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La terre, enfin politique!

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Vieux serpent de mer de la politique wallonne, la question du foncier agricole refait surface à intervalles réguliers, avant de replonger dans l’oubli des bonnes intentions. Les diagnostics sont connus, les chiffres implacables : les terres se raréfient, les prix s’envolent, et les jeunes agriculteurs peinent à s’installer. Mais rien n’y fait. La spéculation continue de rogner l’assise même du monde rural.

La ministre Anne-Catherine Dalcq entend briser cette inertie. Sa note d’orientation, validée la semaine passée au gouvernement (lire en page 6), affiche une ambition claire : replacer la préservation du foncier au cœur de toutes les politiques publiques, de l’aménagement du territoire à la fiscalité. Il s’agirait de reconnaître la terre agricole pour ce qu’elle est, un bien commun stratégique, et non un simple actif au gré des marchés. Le constat qu’elle dresse est sévère. Entre 2017 et 2023, la valeur moyenne des terres a bondi de 44 %, sans lien avec leur rentabilité. Près de 45 % des transactions concernent désormais des acheteurs extérieurs au monde agricole : investisseurs, particuliers fortunés, acteurs étrangers. Dans le même temps, la Wallonie a perdu plus de 6.000 ha de surfaces agricoles depuis 1985, grignotées par l’urbanisation, les infrastructures ou les énergies renouvelables. À ce double phénomène, raréfaction et financiarisation, la ministre oppose une conviction : la terre n’est pas une marchandise comme les autres.

Le gouvernement veut agir sur plusieurs leviers : réforme du bail à ferme, encadrement des transactions spéculatives, révision du statut d’agriculteur actif, incitants fiscaux à la location de long terme. Des groupes de travail plancheront, dans les prochaines semaines, sur des propositions législatives censées produire leurs effets dès 2027. La méthode se veut participative, et l’ambition, de long terme. Mais l’enjeu, lui, est immédiat : préserver la vocation nourricière des sols face aux logiques d’investissement qui les détournent.

Certains voisins, comme la France avec ses Safer, ont choisi depuis longtemps de doter leur politique foncière d’outils de régulation capables de freiner la spéculation et de préserver l’accès des agriculteurs à la terre. Sans plaider pour une transposition mécanique, la référence devrait être davantage méditée. La ministre libérale en esquisse les fondations. En reconnaissant la terre comme un bien commun stratégique et en amorçant une gouvernance partagée, elle rompt avec une longue tradition d’atermoiements. Sa démarche, à la fois pragmatique et volontariste, a le mérite de replacer l’État dans un rôle d’arbitre, là où le marché a trop souvent régné seul. Reste désormais à passer de l’intention à l’action. Depuis trop longtemps, la question foncière oscille entre rapports, concertations et bonnes résolutions. Si la Wallonie veut réellement protéger ses terres et ceux qui les cultivent, il faudra cette fois que les mots labourent enfin le réel.

Marie-France Vienne

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