ? La transition alimentaire ne peut se construire au prix d’une stigmatisation systématique de la viande ni d’un abandon des agriculteurs, pris en étau entre normes toujours plus strictes et discours culpabilisateurs.
Ce « deal » n’est, fort heureusement, pas à l’ordre du jour en Wallonie. Mais cette annonce nous offre l’occasion salutaire de rappeler que les éleveurs ne sauraient être considérés comme les adversaires de la transition, mais bien comme des alliés, pour peu que l’on accompagne véritablement leur adaptation. Sacrifier la viande sur l’autel d’une vertu écologique simplificatrice, c’est prendre le risque de désarticuler l’économie rurale et d’élargir encore le fossé entre les prescripteurs urbains et ceux qui, chaque jour, nourrissent la société. La durabilité, enfin, ne se décrète pas contre les producteurs. Elle se construit avec eux, dans un équilibre respectueux de la diversité des modèles agricoles et des attentes de l’ensemble des citoyens.